Exonération Dutreil

Eclairage du 29 mai 2020 - N°349

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Que penser de l’annulation de la doctrine administrative précisant les modalités d’appréciation de la prépondérance des activités ?

Un arrêt du Conseil d’Etat statuant sur le champ d’application de l’exonération Dutreil 

Une décision singulière méritant d’être décryptée.

Question n°1 : Pouvez-vous nous préciser dans quel contexte juridique l’arrêt du Conseil d’Etat annulant la doctrine administrative[1] a été rendu ?

Réponse : Oui. Il n’est pas nouveau et concerne des situations assez courantes en pratique.

L’article 787 B du Code général des impôts exonère à certaines conditions de droit de mutation à titre gratuit à hauteur de 75 % de leur valeur, les titres sociaux de sociétés « ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale » transmis par donation ou par décès. La pratique qualifie ces activités d’ « opérationnelles ».

La délimitation du domaine d’application de cette exonération au regard de l’activité exercée par la société suscite de nombreuses difficultés. L’une d’elles réside dans l’exercice par la société d’une activité mixte c’est à dire pour partie opérationnelle et pour partie patrimoniale. Ces situations sont assez courantes en pratique. L’exercice d’activités composites peut d’ailleurs simplement résulter de la détention par la personne morale d’actifs patrimoniaux qu’elle gère parallèlement à son activité économique.

La question se pose de savoir si de telles structures peuvent bénéficier du régime de faveur ; et dans l’affirmative suivant quelles modalités ?

Question n°2 : Comment cette situation est-elle appréhendée par les dispositions applicables à l’exonération Dutreil ?

Réponse : Le texte (CGI, art. 787 B) n’aborde pas cette question qui a dû être appréhendée par la doctrine administrative.

Dans le silence du texte le Bofip-impôts énonce trois principes repris dans autant d’alinéas d’un même paragraphe dédié à détermination du champ d’application de ce régime de faveur (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 20) :

–  L’administration admet qu’il n’est pas exigé que les sociétés exercent à titre exclusif une activité opérationnelle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale pour être éligibles à l’exonération partielle.

–  Elle réserve toutefois le bénéfice du régime de faveur aux seules sociétés exerçant à titre prépondérant, c’est-à-dire principal, une activité opérationnelle.

– Enfin, elle détaille les critères qui, d’après elle, doivent permettre au regard de deux critères cumulatifs de cerner la prépondérance des activités exercées : « le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s’apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total) et le montant de l’actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l’actif brut) ».

Question n°3 : Ces indications du bofip étaient-elles satisfaisantes ? Quelle était la position de la doctrine ?

Réponse : Non. Les critères retenus pour procéder l’analyse de la prépondérance des activités étaient inappropriés et critiqués en doctrine.

Plus précisément, si du moins pour les sociétés exerçant directement une activité éligible[2], le critère du chiffre d’affaires retiré des différentes activités constitue un indice significatif de prépondérance, ce n’est assurément pas le cas de celui inhérent à l’actif brut immobilisé.

Nous avions eu l’occasion de détailler les raisons pour lesquelles les indications du bofip qui retenaient un tel étalon étaient à nos yeux « en soi rigoureusement dépourvues de sens et totalement inappropriées [3] » et vouées à la censure en cas de contentieux.

Une entreprise peut exercer une activité exclusivement commerciale et néanmoins détenir un actif constitué à titre prépondérant d’éléments d’actifs circulants. L’activité de marchand de biens qui était en cause illustre fort bien ce constat.

L’inverse est vrai : une société peut détenir un actif composé majoritairement d’immobilisations tout en exerçant une activité patrimoniale. C’est le cas lorsque son actif est majoritairement composé d’actifs durablement affectés à une activité patrimoniale.

Question n°4 : La situation factuelle ayant donné lieu à la décision du Conseil d’Etat s’inscrivait-elle dans cette problématique ?

Réponse : Oui, pleinement.

Elle correspondait à l’une des illustrations que nous avions fournies pour souligner l’absence de pertinence du dernier critère d’appréciation retenu par la doctrine administrative précitée.

Nous avions tenté de démontrer[4] qu’il pouvait conduire à refuser le bénéfice du régime de faveur à une société en raison de l’importance de ses stocks au motif qu’il s’agit d’éléments d’actifs circulants ; et ce alors même que ces biens sont par essence affectés à l’activité opérationnelle exercée par la société.

