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Le Quasi-usufruit, (comme l’usufruit), qui s’éteint ne rejoint pas la nue-propriété.

Eclairage du 22 janvier 2021 - N°370

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PAS SIMPLE DE COMPRENDRE LE QUASI-USUFRUIT

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À propos d’un arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2020 (n° 19-14421)

Lorsque l’usufruitier décède, l’usufruit s’éteint faute d’usufruitier. Comme l’a affirmé depuis fort longtemps Jean-Baptiste Victor Proudhon : « il ne peut y avoir d’usufruit là où il n’y a plus d’usufruitier ». (V. Traité des droits d’usufruit, d’usage, d’habitation, t. 4, 1837, p. 358).

Si l’usufruit a porté sur des actifs consomptibles par le premier usage, tels que des actifs monétaires (compte courant, livret bancaires divers, etc.) l’usufruitier, en application de l’article 587 du code civil, a pu s’en servir comme un plein propriétaire : « …. mais à charge, de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».

Le quasi-usufruit fait de l’usufruitier un quasi-usufruitier (nous aurions préféré le mot quasi-propriétaire), débiteur d’une obligation de restitution et du nu-propriétaire le propriétaire d’une créance de restitution.

Cette distinction, remise en lumière par l’AUREP depuis bien longtemps (1992), (V. Jean Aulagnier, Usufruit et nue-propriété dans la gestion de patrimoine, Ed. Maxima, 1992, p. 40), est clairement confirmée par les juges de la Cour de cassation dans l’arrêt cité.

« L’arrêt (Aix-en-Provence, 13 février 2019), relève qu’à son décès, R… L… a transmis à D… Q… l’usufruit de ses comptes bancaires et qu’en vertu de cet usufruit, celui-ci disposait, conformément à l’article 587 du Code civil, du droit d’utiliser ces sommes mais à charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité, soit leur valeur estimée à la date de la restitution.

« Il (l’arrêt d’appel) énonce ensuite, à bon droit, que, dès avant le décès de son père, en sa qualité de nue-propriétaire de ces sommes, A… Q… avait vocation à la pleine propriété de ces comptes, alors même qu’elle n’en était pas encore titulaire et n’en avait pas la jouissance.

« De ces constatations et énonciations, la cour d’appel a justement déduit qu’au décès de D… Q…, cet usufruit avait rejoint la nue-propriété échue entre-temps à la succession de A… Q…, de sorte que ses légataires universels étaient tenus de restituer à la succession de celle-ci la valeur des comptes bancaires de R… L… ».

Pour  nous faire comprendre, nous pensons utile de faire le rappel suivant.

Si l’usufruitier encaisse les revenus produits, le quasi-usufruitier encaisse le capital « usufruité ». Si les utilités de ses droits ne sont pas parfaitement identiques, encore que, disposant du capital, le quasi-usufruitier peut percevoir des revenus en plaçant le capital dont il a acquis la quasi-propriété, la valeur des droits d’usufruit ou de quasi-usufruit sont rigoureusement identiques.

La valeur d’un usufruit est égale à la valeur actuelle des revenus futurs, alors que la valeur d’un quasi-usufruit est égale à la valeur actuelle du capital futur à restituer.

Soit un capital de 100.000 euros, imaginons que placé il rapporte 3% soit un revenu nominal de 3.000 € susceptible de profiter à un usufruitier dont la durée de vie probable serait de 10 ans, la valeur calculée de cet usufruit serait de 25.600 euros et la nue-propriété 74.400 euros

Soit un capital de 100.000 euros, qui grâce aux dispositions de l’article 587 du Code civil profite au quasi-usufruitier et dont il devra rendre l’équivalent, la valeur calculée de cette dette serait également de 25.600 et celle de la créance 74.400 euros.

Chaque année qui s’écoule, sous l’effet du temps, valorise exactement de la même manière la valeur de la nue-propriété ainsi que la valeur de la créance de restitution de telle sorte qu’au terme le nu-propriétaire ou le créancier de la restitution dispose d’une valeur identique.

