Synthèse DE LA VULNERABILITE HUMAINE

Eclairage du 27 juin 2025 - N°547

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L’origine latine « VULNUS » signifie la possibilité d’être exposé à une blessure par une épreuve de la vie. La vulnérabilité signifie donc ce pouvoir d’être affecté, affaibli, atteint, de n’être pas toujours en sécurité, en raison d’une inconstance de notre être devant une adversité rencontrée lors d’une crise, d’un malheur, de circonstances éprouvantes. Nous apprenons par là même que toute vie humaine est une oscillation entre :

Et des ressources pour leur répondre

Des épreuves qui nous affectent

I – PLUSIEURS NIVEAUX DE SENS

  • Etre vulnérable serait donc être faillible, être en tension entre une épreuve et une résistance possible. C’est bien là ce qui vient différencier la vulnérabilité  de la faiblesse. La faiblesse désigne un état, un état durable. La vulnérabilité s’apparente bien davantage à la fragilité qui suppose une rupture, une faille, une brisure, qui compose tout être humain en raison de sa finitude. Elle est donc une possibilité constitutive de notre être, en raison de notre « humaine condition ». Par suite, on peut tout à fait être fragile sans être faible.
  • Cette possibilité nous révèle que les êtres humains ne peuvent habiter un lieu sûr que rien ne pourrait atteindre, nous ne logeons pas dans une « citadelle intérieure ». La vulnérabilité est un concept qui vient briser cette opposition classique entre la force et la faiblesse : la vie humaine n’est pas à vivre protégée dans un refuge, mais elle est exposée à cette rencontre avec ce qui peut venir nous atteindre, avec ces moments où va se décider ce que je vais devenir. La vulnérabilité ne renvoie donc pas à « un état négatif », mais à un temps où va se mettre en scène le devenir de notre humanité.
  • Elle prend alors la forme d’une révélation : celle d’un surgissement de la conscience de soi (ce que signale bien l’expression « prendre conscience ») : nous allons devoir décider de nous-mêmes en étant pris dans ce qui vient nous troubler, un malheur, la solitude, le désespoir, une incapacité, c’est-à-dire des expériences qui ne peuvent se saisir qu’en première personne.

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Nous sommes donc en mesure de comprendre que notre personne ne subsiste jamais sur le mode de la permanence, de la constance : nous ne demeurons pas longtemps dans un même état…Notre vie est sans assurance, nous savons tous que tout est possible, qu’il est possible de perdre la foi, de perdre courage, patience, de ne plus aimer, etc…

  • Si notre vulnérabilité se manifeste dans cette capacité à être affecté, elle nous renvoie donc à ce que nous ne maîtrisons pas, à une défaillance où l’on se met à perdre le contrôle d’une situation éprouvante, dans laquelle on se demande bien ce que l’on va pouvoir devenir, face à ce qui vient interrompre le cours ordinaire de nos vies…

Nous voici dans un clair-obscur, dans ce qui va introduire une désorientation : un deuil, une pathologie, une rupture, un âge clinique….En un mot, être exposé à une adversité, c’est prendre conscience de ses défaillances possibles. Une vie n’est pas quelque chose sur quoi on règne.

En résumé, la vulnérabilité :

  • N’est pas la faiblesse, mais l’expérience d’une fragilité, d’une finitude déposée dans notre condition humaine.
  • Nous individualise par le surgissement d’une conscience de soi et de notre devenir incertain et sans assurance.
  • Nous révèle que notre existence n’est jamais de l’ordre de la constance ni de la permanence, mais se définit par un pouvoir d’être affecté par une adversité que nous ne pouvons maîtriser.

II – LA VULNERABILITE EN SITUATION

Il est important de se rappeler que les personnes âgées, malades, en situation de handicap, sont souvent exposées à des images négatives, celles d’être des personnes par défaut, définies par leurs déficits. Cette perception relève d’un préjugé dominant estimant que la vulnérabilité serait bien une faiblesse.

Or, si nous sommes bien des êtres vulnérables, c’est parce que  nous sommes reliés à tout ce que nous n’avons pas choisi et que, par suite, nous avons reçu : notre corps, notre époque, notre famille, notre milieu d’appartenance etc…

Ces conditions initiales nous sont données, elles ne sont nullement équivalentes : il n’y a pas d’origine équitable ! Ce qui a pour conséquence immédiate que personne ne mérite sa situation de départ dans la vie. Une telle situation fait de nous des êtres incertains, déterminés par leurs appartenances, sans pour autant y être assujettis ; mais nous restons reliés à ce qui compose cette situation : des circonstances, un contexte, un milieu social. Par suite, à côté de nos choix, demeure la pesanteur de ce que nous sommes. Nous sommes des êtres sommés de vivre avec le poids d’un passé, d’une éducation reçue, des raisons de vivre transmises ou non. En un mot, toutes nos possibilités peuvent sans cesse être mises en crise par les conditions sociales de nos existences qui viennent nous affecter et nous déterminer. Aucun être humain n’est assuré d’être à la hauteur de tout ce dont il aurait pu être capable. Nous sommes faillibles, vulnérables, pris entre :