Au cas présent, les époux A détenaient 97,75 % des actions d’une SAS dénommée FONCIERE ACTIVE dirigée par l’époux. Ils avaient souscrit par acte notarié un engagement collectif de conservation en vue de transmettre les actions à leurs enfants. La société exerçait principalement une activité, d’achat de biens immobiliers en vue de leur revente, de transaction et de promotion immobilière.

Par définition, les biens immobiliers acquis par un marchand de biens et destinés à être revendus sont comptabilisés en stocks et figurent à l’actif circulant du bilan de la société.

Outre son activité « principale » de marchand de biens, transaction et promotion immobilière, la SAS FONCIERE ACTIVE exerçait également une activité patrimoniale de location d’immeubles de rapport réalisée via des participations détenues dans des SCI. Elle exerçait donc une activité mixte.

En raison de l’importance de la valorisation de son stock pourtant affecté à son activité opérationnelle de marchand de biens, l’actif circulant de la société s’élevait à 12.000.000 €, ce qui s’avérait notablement supérieur à son actif immobilisé évalué à 5.000.000 €.

 Le second des critères cumulatifs d’appréciation de la prépondérance des activités énoncés par la doctrine administrative faisait par conséquent, si on suivait l’analyse de l’administration, assurément obstacle à l’éligibilité de la transmission d’actions à l’exonération Dutreil.

C’est pourquoi les époux A dont l’intérêt à agir était indéniable sollicitèrent dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir l’annulation du dernier alinéa de la doctrine administrative précitée. Un tel recours est recevable à l’égard d’instructions fiscales faisant grief. Il en va ainsi notamment lorsque l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter méconnaît le sens et la portée des dispositions qu’elles sont censées expliciter ou réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure[5].

Question n°5 : Quelle est la décision du Conseil d’Etat ?

Réponse : Elle annule purement et simplement l’alinéa du Bofip-impôt énonçant les critères d’appréciation de la prépondérance des activités.

Après avoir rappelé que : « le recours formé à l’encontre des dispositions impératives de circulaires ou d’instructions par lesquelles l’autorité administrative interprète les lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre doit être accueilli s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnait le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure »,  le Conseil d’Etat énonce qu’il résulte du premier alinéa de l’article 787 B du Code général des impôts que peuvent bénéficier de l’exonération partielle « les parts ou actions d’une société qui, ayant également une activité civile autre qu’agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s’appréciant en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et des conditions de son exercice », ce qui le conduit à annuler le dernier alinéa du paragraphe 20 du BOFIP précité (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10) qui méconnait le sens et la portée du premier alinéa de l’article 787 B du CGI.

Question n°6 : Cette décision présente-t-elle une certaine originalité ?

Réponse : oui

Le Conseil d’Etat n’est pas d’ordinaire compétent pour connaître du contentieux relatif à l’exonération Dutreil. S’agissant de droits d’enregistrement, le contentieux relève des juridictions judiciaires.

Pour annuler cette partie du Bofip, le Conseil d’Etat est conduit à trancher au fond les questions de l’application de l’exonération partielle aux sociétés exerçant une activité mixte et des modalités d’appréciation de la prépondérance des activités.

Il le fait en énonçant deux principes :

– d’une part, il résulte de l’article 787 B du CGI que les sociétés exerçant une activité mixte, peuvent bénéficier du régime de faveur dès lors qu’elles exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.

– d’autre part, la prépondérance des activités exercées doit s’apprécier en retenant la méthode du faisceau d’indices et en ayant égard à la nature de l’activité et aux modalités de son exercice.

Cette approche diverge fondamentalement de celle retenue par la doctrine administrative qu’elle désavoue.

D’une part, selon la Haute Juridiction, l’application du régime de faveur aux sociétés exerçant une activité mixte ne résulte pas d’une tolérance concédée par la doctrine administrative. Elle dérive directement de la loi. Les indications du Bofip précisant que les sociétés exerçant une activé mixte sont éligibles au régime de faveur dans la mesure où leur activité opérationnelle est prépondérante sont donc purement explétifs.

D’autre part, la prépondérance des activités ne doit pas s’apprécier suivant les critères mathématiques et objectifs énoncés par le BOFIP, mais en retenant un faisceau d’indices intégrant l’activité exercée et les conditions de son exercice[6].