L’arrêt commenté réaffirme une position aujourd’hui très classique, qui en soi, ne justifierait d’aucun commentaire particulier, sauf que les juges de la Cour suprême pour expliquer le quasi-usufruit utilise une présentation que nous critiquons.

Nous discutons des points suivants :

Il est affirmé que le nu-propriétaire des comptes bancaires a « vocation à la pleine propriété » de ces comptes. Non, ce n’est pas parfaitement exact.

D’une part, parce qu’il a vocation à la restitution d’une somme équivalente aux comptes bancaires, il est propriétaire, au jour même du démembrement de propriété d’une créance monétaire dont le débiteur est l’usufruitier, créance exigible au jour de l’extinction d’une valeur future égale au montant des comptes et livret bancaires.

D’autre part, comme l’écrit le législateur fiscal dans l’article 1133 du Code général des Impôts, ainsi d’ailleurs qu’une très large majorité de la doctrine civile, les juges considèrent que cette créance de restitution s’explique parce que ce quasi-usufruit, comme l’usufruit, aurait « rejoint » la nue-propriété, échue en son temps à la succession.

Nous dénonçons cette présentation inappropriée (V. Jean Aulagnier, L’usufruit qui prend fin ne rejoint pas la nue-propriété, Solution Notaire, 24 octobre 2019, n° 34), car contraire à la réalité.

On ne voit pas selon quel mécanisme, un usufruit éteint (donc n’existant plus par défaut d’existence de l’usufruitier) pourrait rejoindre la propriété détenue par celui qui avait la qualité de nu-propriétaire.

La doctrine dominante considère que pour expliquer l’enrichissement du nu-propriétaire devenu seul propriétaire, il est indispensable d’affirmer que les revenus non consommés par l’usufruitier en raison de sa disparition se retrouveraient entre les mains du propriétaire et donc rejoindraient la nue-propriété. L’usufruitier décédé « rendrait » ce qu’il n’a pas consommé.

Cette exigence n’est absolument pas fondée. Elle est, qui plus est, injustifiable.

En effet, l’augmentation de la valeur de la nue-propriété et donc de l’enrichissement du nu-propriétaire ne sont que la conséquence de la valorisation « mécanique » de la nue-propriété par l’écoulement du temps. Le nu-propriétaire ne reçoit rien de plus que ce qu’il détient du jour même du démembrement de propriété. (V. Jean Aulagnier, Dimension économique de l’usufruit et de la nue-propriété, L’usufruit, Journées nationales Bordeaux, Ed. Dalloz, Mars 2020). Nous continuerons à dénoncer cette présentation, espérant que par l’effet du temps nous finirons bien par convaincre.

Ce qui est vrai pour l’usufruit l’est également pour le quasi-usufruit. Le quasi-usufruitier a disposé librement du capital monétaire. Il a eu le droit de consommer tout le capital. Il doit rendre l’équivalent, c’est-à-dire payer sa dette à ceux qui ont acquis la qualité de créancier. Le quasi-usufruit ne rejoint certainement pas la nue-propriété, mais rend exigible la dette de restitution, à sa valeur nominale.

Le temps qui passe rapproche la créance détenue par le nu-propriétaire, du jour de son paiement. La créance de restitution se valorise. La créance de restitution au jour de la naissance du quasi-usufruit n’est pas égale à sa valeur nominale au terme, mais à sa valeur actualisée.

On l’a démontré depuis longtemps, la valeur des droits futurs possédés (qu’ils soient composés de revenus ou de capital) est déterminée par leur actualisation. Elle est fonction du temps qui sépare le jour de l’évaluation du jour de leur perception et de leur consommation. Le capital dû en année n+10 deviendra un jour le capital de l’année 0, donc exigible et sa valeur en sera évidemment majorée, majoration mesurée par application de la méthode dite d’actualisation des capitaux futurs et donc égale à la valeur nominale des actifs soumis au quasi-usufruit.

Nous voulons convaincre que la valorisation des droits tant du nu-propriétaire (usufruit) que du créancier (quasi-usufruit), constatée au jour de la fin du démembrement par arrivée du terme ne peut pas s’expliquer par l’adjonction de l’usufruit ou du quasi-usufruit à la nue-propriété.

