Prorogation d’un usufruit temporaire et article 13-5 du CGI

Eclairage du 16 février 2024 - N°499

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Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 9 novembre 2023 (n° 21NC00702) vient soulever une question inconnue jusqu’à maintenant dans la jurisprudence fiscale.

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En l’occurrence, une SCI avait cédé un usufruit temporaire à une SARL pour une durée de onze ans à une époque où l’article 13-5 du CGI n’était pas encore en vigueur, article dont on rappelle qu’il qualifie fiscalement de revenu le prix de cession de la première cession d’un usufruit temporaire. Quelques jours seulement avant l’expiration du terme ainsi prévu, les parties décidaient d’une prorogation de cet usufruit pour une durée supplémentaire de six ans moyennant le versement d’une somme de 120 000 €.

Approuvée en cela par la Cour de Nancy, l’administration considéra que le prix de cette prorogation devait faire l’objet d’une imposition au titre de l’article 13-5 précité. Elle estimait être en présence de la cession d’un premier usufruit temporaire, celle-ci étant intervenue postérieurement à l’adoption de ces dispositions légales. Pour la cour, bien qu’elle soit décidée avant le terme de l’usufruit d’origine, le fait que la prorogation prenne effet le lendemain de ce terme suffit à considérer que l’on est en présence d’une première cession d’un usufruit temporaire tombant sous le coup des dispositions de l’article 13-5 du CGI.

On avoue avoir dans un premier temps douté de la pertinence de cette imposition. En effet, pour que celle-ci ait un sens, il faudrait considérer que la prorogation de la durée de l’usufruit constitue véritablement en elle-même une première cession d’un usufruit temporaire. Et dès lors que l’on est en présence d’une mutation, on doit examiner cette problématique au regard du droit des contrats pour déterminer si une prorogation du terme constitue ou non un nouveau contrat, autrement dit une novation du contrat initial. Cette question résolue, il faudra ensuite se prononcer sur le sort fiscal de la somme perçue à raison de la prorogation de la durée de l’usufruit.

La prorogation constitue-t-elle une première cession d’un usufruit temporaire ?

En vérité, la discussion est ouverte car deux théories entrent en collision l’une avec l’autre.

Dans une première acception, si l’on examine la question au regard du droit des contrats, rien n’interdit aux parties d’un contrat de prolonger dans la durée les effets de celui-ci avant l’arrivée de son terme. La prorogation s’inscrit alors dans le cadre juridique d’origine. Il n’en est autrement que dans l’hypothèse où, juridiquement, il s’agit en fait d’une novation parce que les conditions d’exécution du contrat sont substantiellement modifiées à l’occasion de ladite prorogation.  

Jusqu’ici, deux notions s’opposent donc : la prorogation de contrat et la novation de contrat. Comme l’écrit François-Xavier Licari (J-Cl. Contrats Fasc. 70 : Contrat. – Durée du contrat), “La prorogation d’un contrat parfois appelée « report de terme » consiste en son prolongement par un accord de volonté des parties repoussant le terme extinctif prévu au contrat. La durée du contrat est donc prolongée”. Et il ajoute ”Puisque le contrat est simplement continué dans son état initial, la prorogation le maintien dans toutes ses dispositions. Le contenu du contrat est le même, et demeure régi par la loi applicable au jour de sa conclusion“.

A l’inverse, la novation de contrat est “un nouveau contrat qui provient d’un changement de cause de l’obligation(Didier Cholet, La novation de contrat : RTD Civ. 2006 p.467). Et la cause du contrat s’entend du but que se sont fixés les parties au contrat.

La prorogation de la durée d’un usufruit relève-t-elle de ce cadre juridique ?

En vérité, une seconde acception parait s’y opposer. En effet, lorsque l’on parle de prorogation du terme d’un contrat, on traite de la prorogation du terme d’une obligation. Ainsi en est-il de la prorogation du terme d’un contrat de bail par exemple. En revanche, dans le cadre qui nous occupe ici, le contrat ne porte pas sur une obligation mais sur la cession d’un droit réel immobilier. On est en présence d’une prorogation d’un contrat de vente. C’est un peu comme si, initialement l’on cédait 100 kilos de pommes de terre à un tiers et que l’on décide ensuite de lui en vendre 20 kilos de plus. On serait bien alors en présence d’une nouvelle vente et non d’une simple prorogation du contrat de vente initial.

Au demeurant, les conséquences de la prorogation d’une obligation ou d’un contrat de vente d’un droit réel sont tout à fait différentes. Dans le premier cas, chacune des parties continue de tirer profit du contrat dans le temps dans les mêmes conditions. La prorogation d’un contrat de bail permet ainsi au bailleur de continuer de percevoir les loyers jusqu’au nouveau terme assigné au contrat par la prorogation. Elle n’est, elle-même, pas assortie d’une contrepartie financière directe et immédiate à son profit. En revanche, la prorogation d’un usufruit est assortie d’un prix et c’est logique en ce qu’elle repose sur une renonciation, par le propriétaire, aux fruits du bien à raison de la période nouvelle issue de celle-ci. Dans l’affaire jugée par la cour de Nancy, le cédant percevait de la sorte 120 000 € à raison de la prorogation de l’usufruit pour une durée de six ans. Force est alors de constater que cette compensation ressemble trait pour trait au prix de cession d’un nouvel usufruit, le prix de vente des 20 kilos supplémentaires dans notre illustration potagère.

