L’affaire au cours de laquelle fut soulevée la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article 909 du Code civil mérite d’être rappelée. Une femme décéda en 2014 en laissant pour lui succéder son frère. Elle avait institué par testament son infirmière libérale légataire à titre particulier de divers biens mobiliers et immobiliers.
Le frère successible invoqua l’incapacité de recevoir à titre gratuit de l’infirmière sur le fondement de l’article 909, alinéa 1er, du Code civil, issu de la loi n° 2007-305 du mars 2007, applicable depuis le 1er janvier 2009[1].
Selon ce texte, « Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci ».
Alors que la Cour d’appel fit droit à la demande de l’infirmière légataire, la Cour de cassation cassa l’arrêt dans les termes suivants : « alors que l'incapacité de recevoir un legs est conditionnée à l'existence, au jour de la rédaction du testament, de la maladie dont est décédé le disposant, peu important la date de son diagnostic, la cour d'appel, qui a ajouté une condition à la loi, a violé le texte susvisé »[2]. Plus précisément, les juges du fond avaient considéré que la testatrice, bien que malade lors de la rédaction du testament, n’avait pas encore connaissance de sa maladie, faute de diagnostic à cette date. Cet argument tiré de l’équité n’a pas perduré devant la Haute juridiction qui donna raison à l’héritier légal.
C’est donc devant la Cour d’appel de renvoi que l’infirmière formule une QPC, laquelle est jugée sérieuse par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 24 mai 2022[3].

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Dans une décision en date du 29 juillet 2022, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution l’article 909, alinéa 1er, du Code civil[4]. Une telle décision est la bienvenue (I). Pour autant, elle soulève la question de la cohérence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel eu égard à la décision qu’il avait rendue s’agissant des auxiliaires de vie visés par l’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles (CASF)[5] (II).
I – Une décision bienvenue
La requérante invoquait au soutien de sa demande une contrariété au principe de liberté de disposer de ses biens, émanation du droit de propriété, de l’incapacité de recevoir des professionnels de santé prévue par l’article 909, alinéa 1er, du Code civil.
Plus précisément, elle « fait valoir que cette interdiction, formulée de façon générale, sans que soit prise en compte la capacité de la personne malade à consentir une libéralité ni que puisse être apportée la preuve de son absence de vulnérabilité ou de dépendance, porterait atteinte à son droit de disposer librement de son patrimoine. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété »[6].
Tout d’abord, le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur est libre d’apporter des restrictions proportionnées à l’exercice du droit de propriété, tel qu’il est visé à l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen[7].
Les dispositions de l’article 909 du Code civil en font partie dans la mesure où elles « interdisent aux membres de certaines professions de santé de recevoir des libéralités de la part des personnes auxquelles ils ont prodigué des soins au cours de la maladie dont elles sont décédées »[8], de sorte qu’elles portent atteinte au principe de libre disposition de ses biens. Cependant cette atteinte est justifiée par un but d’intérêt général, celui visant à « assurer la protection de personnes dont il [le législateur] a estimé que, compte tenu de leur état de santé, elles étaient placées dans une situation de particulière vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation de leurs biens »[9].
Ensuite, et à juste titre, les sages de la rue de Montpensier rappellent que le texte est subordonné à deux conditions cumulatives[10] :
- La disposition ne s’applique qu’aux libéralités consenties pendant le cours de la maladie dont le disposant est décédé ;
- Et « elle ne s'applique qu'aux seuls membres des professions médicales, de la pharmacie et aux auxiliaires médicaux énumérés par le code de la santé publique, à la condition qu'ils aient dispensé des soins en lien avec la maladie dont est décédé le patient »[11].
De surcroît, le Conseil constitutionnel aurait même pu ajouter, pour les besoins de la démonstration, que l’incapacité de recevoir des professionnels de santé n’a pas vocation à s’appliquer en présence d’une libéralité rémunératoire faite à titre particulier (C. civ., art 909, in fine, 1°), ni même lorsque le gratifié reçoit une libéralité universelle et qu’il appartient à la famille du défunt dans la limite de quatre degrés alors que le disposant ne laisse aucun héritier en ligne directe (C. civ., art. 909, in fine, 2°)[12].
En définitive, le Conseil constitutionnel considère que l’interdiction édictée par l’article 909, alinéa 1er, du Code civil, « fondée sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve le donateur ou le testateur à l'égard de celui qui lui prodigue des soins »[13], est proportionnée à l’objectif recherché lequel vise à éviter toute captation d’héritage, et ce même si le disposant ne souffre d’aucune altération de son consentement.
D’un point de vue pratique, cette décision est satisfaisante dans la mesure où elle permettra d’éviter la naissance d’un contentieux important entre les héritiers lésés et les professionnels de santé gratifiés.