Reconnaissons que, si pour les professionnels, ces différents concepts ne sont pas simples à maîtriser, ce doit être bien pire pour les épargnants. Il nous appartient d’aider à leur compréhension, par exemple en proposant quand il convient la signature « d’une convention de reconnaissance et d’explication du quasi-usufruit ».

Recommandation pratique :

RECONNAITRE ET EXPLIQUER LE QUASI-USUFRUIT

Cet acte qui peut être rédigé par tout CGP disposant de la compétence juridique appropriée (CJA) a essentiellement pour objet d’expliquer aux parties la nature et la valeur du quasi-usufruit.
Il pourrait être rédigé de la manière suivante lorsque l’usufruit porte par exemple sur des actifs monétaires, consomptibles par le premier usage, issus d’une dévolution successorale.
Situation familiale :
Mr LAVAUR Paul, époux de Mme PONCET, décédée,
Melle LAVAUR Emma, sa fille unique issue de son union avec Mme PONCET

ENTRE LES SOUSIGNES

Mr LAVAUR Paul…. né à……, espérance de vie 15,60 ans, l….. demeurant à ….
D’une part
Et
Melle LAVAUR Emma . née à ….. le ….. demeurant à
D’autre part

EXPOSÉ PRÉALABLE

1° – Mme PONCET épouse de Mr LAVAUR, est décédée en son domicile, le ….

Laissant pour lui succéder
Mr LAVAUR Paul, usufruitier de l’ensemble des biens composant sa succession
Melle LAVAUR Emma, nue-propriétaire de l’ensemble de ces mêmes biens
En vertu des dispositions contenues dans la donation entre époux reçu par Maitre PLAT notaire à …. en date du.., donation libellée comme suit :
« Mme PONCET, fait donation à Mr LAVAUR, dans le cas où il lui survivrait de l’usufruit de tous les biens, , composant sa succession, sans exception ni réserve ».
Ces qualités constatées dans un acte de notoriété établi par Maitre PLAT, en date du…
2° – La succession de Mme PONCET épouse LAVAUR, comprend, entre autres, les actifs monétaires suivants en dépôt à la Banque Postale :
Un compte courant, d’un montant au décès de : 50.000 €
Un livret d’épargne, d’un montant au décès de : 150.000 €
Soit au total : 200.000 euros

CECI EXPOSÉ, Il EST PRÉCISÉ CE QUI SUIT :

1° – Compte tenu de la nature consomptible des actifs ci-dessus désignés et évalués et en application des dispositions de l’article 587 du Code civil, précisant que :
« Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution »
Mr LAVAUR Paul pourra faire virer les sommes du compte courant et du livret de Mme PONCET née LAVAUR à la banque postale à son compte ouvert auprès du CIC, numéro…
2° – Mr LAVAUR Paul et Melle LAVAUR Emma donnent ordre à la Banque Postale de réaliser ces opérations de virement sans délai.
3° – Mr LAVAUR Paul, qualifié alors de quasi-usufruitier pourra disposer et faire usage de ces sommes comme il lui conviendra
4° – Mr LAVAUR Paul et Melle LAVAUR Emma déclarent avoir parfaitement compris la différence des droits d’un usufruitier et de ceux d’un quasi-usufruitier. L’usufruitier perçoit et jouit des revenus produits par le bien supportant l’usufruit alors que le quasi-usufruitier perçoit et jouit des capitaux soumis à l’usufruit, libre à lui d’en faire l’usage qui lui convient.
5° – Melle LAVAUR Emma renonce à se prévaloir des dispositions des articles 601, 602 et 1094-3 du code civil et dispense en conséquence Mr LAVAUR Paul, tant de donner caution que de faire emploi.
6°- Mr LAVAUR Paul se reconnait débiteur à l’égard de sa fille Melle LAVAUR Emma de la restitution de la somme de DEUX CENT MILLE euros, ladite somme non productive d’intérêts, exigible au jour de l’extinction de l’usufruit, c’est-à-dire au jour de son décès, en application des dispositions de l’article 617 du code civil qui stipule que « L’usufruit, s’éteint par la mort de l’usufruitier », somme convenue payable par ses héritiers dans un délai maximum de trois mois du jour de survenance de son décès.
7° – Cette dette de restitution d’un montant de DEUX CENT MILLE euros constituera un passif déductible de la succession de Mr LAVAUR Paul. Cette dette est en effet opposable à l’administration fiscale, même en l’absence d’enregistrement, n’étant pas concernée par les dispositions de l’article 773, 2èmè du CGI.
8° – Mr LAVAUR Paul et Melle LAVAUR Emma reconnaissent avoir été informés de l’ordre de grandeur des valeurs actuelles respectives de leur droits, valeurs calculées par application de la méthode d’actualisation des revenus futurs, en retenant une durée d’usufruit de 20 ans (espérance de vie) et un taux d’actualisation de 2,50%
Droit de Mr LAVAUR quasi-usufruitier : 44.000 euros
Droits de Melle LAVAUR : 156.000 euros
S’ils décidaient de répartir entre eux ce jour la somme de 200.000 euros cette répartition calculée pourrait servir de base à leur négociation, chaque copartageant étant alors plein propriétaire de la fraction des sommes ci-dessus déterminées.
9° – Mr LAVAUR Paul et Melle LAVAUR Emma ont compris que ces valeurs calculées évoluent en fonction de l’écoulement du temps et du temps qui reste à vivre du quasi-usufruitier, les droits du quasi-usufruitier diminuent pour atteindre zéro au jour de son décès, alors que les droits de Melle LAVAUR augmentent pour valoir 200.000 euros au jour de leur exigibilité.

