Le recours au prêt familial est fréquent en pratique, généralement lorsque les parents souhaitent aider leurs enfants pour la réalisation d’une acquisition immobilière, alors même qu’ils ne préfèrent pas disposer à titre gratuit des sommes en question.
A cet égard, l’article 1892 du Code civil définit le prêt à la consommation comme « un contrat par lequel l'une des parties livre à l'autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l'usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité ».
En la matière, il convient de distinguer les aspects de droit civil du prêt familial de ses aspects fiscaux.

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I – Les aspects de droit civil du prêt familial
Le prêt familial, parce qu’il est contracté entre particuliers, constitue un contrat réel lequel se forme par la remise matérielle à l’emprunteur de la chose prêtée[1]. Cela différencie le prêt familial du prêt consenti par un professionnel qui constitue un contrat consensuel[2].
A – La preuve du prêt familial
La charge de la preuve du prêt incombe au demandeur en remboursement[3]. Ainsi, selon la Cour de cassation, « il incombe à celui qui a sciemment acquitté la dette d’autrui, sans être subrogé dans les droits du créancier, de démontrer que la cause dont procédait ce paiement impliquait, pour le débiteur, l’obligation de lui rembourser la somme ainsi versée »[4].
En présence d’un prêt réel comme le prêt familial, le prêteur doit démontrer deux éléments cumulatifs : la remise matérielle de la chose prêtée et l’intention de prêter.
La remise matérielle peut évidemment prendre la forme d’un virement de compte à compte[5], ce qui sera le plus fréquent en pratique, mais cette remise matérielle est insuffisante à elle seule à justifier une obligation de restitution[6], le prêteur devant se ménager la preuve de son intention de prêter.
Dès lors que le montant prêté excède 1 500 euros, l’écrit est nécessaire (C. civ., art. 1359), sauf toutefois en raison d’une impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit (C. civ., art. 1360), une telle situation étant fréquent en matière de prêt familial.
La reconnaissance de dette est suffisante à constater l’existence du prêt familial, car elle fait présumer le prêt aussi bien dans son élément matériel que dans son élément moral[7]. Cet acte doit néanmoins respecter des règles de forme élémentaires : la signature de l’emprunteur et la mention en chiffres et en lettres de la somme empruntée (C. civ., art. 1376). Toutefois, il n’est pas nécessaire que la reconnaissance de dette comporte la cause ou la motivation du prêt[8].
B – La restitution de la somme empruntée
L’exécution de prêt implique de l’emprunteur qu’il rembourse le prêteur selon les échéances prévues au contrat.
Selon l’article 1902 du Code civil, « l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, au terme convenu »[9], mais en aucun cas le prêteur ne peut exiger de l’emprunteur une restitution de la chose prêtée avant l’échéance (C. civ., art. 1899).
Généralement, le prêt familial est amortissable, mais rien n’interdit de stipuler un prêt in fine.
Lorsque l’emprunteur ne rembourse pas la somme au terme convenu, l’intérêt légal court non pas à compter du terme, mais à compter de la sommation ou de la demande en justice (C. civ., art. 1904).
Lorsque le prêt porte sur une somme d’argent, le principe est celui du remboursement de la même somme, par application du principe du nominalisme monétaire (C. civ., art. 1895)[10].
C – La question du taux d’intérêt
L’article 1905 du Code civil permet aux parties de stipuler un taux d’intérêt.
Selon l’article 1907, alinéa 2, du même code, la stipulation d’un taux d’intérêt doit être expresse[11]. Le prêt familial n’implique pas la stipulation d’un taux annuel effectif global. Cette obligation pèse en effet sur les crédits immobiliers et les crédits à la consommation visés par les articles L. 314-1 et suivants du Code de la consommation. En revanche, le taux d’intérêt convenu ne saurait être usuraire.
D – Le traitement du prêt familial dans un cadre successoral
Lorsque le prêteur décède au cours du prêt, laissant pour lui succéder plusieurs enfants, dont l’emprunteur. Il y a alors lieu de tenir compte de cette dette due par l’emprunteur dans la masse à partager, comme le prévoit l’article 864 du Code civil. Par application de cet article, l’héritier débiteur est alloti de la créance dont la masse successorale bénéficie contre lui, la dette s’éteignant ainsi par confusion. Lorsque la dette excède ses droits dans la masse à partager, alors l’héritier débiteur sera tenu au versement d’une indemnité[12].
Ce rapport des dettes est à distinguer du rapport des donations.