On notera également que l’arrêt écarte ainsi l’analyse soutenue en doctrine, fondée sur une lecture littérale du texte suivant laquelle toute société exerçant une activité opérationnelle, même accessoire, serait éligible à l’exonération partielle[7]. Une telle fixation du domaine d’application de l’exonération n’est retenue ni par l’administration fiscale, ni par le Conseil d’Etat.

Question n°7 : Faut-il approuver cette décision ? Suscite-t-elle des réserves en pratique ?

Réponse : Oui.

On ne peut bien sûr qu’approuver l’annulation prononcée, la doctrine administrative invalidée étant manifestement erronée. Pour autant, cette décision n’est pas aisée à mettre en œuvre. Ni en elle-même ni pour ce qui concerne les principes qu’elle énonce. Le praticien pourra aussi, paradoxalement y déceler un certain reflux en termes de sécurité juridique. Mais toutes questions seront développées dans un prochain numéro de la Newsletter de l’AUREP…


[1] CE, 8ème et 3ème Ch., 23 janvier 2020, n° 435562, Juris-Data n° 2020-000738 ; B. LIGNEREUX, Exonération Dutreil et activités mixtes, Dr. fisc. n° 8, 20 janvier 2020, comm. 155 ; J.-F. DESBUQUOIS, Application du dispositif Dutreil aux sociétés exerçant une activité mixte : importante mise au point du Conseil d’Etat, RFP mars 2020, 3, p. 1 ; P. CARCELERO et G. DUMONT, Régime Dutreil : le Conseil d’Etat annule les critères de prépondérance de l’activité éligible, Francis LEFEBVRE FR 18/20, 9 avril 2020, 16 ; F. FRULEUX, Le point sur l’application de l’exonération « Dutreil » aux sociétés exerçant une activité mixte, APSP 2020, n°2,2, p. 51.

[2] Les holdings nécessitent de retenir une approche spécifique et d’adapter les critères d’appréciation de la prépondérance, celui inhérent au chiffra d’affaires étant par hypothèse inopérant, V. infra.

[3] F. FRULEUX, Application des critères de prépondérance des actifs détenus aux sociétés holdings animatrices, JCPN 2018, n° 17, 1176, p. 37. ; V. également,  J.-F. DESBUQUOIS, Les pactes Dutreil, EFE, 2017, n° 16 ; Ph.. GOSSET et S. DELPLANCKE, Conditions d’activité des régimes Dutreil : la doctrine administrative est-elle légale ?, Dr, fisc, 7/8, 2018, 177.

[4] F. FRULEUX, art. préc. p. 37.

[5] CE, 26 novembre 2007, n° 300828 ; CE 26 juillet 2006, n° 284930 ; BOI-CTX-REP-10, n° 110.

[6] A cet égard, cette décision doit assurément être rapprochée de celle rendue en formation plénière le 13 juin 2018 dans le cadre de l’abattement « renforcé » en matière de plus-value pour départ en retraite (CGI art. 150 0 D ter) a énoncé qu’« une société holding qui a pour activité principale outre la gestion d’un portefeuille de participations, la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de ses filiales et le cas échéant et à titre purement interne la fourniture de services (…) est animatrice de son groupe de sociétés et doit par suite être regardée comme une société exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière » (CE Plén., 13 juin 2018 n°395495, Dr. fisc. 2018, n°27, comm. 321 ; Concl. Y. BENARD, note G. POULAIN ; A. GAMIN et P. ZILBERSTEIN FR 31/2018 Inf. p. 3 ; F. FRULEUX, Animation d’un groupe de sociétés : définition, régime et preuve à propos de CE 13 juin 2018, JCPN 2018, n°43-44,1329).

[7] V. Ph. GOSSET et S. DELPLANCKE art. préc.

Droit fiscal
François FRULEUX

François FRULEUX

Docteur en droit

Diplômé Supérieur du Notariat

Maître de conférences associé à l’Université Paris-Dauphine

Membre du Centre de Recherche Droit Dauphine (CR2D)

Directeur du Jurisclasseur Fiscal Enregistrement Traité

Membre du comité scientifique de la revue Actes pratiques et stratégie patrimoniale, du Jurisclasseur Ingénierie du patrimoine et du Lexis Pratique Fiscal

Consultant auprès du CRIDON Nord-Est

Enseignant à l’AUREP