On peine néanmoins à comprendre son articulation avec la décision abrogeant partiellement l’article L. 116-4 du CASF.
II – La discutable cohérence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
Dans sa décision en date du 12 mars 2021, le Conseil constitutionnel a censuré une partie de l’article L. 116-4 du CASF laquelle frappait d’une interdiction de recevoir à titre gratuit les auxiliaires de vie employés à domicile visés par l’article L. 7231-1 du Code du travail.
Pour motiver ce choix, les sages de la rue de Montpensier ont considéré que :
« 8. Toutefois, en premier lieu, d'une part, il ne peut se déduire du seul fait que les personnes auxquelles une assistance est apportée sont âgées, handicapées ou dans une autre situation nécessitant cette assistance pour favoriser leur maintien à domicile que leur capacité à consentir est altérée.
9. D'autre part, les services à la personne définis au 2° de l'article L. 7231-1 du code du travail recouvrent une multitude de tâches susceptibles d'être mises en œuvre selon des durées ou des fréquences variables. Le seul fait que ces tâches soient accomplies au domicile des intéressées et qu'elles contribuent à leur maintien à domicile ne suffit pas à caractériser, dans tous les cas, une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l'égard de ceux qui leur apportent cette assistance.
10. En second lieu, l'interdiction s'applique même dans le cas où pourrait être apportée la preuve de l'absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l'égard de la personne qui l'assiste ».
La cohérence entre cette décision du 12 mars 2021 abrogeant une partie de l’article L. 116-4 du CASF et celle du 29 juillet 2022 laissant intact l’article 909, alinéa 1er, du Code civil est loin d’être évidente pour deux raisons[14].
D’une part, est invoquée dans la première décision l’absence de situation de vulnérabilité systématique du disposant vis-à-vis de l’auxiliaire de vie. Il nous semble qu’il en va de même du disposant malade et du professionnel de santé. En effet, la maladie n’a pas nécessairement comme corolaire direct la vulnérabilité du malade à l’égard de celui qui le soigne.
D’autre part, la première décision laisse apparaître que le caractère irréfragable de la présomption de captation d’héritage justifie de la censure partielle du texte. Pourtant, l’article 909, alinéa 1er du Code civil, édicte également une présomption irréfragable[15], cette fois non retenue par le Conseil constitutionnel.
Par conséquent, et dans la mesure où l’article 909 a été déclaré conforme à la Constitution, il appartient au législateur de le modifier afin de prévoir une incapacité de recevoir à titre gratuit des auxiliaires de vie assistant un malade au cours de la maladie dont il succombera[16].
Seule cette solution, de nature à résister à la censure du Conseil constitutionnel, serait en mesure d’harmoniser le régime de ces incapacités absolues de disposer et de recevoir.
[1] Ph. Malaurie et Cl. Brenner, Droit des successions et des libéralités, 9ème éd., Lextenso, 2020, spéc. n° 264. V. également : D. Noguéro, « Les interdictions de recevoir des libéralités de personnes vulnérables : dernières actualités », Defrénois 2021, n° 8, p. 13.
[2] Cass. 1ère civ., 16 sept. 2020, n° 19-15.818, JCP N 2021, n° 7-8, 1113, obs. N. Peterka.
[3] Cass. 1ère civ., 24 mai 2022, n° 22-40.005, Dr. famille 2022, comm. 128, obs. A. Tani.
[4] Cons. const., 29 juill. 2022, n° 2022-1005 QPC.
[5] Cons. const., 12 mars 2021, n° 2020-888 QPC, D. actualité, 25 mars 2021, note M. Cottet ; Dr. famille 2021, n° 5, comm. 75, note M. Nicod ; Defrénois 2021, n° 16, p. 13, note B. Alidor.
[6] Cons. const., 29 juill. 2022, déjà cité, § 2.
[7] Cons. const., 29 juill. 2022, déjà cité, § 3.
[8] Cons. const., 29 juill. 2022, déjà cité, § 4.
[9] Cons. const., 29 juill. 2022, déjà cité, § 5.
[10] Cons. const., 29 juill. 2022, déjà cité, § 6.
[11] Ainsi le praticien ayant soigné une maladie autre que celle qui a donné la mort n’est pas concerné par l’application du texte : Cass. 1ère civ., 1er juill. 2003, n° 00-15.786, Defrénois 2004, n° 1, p. 31, note N. Peterka.
[12] Sauf si le gratifié est un héritier en ligne directe.
[13] Cons. const., 29 juill. 2022, déjà cité, § 7.
[14] Contra : B. Alidor, note sous Cons. const., 12 mars 2021, déjà citée.
[15] Ph. Malaurie et Cl. Brenner, Droit des successions et des libéralités, déjà cité, n° 264.
[16] V. en ce sens M. Nicod, note sous Cons. const., 12 mars 2021, déjà citée.