Ainsi la Cour de cassation a-t-elle précisé qu’« en matière successorale, à la différence du rapport des libéralités, lequel, régi par les articles 843 à 863 du code civil, intéresse la composition de la masse partageable et constitue une opération préparatoire au partage, le rapport des dettes, prévu aux articles 864 à 867, concerne la composition des lots et constitue une opération de partage proprement dite »[13].
A la différence du rapport des donations, lequel n’est dû que par l’héritier donataire et ne profite qu’aux cohéritiers, le rapport des dettes dû par le copartageant débiteur profite à l’ensemble des copartageants. Il concerne aussi bien les héritiers légaux que les légataires universels ou à titre universel. En outre, le rapport de la dette se fait en principe pour son montant nominal, alors que le rapport des donations obéit au principe de la dette de valeur (C. civ., art. 860 et s.).
E – La distinction du prêt familial d’une donation
L’obligation de rembourser suffit à écarter tout risque de requalification du prêt en acte de donation[14].
Se pose la question, en pratique, de la nécessité de stipuler un taux d’intérêt. Cette stipulation est justifiée par une triple nécessité : rémunérer le risque pris par le prêteur en cas de défaillance de l’emprunteur ; rémunérer la privation de jouissance qu’il subit sur les deniers remis ; et contrebalancer la dépréciation éventuelle du capital prêté.
A priori, l’on pourrait imaginer qu’un prêt gratuit serait constitutif d’une donation de fruits et revenus au sens de l’article 851, alinéa 2, du Code civil, dans la mesure où le prêteur renonce à bénéficier des fruits du capital prêté, permettant de facto à l’emprunteur de ne pas s’appauvrir.
Pour autant, trois arguments s’y opposent.
Premièrement, comme toute libéralité, une donation implique un élément matériel : l’appauvrissement du donateur et l’enrichissement corrélatif du donataire. Or cet élément n’est pas caractérisé par l’absence d’intérêts, pour la raison simple que l’exclusion des intérêts n’enrichit pas l’emprunteur, mais écarte tout appauvrissement.
Deuxièmement, une donation implique également un élément intentionnel : l’intention libérale. Or celle-ci n’est pas, à proprement parler, caractérisée par cette absence d’un taux d’intérêt. Un parallèle peut être fait avec la mise à disposition gratuite d’un logement à un héritier, laquelle est constitutive d’un avantage indirect, mais pas d’une donation rapportable à moins que la cohérie rapporte la preuve de l’intention libérale[15], ce que la Cour de cassation a admis récemment dans une telle situation[16].
Troisièmement, la question de la stipulation d’un intérêt au sein d’un prêt familial, alors même que notre environnement économique connaît des taux extrêmement bas (pour le moment), est bien moins pertinente que par le passé.
Pour autant, dans certaines circonstances, le prêt peut être requalifié en donation déguisée ou en donation indirecte.
La question de la requalification du prêt en donation indirecte ou déguisée est de nature à intéresser aussi bien les cohéritiers de l’emprunteur que l’administration fiscale elle-même.
Ainsi, dans une affaire récente[17], le défunt avait de son vivant consenti un prêt à l’un de ses trois enfants, ledit prêt étant remboursable en sept annuités au taux de 2,5 %. A cette occasion une reconnaissance de dette avait été établie. Pour autant, le prêt n’ayant jamais été remboursé, les cohéritiers demandèrent en justice le rapport de la somme au prêtée. La Cour de cassation confirme l’arrêt des juges du fond ordonnant le rapport de la somme soi-disant prêtée. Pour la Haute juridiction, la Cour d’appel a légalement justifié sa décision : en raison de l’absence de remboursement du prêt par le fils et du fait qu’il connaissait des difficultés financières, le prêteur a manifesté son renoncement à demander le remboursement du prêt et, partant, son intention libérale. Il s’agit donc d’une donation indirecte rapportable portant sur une somme d’argent, de sorte que le rapport s’opère en fonction de la valeur du bien acquis au moyen des deniers donnés (C. civ., art. 860-1).
Dès lors, il est clair que le non-remboursement d’un prêt peut être constitutif d’une donation indirecte, laquelle est sujette au rapport successoral. En effet, le prêteur avait la possibilité d’exiger le remboursement de la somme due aux échéances convenues dans le contrat, de sorte qu’en ne le faisant pas, la donation est caractérisée aussi bien dans son élément matériel que dans son élément intentionnel.
Sur le plan du droit fiscal, il arrive également que l’administration demande la requalification d’un prêt familial en donation.
