Le Comité de l’abus de droit fiscal considère à nouveau qu’une soulte de 10 %, dans le cadre d’une opération d’apport-cession, est constitutive d’un abus de droit en l’absence d’un intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport de verser une telle soulte (CADF, 23 juin 2022, aff. n° 2022-11) :

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M. X est président et principal associé de la société par actions simplifiée (SAS) A, société holding faîtière du groupe B, qui a pour activité principale la coiffure sous toutes ses formes et toutes les activités accessoires. Avant les opérations d’apport et de cession réalisées le 16 décembre 2016, M. X détenait 50,01 % du capital de la SAS A, dont le capital est également détenu par ses enfants, des managers du groupe B ainsi qu’un investisseur financier, le FCPI C détenant 24 % du capital. Le 8 décembre 2016, M. X a constitué la SAS D et détient l’intégralité des mille actions d’une valeur nominale d’un euro constituant le capital social de mille euros. Par contrats d’apport du 22 décembre 2016, M. X et ses enfants ainsi que des managers du groupe B associés à l’opération ont procédé à des apports successifs, le même jour, de titres de la société A à la société D.
La différence entre le montant nominal de l’augmentation de capital et la valeur des apports constitue une soulte d’un montant de 6 138 429,10 euros attribuée à M. X et qui lui a été versée par virement bancaire le 22 décembre 2016. Le même jour, M. X a cédé à la société D le solde des actions ordinaires n’ayant pas été apportées, soit 804 337 titres pour un prix de 2 544 176, 59 euros. Le même jour, la société D a acquis la totalité des titres détenus par le FCPI C pour un prix global de près de 130 millions d’euros.
L’apport des titres de la SAS A a permis à M. X de réaliser une plus-value brute globale de 85 379 346 euros intégralement placée en report d’imposition en application de l’article 150-0-B ter du code général des impôts, y compris pour sa fraction correspondant à la soulte.
Par proposition de rectification en date du 23 décembre 2019, l’administration fiscale a, sur le fondement de la procédure de l’abus de droit fiscal prévue à l’article L. 64 du LPF.
Selon le CADF :
« […] le dispositif du report d’imposition prévu par l’article 150-0 B ter du code général des impôts poursuit la même finalité que le dispositif du sursis d’imposition prévu à l’article 150-0 B du même code. Ces dispositifs ont pour objectif de faciliter les opérations de restructuration d’entreprises, en vue de favoriser le développement de celles-ci, en conférant un caractère intercalaire aux opérations d’échange de titres.
Le Comité estime que, si le législateur a admis, avant la modification législative introduite par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016, que l’opération d’apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur bénéficie intégralement, y compris pour la soulte, du report d’imposition, dès lors que le montant de la soulte appréhendée par le contribuable n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus, l’octroi d’une telle soulte doit s’inscrire dans le respect du but qu’il a entendu poursuivre.
Le Comité considère que ce but n’est pas respecté si l’octroi de la soulte ne s’inscrit pas dans le cadre de l’opération de restructuration d’entreprise mais est en réalité uniquement motivé par la volonté de l’apporteur des titres d’appréhender en franchise immédiate d’impôt des liquidités détenues par la société dont les titres sont apportés et faisant ainsi l’objet d’un désinvestissement, faute qu’il soit justifié que la société bénéficiaire de l’apport avait, afin de permettre le dénouement de l’opération, un intérêt économique au versement de cette soulte, alors que, lorsque cette soulte est ainsi financée, elle prive cette société de la possibilité de disposer de ressources nécessairement prises en compte lors de la détermination de la valeur des titres apportés.
Le Comité considère qu’il en va différemment et que ce but est respecté si, au vu de l’ensemble des circonstances, l’octroi de la soulte s’inscrit dans le cadre de l’opération de restructuration d’entreprises dès lors que le dénouement de cette opération, appréciée dans sa globalité, n’a pu avoir lieu que du fait de l’attribution d’une telle soulte, laquelle doit alors être regardée comme ayant présenté le caractère d’une contrepartie contraignante à l’opération.
Le Comité constate que l’affirmation selon laquelle M. X souhaitait en 2016 quitter la direction de son groupe, céder ses participations et prendre sa retraite en sorte que la soulte constituait la contrepartie à son engagement dans l’opération et des contraintes que celui-ci lui imposait n’est étayée d’aucun commencement de preuve.
Il estime au contraire, au vu des éléments du dossier, que M. X a eu l’initiative de l’opération globale qui consistait à permettre au groupe familial associé aux cadres dirigeants de reprendre l’entière maîtrise du capital du groupe dans l’optique d’en préparer la transmission à ses enfants.
Il note encore que la contrainte associée au financement bancaire tenant à l’interdiction de distribuer des dividendes, ainsi que celle liée au plafonnement de sa rémunération, préexistaient à l’opération réalisée en 2016 et découlaient de l’opération de leverage buy out (LBO) effectuée en 2012 et de ses modalités de financement.
Il relève encore que les prêts consentis pour financer le rachat des actions détenues par le fonds C n’interdisaient pas la cession des titres reçus lors de l’échange mais prévoyaient seulement leur remboursement anticipé en cas de cession d’un bloc de contrôle de la société. Il note d’ailleurs à cet égard que cette clause n’a nullement empêché M. X et ses enfants de céder, moins de 4 ans après l’octroi de ces financements, plus de la moitié des titres du groupe.
Le Comité considère que le versement de la soulte ne peut ainsi être regardé, dans les circonstances de l’espèce, comme une compensation des désavantages dont M. X prétend qu’il les a subis lors de l’opération d’apport, ni comme la contrepartie du défaut allégué de liquidités des titres.
Le Comité estime que, compte tenu de l’ensemble des éléments portés à sa connaissance et en l’absence de toute justification probante de l’intérêt économique pour la société bénéficiaire de l’apport de prévoir le versement d’une soulte à M. X, l’octroi de cette soulte ne peut être regardé comme ayant été décidé afin de rendre possible la réalisation de l’opération de restructuration effectuée par le contribuable et, par suite, ne s’inscrit pas dans le respect du but poursuivi par le législateur au titre de la restructuration et du développement de son groupe mais caractérise une appréhension des liquidités en franchise d’impôt.
Le Comité émet en conséquence l’avis que, dans les circonstances de l’espèce, l’administration était fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales pour restituer son véritable caractère au paiement de la soulte réalisé à l’occasion d’un apport placé sous le régime du report d’imposition prévu par les dispositions de l’article 150-0 B ter du code général des impôts, au bénéfice d’une application littérale de ces dispositions allant à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but de disposer de ces sommes en franchise d’imposition.
Enfin, le Comité estime que M. X doit être regardé comme ayant eu l’initiative principale de l’acte constitutif de l’abus de droit et, en outre, comme en ayant été le principal bénéficiaire au sens du b) de l’article 1729 du code général des impôts. Il émet donc l’avis que l’administration est fondée à appliquer la majoration de 80 % prévue par ces dispositions ».
Avis de l’AUREP : cet avis s’inscrit dans le prolongement d’un arrêt récent du Conseil d’Etat, relatif au sursis d’imposition (CE, 31 mai 2022, n° 455349). Rappelons que, depuis le 1er janvier 2017, une soulte stipulée à l’occasion d’une opération d’ « apport-cession » est imposable de plein droit.