Simulation des valeurs calculées en fonction de la durée de vie probable du quasi-usufruitier et d’un taux d’actualisation toujours égal à 2,50% (tables d’espérance de vie INSEE 2014/2016).

Âge Espérance de vie Valeur du droit du Mr LAVAUR Valeur du droit de Melle LAVEUR
70 ans 15,60 64 000 136 000
75 ans 12,11 52 000 148 000
80 ans 8,91 40 000 160 000
85 ans 6,21 29 000 171 000
90 ans 4,21 20 000 180 000
Au jour du décès* 0 200 000
* quel que soit l’âge du quasi usufruitier au jour de son décès.

10° – Mr LAVAUR Paul et Melle LAVAUR Emma ont été informés que la valeur fiscale de leurs droits déterminés en application de l’article 669 du CGI est de 80.000 euros pour le quasi usufruit et de 120.000 euros pour le nu-propriétaire. Ces valeurs évolueront de la manière suivante, en fonction de la tranche d’âge à laquelle appartiendra Mr LAVAUR. Ces valeurs sont imposées par l’administration fiscale lorsqu’il s’agit de déterminer la base des droits de mutation

Tranche d’âge du quasi-usufruitier Au jour du décès * Mr LAVAUR – Quasi usufruit Melle LAVAUR – Propriété
Moins de 71 ans révolus 80,000 120,000 140,000
– de 81 ans révolus 60,000 140,000 160,000
– de 91 révolus 40,000 160,000 180,000
+ de 91 ans 20,000 180,000 200,000
Au jour du décès * 0 200,000 200,000
* quel que soit l’âge du quasi usufruitier au jour de son décès.

11° – Lorsque l’usufruit prendra fin par survenance du décès Mr LAVAUR, la créance de Melle LAVAUR Emma deviendra exigible, comme il a été indiqué ci-dessus au paragraphe 6, les héritiers de Mr LAVAUR devant restituer une somme équivalente aux capitaux soumis à son quasi usufruit, soit 200.000 euros. Étant alors, probablement, seule héritière de Mr LAVAUR Paul, elle sera alors débitrice et créancière de cette somme qui s’annulera par compensation..

12° – Mr LAVAUR et Melle LAVAUR conviennent de faire enregistrer la présente convention auprès du Centre de Finances Publiques de…

Fait à

En trois exemplaires

Droit civil
Jean AULAGNIER

Jean AULAGNIER

Président de la Commission Pédagogique et Scientifique de l'AUREP

Coresponsable pédagogique du certificat CCP

Responsable pédagogique du certificat GPS