Ainsi, dans une affaire où une mère de famille avait consenti six prêts sous seing privé à son fils, ce dernier avait inscrit les dettes au passif de son impôt de solidarité sur la fortune (ISF). L’administration fiscale contesta cette déduction en requalifiant l’opération en donation déguisée. La Cour de cassation lui donna raison, eu égard à plusieurs éléments factuels constitutifs d’un faisceau d’indices : le lien de parenté entre les parties à l’acte ; l’absence de tout remboursement ; mais aussi l’âge du prêteur, à savoir 99 ans au terme du premier prêt[18]. Dans une autre affaire relative, là aussi, à la déductibilité d’un prêt familial de l’ISF dû par l’emprunteur, la Cour de cassation a aussi donné raison à l’administration fiscale en raison d’un certain nombre de critères tels que l’absence de tout remboursement, mais aussi en raison de l’âge du prêteur s’élevant à 99 ans au terme du prêt consenti. Une donation indirecte était donc caractérisée[19].
Pour autant, le critère de l’âge du prêteur est critiquable, dans la mesure où son décès ne rend pas aléatoire le remboursement, celui-ci étant toujours dû à la succession par l’emprunteur, ainsi que nous l’avons vu plus haut.
A notre sens, le seul critère réellement pertinent est celui du non-remboursement du prêt à l’échéance, alors même que le prêteur n’exerce aucune poursuite contre le débiteur. Aussi faut-il en déduire, en présence d’un prêt in fine, que l’absence de tout remboursement du capital avant la dernière échéance ne saurait être constitutif d’une donation[20].
En revanche, il est admis depuis longtemps, en présence d’un prêt familial, qu’une remise de dette consentie par le prêteur à titre gratuit constitue une donation indirecte à l’emprunteur[21], laquelle n’est pas soumise au formalisme de l’acte authentique[22].
II – Les aspects de droit fiscal du prêt familial
A – Le prêt familial et l’impôt sur la fortune immobilière (IFI)
Lorsque la qualification de prêt familial est clairement établie, il est tentant pour l’emprunteur de déduire la dette de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Pourtant, l’article 974, III, 2° du Code général des impôts prévoit que ne sont a priori pas déductibles les prêts familiaux contractés pour l’acquisition ou l’amélioration de biens relevant de l’assiette de cet impôt. En effet, le texte vise les prêts « contractés directement, ou indirectement par l'intermédiaire d'une ou de plusieurs sociétés ou organismes interposés, auprès d'un ascendant, descendant autre que celui mentionné au 1°, frère ou sœur de l'une des personnes physiques mentionnées au même 1°, sauf si le redevable justifie du caractère normal des conditions du prêt, notamment du respect du terme des échéances, du montant et du caractère effectif des remboursements »[23].
Par conséquent le prêt familial est vu avec beaucoup de défiance par l’administration fiscale, de sorte qu’il est présumé fictif.
A ce titre, le recours à l’acte authentique ou à l’acte sous seing privé enregistré, bien que recommandé, ne sera d’aucun secours, sauf à ce que l’emprunteur démontre le caractère normal des conditions du prêt.
Cela relève, selon la doctrine administrative, « de l'appréciation d'une situation de fait au regard des éléments de nature à démontrer le caractère normal des conditions du prêt, notamment du respect du terme des échéances, du montant et du caractère effectif des remboursements »[24].
Le BOFiP ajoute que : « Le caractère normal des conditions du prêt s'apprécie notamment au regard des pratiques bancaires usuelles dans le domaine concerné. L’appréciation doit également tenir compte de l'effectivité des remboursements et de leur montant ainsi que du respect des échéances prévues par le contrat de prêt établi par acte daté et signé. Aux termes de la loi, pour faire état de cette exception il incombe au redevable d’être en mesure de justifier du caractère normal du prêt »[25].
Aussi sera-t-il utile, dans cette situation, de stipuler au sein de l’acte de prêt des échéances. Il conviendra aussi que les remboursements soient conformes aux stipulations contractuelles. En revanche, l’article 974, III, 2° du Code général des impôts ne semble pas exiger la stipulation d’un intérêt pour assurer la déductibilité de la dette familiale de l’IFI. La pratique ne sera donc pas contrainte d’y avoir recours[26]. En effet, selon la doctrine administrative, « Le cas de non-déductibilité prévu au 3° du II de l'article 973 du CGI (II-A-2 § 100 et 130) ne trouve pas à s'appliquer si le redevable justifie du caractère normal des conditions du prêt, notamment du respect du terme des échéances, du montant et du caractère effectif des remboursements »[27].
B – La fiscalité des intérêts perçus par le prêteur
Les intérêts perçus par le préteur sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers (CGI, art. 124).
