Origines du prêt viager hypothécaire. D’inspiration anglo-saxonne, le prêt viager hypothécaire est issu de l’ordonnance du 23 mars 2006 portant réforme du droit des sûretés[1]. Toutefois, dans la mesure où il s’agit davantage d’un crédit que d’une sûreté, son régime est fixé par les articles L. 315-1 et suivants du Code de consommation et non par des textes du Code civil.
Selon cette disposition, « Le prêt viager hypothécaire est un contrat par lequel un établissement de crédit ou un établissement financier consent à une personne physique un prêt sous forme d'un capital ou de versements périodiques, garanti par une hypothèque constituée sur un bien immobilier de l'emprunteur à usage exclusif d'habitation et dont le remboursement principal et intérêts capitalisés annuellement ne peut être exigé qu'au décès de l'emprunteur ou lors de l'aliénation ou du démembrement de la propriété de l'immeuble hypothéqué s'ils surviennent avant le décès ». Elle ajoute que « Ce contrat peut également prévoir le même dispositif avec un remboursement périodique des seuls intérêts ».

Utilité du dispositif. L’objectif poursuivi est donc le suivant : un senior emprunte un capital en une ou plusieurs échéances, lequel est garanti par une hypothèque constituée sur un immeuble destiné à un usage d’habitation. Le remboursement interviendra lors du décès, ou préalablement en cas d’aliénation du bien.
Ce dispositif n’a pas connu le succès escompté. Il convient donc d’analyser les raisons de cet échec (II), lesquelles résultent d’un régime juridique perfectible (I), mais également les pistes d’amélioration proposées par les notaires (III).
I – Le régime juridique du prêt viager hypothécaire
Conditions de fond et de forme de l’opération. Le prêt viager hypothécaire ne peut être consenti que par un établissement de crédit (C. com., art. L. 315-2, al. 1er), son remboursement étant garanti par une inscription hypothécaire sur un immeuble à usage exclusif d’habitation. Ce prêt est en pratique destiné à permettre le financement des dépenses de fin de vie de l’emprunteur, la loi excluant son recours pour tout financement d’une activité professionnelle (C. cons., art. L. 315-3).
La particularité du prêt viager hypothécaire résulte de son remboursement, capital et intérêts compris, lors du décès de l’emprunteur. Il est également possible de stipuler le paiement des intérêts de manière périodique.
Bien évidemment, les conditions de publicité et de forme du contrat sont strictes (C. cons., art. L. 315-4 à L. 315-12), l’acte devant naturellement être authentique.
Durant le prêt, l’emprunteur risque de perdre le bénéfice du terme dans quatre hypothèses[2] :
- Soit parce qu’il entretient mal le logement (C. cons., art., L. 315-12) ;
- Soit parce qu’il en change la destination (C. cons., art. L. 315-14, al. 1er) ;
- Soit parce qu’il refuse au créancier l'accès à l'immeuble hypothéqué ne lui permettant pas de s'assurer de son bon état d'entretien et de conservation (C. cons., art. L. 315-14, al. 1er) ;
- Soit enfin parce qu’il ne paie pas les intérêts alors que le prêt stipule leur paiement périodique (C. cons., art. L. 315-14, al. 1er).
Dénouement de l’opération. Le dénouement normal de l’opération s’opère par le décès de l’emprunteur. Ses héritiers doivent alors payer la dette dans la limite de la valeur de l’immeuble à la date du décès, laquelle est estimée par un expert (C. cons., art. L. 315-20, al. 1er). Pour cette raison, la dette ne peut être réduite, voire effacée, du fait d’une procédure de surendettement frappant l’emprunteur[3].
A défaut de paiement par les héritiers, ou en leur absence, le créancier hypothécaire peut à son choix (C. cons., art. L. 315-20, al. 2) :
- Poursuivre la saisie et la vente de l'immeuble dans les conditions du droit commun, auquel cas la dette est plafonnée au prix de la vente ;
- Ou se voir attribuer la propriété de l'immeuble par décision judiciaire ou en vertu d'un pacte commissoire.
Pour rappel, le pacte commissoire permet au créancier muni d’une sûreté réelle de se voir attribuer le bien en cas de défaillance du débiteur (C. civ., art. 2452)[4].
Le remboursement est également exigé en cas d’aliénation ou de démembrement de propriété de l’immeuble hypothéqué (C. cons., art. L. 315-21), dans la limite de la valeur de l’immeuble telle que stipulée dans l’acte (C. cons., art. L. 315-15). Toutefois, le créancier peut la contester.
Enfin, l’emprunteur peut rembourser de manière anticipée le prêt, mais dans cette hypothèse le montant dû n’est pas plafonné à la valeur de l’immeuble (C. cons., art. L. 315-16).
II – Les raisons de l’échec du prêt viager hypothécaire
Les causes de l’échec. L’échec patent du prêt viager hypothécaire se traduit par l’existence d’un seul opérateur proposant cette solution[5]. Il résulte de trois causes[6] : la première a trait à l’inadéquation entre l’esprit de ce contrat et le rapport des Français à l’immobilier ; la deuxième résulte d’une prise de risque importante pour le prêteur emportant un coût élevé du crédit ; la troisième est liée à un régime juridique incompatible avec le droit des successions.
Un contrat inadapté en France. Le prêt viager hypothécaire est inspiré du reverse mortgage bien connu en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Cependant, le rapport des anglo-saxons à la pierre n’est pas le nôtre. En effet, les Français sont globalement plus attachés à l’immobilier, et à leur résidence principale, que les anglo-saxons. De surcroît, il a pu être mis en exergue que le reverse mortgage ne connaît qu’un succès mitigé aux Etats-Unis[7].
Un contrat risqué pour les parties. Le prêt viager hypothécaire est un contrat risqué pour le prêteur : d’une part, en cas de sur-longévité de l’emprunteur et, d’autre part, en cas baisse des prix de l’immobilier. Dans cette dernière hypothèse, la banque prend le risque de ne pas pouvoir recouvrer la totalité de sa créance. Pour cette raison, le prêteur n’octroiera un capital correspondant à environ 80 % de la valeur vénale de l’immeuble[8], ce qui en fait alors un contrat risqué pour l’emprunteur et ses héritiers.
Un contrat incompatible avec le droit successoral. Lorsque l’emprunteur est marié, alors qu’il souhaite consentir un prêt viager hypothécaire sur un immeuble propre ou personnel, son conjoint doit y consentir toutes les fois que le bien constitue la résidence principale des époux (C. civ., art. 215, al. 3).
En outre, lorsque les époux sont co-emprunteurs, le prêt devra normalement être remboursé lors du décès du survivant (C. cons., art. L. 315-20, al. 1er). Pourtant, ce texte s’articule mal avec l’article L. 315-1, alinéa 1er, du Code de la consommation, lequel prévoit l’exigibilité du remboursement lors du démembrement de propriété de l’immeuble hypothéqué[9]. Or il n’est pas rare en pratique que le conjoint survivant soit usufruitier de la succession au titre de ses droits légaux (C. civ., art. 757) ou de droits conventionnels (C. civ., art. 1094-1), et donc de l’immeuble. Toutefois, on pourrait imaginer que le texte ne vise en réalité qu’un démembrement issu d’une aliénation et non de l’ouverture d’une succession[10].
Lorsqu’un seul époux se porte emprunteur, son décès rend exigible le remboursement, alors que le conjoint peut prétendre à ses deux droits au logement.
D’une part, le droit temporaire d’un an au logement constitue un droit d’ordre public, non constitutif d’un droit successoral (C. civ., art. 763). Pour cette raison, il est permis de penser qu’il est opposable au créancier.
D’autre part, le droit viager au logement répond à une logique différente puisqu’il est constitutif d’un droit successoral s’imputant sur les droits légaux du conjoint et dont le prémourant peut le priver par testament authentique (C. civ., art. 764 et s.). Permettre son application nuit nécessairement aux droits du créancier, notamment s’il souhaite saisir le bien[11]. Dans le même temps, admettre que l’hypothèque soit opposable au survivant constitue une position discutable dans la mesure où le conjoint tient ses droits de la loi[12].
Enfin, le dispositif relatif au prêt viager hypothécaire ne s’articule absolument pas avec d’autres aspects du droit successoral. Par exemple, lorsque le défunt laisse plusieurs héritiers, rien n’est prévu s’agissant des modalités d’exercice de leur choix entre le paiement de la dette ou la saisie de l’immeuble. Or le créancier hypothécaire, parce qu’il bénéficie d’un titre exécutoire, pourrait procéder à la saisie huit jours après l’avoir signifié aux enfants (C. civ., art. 877)[13].