A dire vrai, entre ces deux analyses, la seconde parait devoir s’imposer dès lors que la prorogation porte, non sur une obligation mais sur un contrat de vente d’un droit réel immobilier, elle-même assortie de l’encaissement d’un prix de cession. Au regard de cette analyse, la décision de la cour administrative d’appel de Nancy parait reposer sur un fondement juridique sérieux. Même si la prorogation survient quelques jours avant le terme de l’usufruit initial, il y a bien cession d’un nouvel usufruit.

Maintenant, cette seconde cession relève-t-elle des dispositions de l’article 13-5 du CGI.

La prorogation de l’usufruit et l’article 13-5 du CGI

Le prix encaissé par le nu-propriétaire devenu plein propriétaire à l’extinction de l’usufruit initial prend fiscalement naissance à la date même de la prorogation. Celle-ci constitue alors le fait générateur de cette perception. La loi fiscale applicable à cette perception est celle en vigueur à la date de ce fait générateur. Or, l’article 13-5° du CGI dispose que ce prix de cession constitue un revenu. Mais, faut-il encore vérifier que l’on est véritablement en présence d’une première cession d’un usufruit temporaire, car l’imposition de l’article 13-5 du CGI est réservée à cette situation. La réponse ne peut venir, là encore, que du droit civil. On sait en effet que le juge fiscal tient le civil en haute estime et se fonde toujours sur la qualification juridique des opérations pour déterminer en suite le régime fiscal applicable à l’opération considérée (Pour un exemple CE  30 décembre 2011, n° 330940, ″Motte Sauvaige″. – P. Fernoux et M. Iwanesko, Donation-cession : le civil tient le fiscal en l’état : Droit fiscal 2012, n° 20, pp. 23 et s.).

Comme on l’a vu, au regard des qualifications propres au droit civil, la prorogation de la durée de l’usufruit parait devoir être considérée comme une nouvelle cession d’un usufruit temporaire. Mais seule la première mutation de l’usufruit temporaire est de nature à tomber sous le coup de l’article 13-5 précité. Or, la cession initiale donne lieu à une imposition et l‘on pourrait être tenté de considérer que la seconde cession issue de la prorogation constitue au fond une seconde mutation du même usufruit. Tel n’est cependant pas le cas. En effet, par seconde cession d’un même usufruit, il faut entendre une cession par l’usufruitier de l’usufruit qu’il détient. Comme le précise l’administration : “Lorsque l’usufruit temporaire consenti par le contribuable s’éteint à l’arrivée du terme et que ce dernier consent un nouvel usufruit temporaire, chacune de ces cessions s’analyse comme une première cession portant sur un usufruit temporaire”. Dans ces conditions, on doit conclure à l’applicabilité de l’article 13-5° du CGI au prix perçu par le propriétaire à raison de la prorogation.

Rapporté à l’affaire soumise à la juridiction de la cour de Nancy, le même raisonnement doit recevoir application même si la cession initiale était intervenue alors que les dispositions de l’article 13-5° précité n’étaient pas encore en vigueur et avait donné lieu à l’apparition et la taxation d’une plus-value immobilière des particuliers. Du fait de la prorogation, on était bien en présence d’un nouveau contrat de vente constituant effectivement la première cession d’un usufruit temporaire de nature à être soumise à la rigueur de l’article 13-5° du CGI.

Les conseils à tirer de ces développements

Inutile de finasser avec l’administration en mettant en place une prorogation de la durée de l’usufruit avant l’arrivée du terme assigné à l’usufruit initial histoire d’éviter la soumission du prix de cette prorogation à l’impôt sur le revenu sur le fondement de l’article 13-5° du CGI. Cette prorogation revêt les habits d’un nouveau contrat de vente portant sur l’usufruit du même bien. Le nu-propriétaire redevenant plein propriétaire à l’extinction de l’usufruit initial sur le fondement de l’article 617 du Code civil, une nouvelle première cession d’un usufruit temporaire intervient justifiant l’imposition.

Maintenant, il est vrai que la solution repose sur une analyse d’une prorogation différente de la classique prorogation du terme d’une obligation. Le contrat initial porte cession d’un droit réel immobilier pour un temps donné. A l’arrivée du terme de l’usufruit, le contrat prend fin. Si l’on souhaite prolonger la stratégie de démembrement de l’immobilier, il n’y a d’autre choix que de conclure un nouveau contrat portant cession de l’usufruit pour un nouveau délai.

On restera néanmoins en éveil pour connaître la position du Conseil d’Etat. Il pourrait en effet être saisi de cette affaire par le biais du recours en cassation pour autant que le contribuable ne se considère pas satisfait par la décision de la cour de Nancy.

Droit fiscal
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX