Pactes « Dutreil »

Actualité
du 20 Février 2023
Henri
LEYRAT
Docteur en droit privé – HDR
Diplômé Notaire

En présence d’une société ayant une activité mixte, la Cour de cassation rappelle que la prépondérance de l’activité éligible s'apprécie en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice (Cass. com., 25 janv. 2023, n° 20-23.137) :

A la suite du décès d’un chef d’entreprise survenu en 2012, son fils a hérité de 919 actions en pleine propriété et de 23 actions en nue-propriété d’une société, laquelle exploite une galerie d'art, édite des livres d'art et donne en location une partie de son patrimoine immobilier. L’administration fiscale contesta l’application de l'article 787 B du CGI aux titres transmis au motif que l'activité de la société était, à titre prépondérant, une activité civile, non éligible à ce régime de faveur.

 

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La Cour d’appel fit droit à l’administration fiscale.

 

Sur pourvoi du contribuable, la Cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 787 B du CGI dans sa version alors en vigueur :

 

« 5. Selon ce texte, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs sont, à condition qu'elles aient fait l'objet d'un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques, exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur.

 

6. Il en résulte que ce régime de faveur s'applique aussi à la transmission de parts ou actions de sociétés qui, ayant pour partie une activité civile autre qu'agricole ou libérale, exercent principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s'appréciant en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice.

 

7. Pour rejeter les demandes de M. [H] [l’héritier] tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa réclamation et au dégrèvement intégral des impositions supplémentaires mises à sa charge, l'arrêt, après avoir relevé que la société développe une activité commerciale de galerie et d'éditeur d'art et une activité civile de location de son patrimoine immobilier, retient, par motifs propres et adoptés, que cette dernière activité a représenté 81,19 % de son chiffre d'affaires au titre de l'exercice 2009-2010, 69,35 % au titre de l'exercice 2010-2011 et 72,67 % au titre de l'exercice 2011-2012 et qu'elle correspond à 67,22 % de la valeur de ses actifs réévalués, ce dont il déduit que la société exerce, à titre prépondérant, une activité civile et n'est, dès lors, pas éligible à l'exonération prévue à l'article 787 B du code général des impôts.

 

8. En se déterminant ainsi, au regard de la part du chiffre d'affaires de la société générée par son activité civile et de la proportion des actifs réévalués affectée à cette même activité, sans examiner, comme elle y était invitée, les autres indices fondés sur la nature de l'activité de la société et les conditions de son exercice, invoqués par M. [H] au soutien du caractère principalement commercial de l'activité de la société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

 

Avis de l’AUREP : on se souvient que la doctrine administrative applicable à l’époque des faits prévoyait que « Le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s’apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total) et le montant de l’actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l’actif brut) » (BOI, instr. 7-G-3-12, 9 mars 2012, p. 8, reprise dans BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 19 mai 2014, § 20).

 

Cette position avait par la suite été invalidée par le Conseil d’Etat, à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 8ème et 3ème ch., 23 janv. 2020, n° 435562). Selon cet arrêt, « Il résulte de ces dispositions [l’article 787 B du CGI] que sont susceptibles de bénéficier, dans les conditions et limites qu'elles prévoient, de la mesure d'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit ainsi instituée, les parts ou actions d'une société qui, ayant également une activité civile autre qu'agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, cette prépondérance s'appréciant en considération d'un faisceau d'indices déterminés d'après la nature de l'activité et les conditions de son exercice ».

 

Par la suite, la doctrine administrative a pris acte de cette décision dans ses commentaires du 6 avril 2021 (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 6 avr. 2021, § 20), lesquels étaient l’objet d’une consultation publique, puis dans ceux du 21 décembre 2021, actuellement en vigueur (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 21 déc. 2021, § 20).

 

Pour autant, à titre de règle pratique, la doctrine précise que : « il est admis qu’une société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante lorsque le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50 % du montant de son chiffre d’affaires total et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50 % de la valeur vénale de son actif brut total » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 21 déc. 2021, § 20).

 

Dans cette affaire, il est vrai que la société dont les titres ont été transmis par décès ne répond pas aux critères fixés par l’administration, lesquels ont été les seuls retenus par la Cour d’appel (chiffres d’affaires et valeur vénale des actifs).

 

Pour cette raison, la Cour de cassation casse l’arrêt, non pas au motif que la société serait éligible au pacte « Dutreil », mais plutôt parce que les juges du fond n’ont pas recherché l’existence d’éventuels autres indices pouvant justifier de la prépondérance de l’activité éligible.

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Henri
LEYRAT
Docteur en droit privé – HDR
Diplômé Notaire