III – Les pistes d’amélioration proposées par le notariat
Pérenniser l’existant. Le rapport du 119ème Congrès des notaires se tenant à Deauville en septembre 2023 met parfaitement en exergue les limites du prêt viager hypothécaire et propose ainsi des pistes d’amélioration[14].
Sur le plan juridique, il est proposé à très juste titre[15] :
- La création d’un délai permettant aux héritiers d’opter entre le remboursement du prêt où délaissement de l’immeuble au prêteur. Ce délai pourrait être de quatre mois à compter du décès, car il s’agit de la solution retenue en l’état du droit positif (C. civ., art. 771) ;
- La nécessité d’assurer l’effectivité du droit temporaire au logement d’un an même si le prêteur saisit le bien ;
- Un modification des textes prévoyant que le démembrement de propriété de l’actif résultant du décès d’un co-emprunteur n’emporte pas l’obligation du remboursement lorsque l’emprunteur survivant est le conjoint du défunt usufruitier de la succession.
Ouvrir le dispositif à d’autres hypothèses. Par ailleurs, deux autres pistes évoquées par le rapport méritent l’attention.
La première vise à créer un fonds de garantie institutionnel, lequel aurait pour objet d’ « encourager les banques à commercialiser le prêt viager hypothécaire en contrepartie d’un taux non prohibitif, proche des taux proposés pour des prêts classiques et de l’octroi d’un capital plus important »[16].
La seconde repose sur l’ouverture du prêt viager hypothécaire au cercle familial. On pourrait alors imaginer qu’un enfant consente un prêt à ses parents, lequel serait garanti par une hypothèque sur un immeuble d’habitation tout en étant remboursable au décès du survivant d’eux[17].
En définitive, espérons que les pouvoirs publics se saisissent de ces idées nouvelles s’ils ne veulent pas voir le prêt viager hypothécaire disparaître.
[1] Pour une présentation générale, M. Grimaldi, « L’hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire », JCP G 2006, n° 1020, 100009, spéc. n° 10 et s.
[2] D. Houtcieff et Fr.-X. Licari, JCl. Code civil, v° art. 1905 à 1908, Fasc. 40 : Prêt viager hypothécaire, 2023, n° 58 et s.
[3] Cass. 2ème civ., 14 sept. 2014, n° 13-18.882.
[4] Une telle clause est interdite lorsqu’elle porte sur la résidence principale de l’emprunteur, mais ici elle est licite dans la mesure lorsqu’elle déploie ses effets l’emprunteur est décédé.
[5] A savoir le Crédit foncier par le biais de la solution Foncier Reversimmo, laquelle a été reprise par la Banque populaire lors du rachat du Crédit foncier par le groupe BPCE.
[6] Ch. Gijsbers, « L’insuccès du prêt viager hypothécaire », JCP N 2016, n° 12, 1103, spéc. n° 1.
[7] J.-Fr. Riffard, « Faut-il vraiment sauver le prêt viager hypothécaire ? », JCP N 2018, n° 25, 1214, spéc. n° 13.
[8] Ch. Gijsbers, « L’insuccès du prêt viager hypothécaire », déjà cité, n° 8.
[9] V. Morin Brucker, « Le prêt viager hypothécaire », JCP N 2007, n° 19, 1176, spéc. n° 16.
[10] En ce sens, N. Randoux, « L’avenir du prêt viager hypothécaire », Defrénois 2009, n° 21, p. 2263.
[11] N. Randoux, « L’avenir du prêt viager hypothécaire », déjà cité.
[12] Ch. Gijsbers, « L’insuccès du prêt viager hypothécaire », déjà cité, n° 11.
[13] N. Randoux, « L’avenir du prêt viager hypothécaire », Defrénois 2009, n° 22, p. 2401.
[14] 119ème Congrès des notaires de France, Le logement. Le devoir de faire mieux, le Droit pour faire autrement, Deauville 2023, n° 30386 et s.
[15] 119ème Congrès des notaires de France, Le logement. Le devoir de faire mieux, le Droit pour faire autrement, déjà cité, n° 30393.
[16] 119ème Congrès des notaires de France, Le logement. Le devoir de faire mieux, le Droit pour faire autrement, déjà cité, n° 30391.
[17] 119ème Congrès des notaires de France, Le logement. Le devoir de faire mieux, le Droit pour faire autrement, déjà cité, n° 30392.