C – Les formalités fiscales
Le prêt entre particuliers, lorsqu’il porte sur une somme supérieure à 5 000 euros, doit donner lieu au dépôt au service des impôts d’une déclaration spécifique (cerfa n° 2602), laquelle doit être adressée au service des impôts dont dépend le déclarant en même temps que sa déclaration de ses revenus. A cet égard, le déclarant sera généralement l’emprunteur, même s’il peu s’agir plus rarement du prêteur.
Pour autant, il est préférable en pratique de procéder à l’enregistrement de l’acte de prêt au service des impôts des particuliers, afin de lui conférer une date certaine.
Le prêt authentique est une alternative intéressante. Il permet aux parties de justifier de la réalité de la remise de la somme prêtée, celle-ci transitant par la comptabilité du notaire rédacteur. Il est alors indispensable de prévoir le terme du prêt, les échéances, l’éventuel taux d’intérêt, ainsi qu’une clause de déchéance du terme dans l’hypothèse d’un impayé. De surcroît, il pourra être de bonne pratique de stipuler la destination du prêt, voire des garanties[28].
[1] Cass. 1ère civ., 7 mars 2006, n° 02-20.374, JCP G 2006, II, 10109, note St. Piedelièvre.
[2] Cass. 1ère civ., 28 mars 2000, n° 97-21.422.
[3] Fr. Grua et N. Cayrol, JCl. Code civil, v° art. 1892 à 1904, Fasc. unique : prêt de consommation ou prêt simple, 2019, n° 47.
[4] Cass. 1ère civ., 9 févr. 2012, n° 10-28.475, JCP G 2012, 200, obs. B. Waltz.
[5] Fr. Grua et N. Cayrol, JCl. Code civil, v° art. 1892 à 1904, Fasc. unique, déjà cité, n° 52.
[6] Cass. 1ère civ., 5 nov. 2009, n° 08-18.824.
[7] Fr. Grua et N. Cayrol, JCl. Code civil, v° art. 1892 à 1904, Fasc. unique, déjà cité, n° 59.
[8] Fr. Grua et N. Cayrol, JCl. Code civil, v° art. 1892 à 1904, Fasc. unique, déjà cité, n° 60.
[9] Fr. Grua et N. Cayrol, JCl. Code civil, v° art. 1892 à 1904, Fasc. unique, déjà cité, n° 104.
[10] Fr. Grua et N. Cayrol, JCl. Code civil, v° art. 1892 à 1904, Fasc. unique, déjà cité, n° 148.
[11] Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux, 11ème éd., Lextenso, 2020, n° 663.
[12] M. Grimaldi, Droit des successions, 8ème éd., LexisNexis, 2020, n° 981 et s.
[13] Cass 1ère civ., 12 févr. 2020, n° 18-23.573, RTD civ. 2020, p. 680, obs. M. Grimaldi ; Defrénois 2020, n° 27, p. 31, obs. A. Chamoulaud-Trapiers ; JCP G 2021, doctr. 166, n° 5, obs. R. Le Guidec.
[14] V. H. Leyrat, « Des rapports étroits entre prêt familial et donation », Solution Notaire Hebdo 2021, n° 16, p. 16.
[15] Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n° 10-25.685, Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n° 10-27.325, Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n° 11-12.863, Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n° 09-72.542, RTD civ. 2012, p. 353, note M. Grimaldi.
[16] Cass. 1ère civ., 2 mars 2022, n° 20-21.641, Dr. famille 2022, n° 5, comm. 77, note A. Tani.
[17] Cass. 1ère civ., 27 janv. 2021, n° 19-17.793.
[18] Cass. com., 8 févr. 2017, n° 15-21.366, Defrénois 2017, n° 20, p. 38, obs. G. Bonnet.
[19] Cass. com., 7 mars 2018, n° 16-26.689.
[20] En ce sens : CA Versailles, 1er déc. 2016, n° 13/00792, RFP 2017, 45, obs. D. Faucher.
[21] Cass. com., 17 oct. 1995, n° 94-10.196, Defrénois 1997, n° 8, p. 527, obs. A. Chappert.
[22] Cass. civ., 2 avr. 1862, DP 1863, I, 454.
[23] V. BOI-PAT-IFI-20-40-30, 8 juin 2018, § 40 et 70.
[24] BOI-PAT-IFI-20-30-30, 2 mai 2019, § 260.
[25] BOI-PAT-IFI-20-30-30, 2 mai 2019, § 270 et 280.
[26] V. P. Bonduelle, « Le passif "IFI-able" », RFP 2018, dossier 3, spéc. n° 11.
[27] BOI-PAT-IFI-20-30-30, 2 mai 2019, § 260.
[28] M. Chetaille, « Le prêt familial : une libéralité ? », Defrénois 2018, n° 16, p. 28.