  • ce qui nous affecte de l’extérieur
  • et les ressources qui nous définissent

En résumé, nous sommes vulnérables chaque fois que nous rencontrons dans nos vies ce que nous ne maîtrisons pas, chaque fois que nous faisons l’expérience douloureuse de notre impuissance et de nos limites. La vulnérabilité nous renvoie à ce qui vient nous mettre à nu : la stupeur devant la brutalité d’un événement, d’un malheur, d’un deuil, d’un abandon, d’une précarité, de toute situation « où le sujet suffoque ».

III – LA VULNERABILITE HUMAINE FACE A SES EPREUVES

Qui sommes-nous devant les épreuves que nous traversons, face à la souffrance, la maladie, la vieillesse ?

Nous prenons conscience de notre état et revenons à nous-mêmes, comprenant que nous ne sommes plus les maîtres de ce qui nous arrive et qui vient attester de notre vulnérabilité. Et tout ceci en raison de ce phénomène qui fait que plus nous sommes faibles, plus notre conscience est active. Souffrir et vieillir sont de tels moments.

A – SOUFFRIR

Face à cette épreuve, notre corps devient sujet car il est affecté par ce qui vient lui faire violence. La souffrance nous rend vulnérables parce qu’elle nous diminue, parce qu’elle peut nous abattre et nous accabler. Elle est toujours invasive, toujours corps et âme, et demeure étrangère à toute personne extérieure car seul celui qui souffre sait ce qu’il endure ; c’est par là qu’elle fait revenir la personne sur elle-même par la conscience brutale et tenace de sa vulnérabilité. Notre vulnérabilité s’impose ici comme résultant d’une conscience tragique lorsque nous sommes dans cette situation éprouvante qui nous contraint d’en pâtir.

B – VEILLIR

Là, nous expérimentons que notre corps commence à accentuer sa présence. Il n’est plus un moyen vivant d’exister, mais devient de plus en plus un obstacle à surmonter. Il manifeste progressivement son impuissance, à côté de sa résistance. Vieillir, c’est perdre des possibilités, c’est ralentir. Il va donc falloir apprendre à vivre avec ces risques associés à cette vulnérabilité particulière : la dépendance, l’égarement, la solitude….Vieillir c’est apprendre à vivre…. Autrement, suite à ces nouvelles situations de vulnérabilités possibles.

  • Apprendre à développer d’autres possibilités pour décider de ce que l’on va faire
  • Ne plus désirer ce qui est devenu impossible, mais ne pas renoncer au possible, car une vie humaine ne prend son sens que dans ce qu’elle permet et dans ce qu’elle rencontre.
  • Apprendre à maintenir des raisons de vivre, en résistant à toutes les formes de renoncement, apprendre à ne plus vouloir ce qui est devenu au-dessus de nos forces.
  • Apprendre que notre corps ne pourra plus se faire oublier et qu’il va devenir de moins en moins l’objet de nos volontés.
  • Offrir un sens à notre vieillissement en sortant de cette image dominante que vieillir ne serait plus que s’affaiblir.

Nous voici bien devant l’alternative de la vulnérabilité humaine :

  • Admettre ce que nous sommes
  • Ne pas se contenter de s’y résoudre tant que la faiblesse ne viendra pas à bout de nos forces.

Cet essai de définition de la vulnérabilité humaine résulte d’une démarche philosophique, c’est-à-dire d’une démarche qui vise à effectuer le passage d’une notion commune à un concept et à ses propriétés. Une réflexion philosophique nous apprend à penser à partir de notre condition humaine, de notre humanité, de ses possibilités, de ses limites et de ses finalités.

D’autres approches nous attendent dans un futur proche. En effet, il est possible d’approcher la vulnérabilité humaine par sa condition sociale, ses milieux d’appartenance et de référence qui renvoient la vulnérabilité à la précarité, à des causalités déterminantes des modes de vie et des niveaux de vie, des liens sociaux, familiaux qui composent la fragilité humaine.

Enfin, lorsqu’on étudie la vulnérabilité des êtres et de leurs milieux, il est nécessaire de se référer aux lois qui protègent et soutiennent les êtres devenus vulnérables, par des droits, des mesures, des dispositifs juridiques qui accompagnent la transmission de nos biens et de nos valeurs.

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Gérard GUIEZE

Gérard GUIEZE

Professeur de Philosophie Conférencier

Formateur

Consultant

Formations et Conférences sur les problématiques éthiques et politiques du monde contemporain