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La contribution des époux au pas de charge !

Eclairage du 05 février 2021 - N°372

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Les charges du mariage et la manière dont les époux séparés de biens doivent y faire face se retrouvent régulièrement sur le devant de la scène jurisprudentielle. Il faut l’avouer, suivre la piste de petits cailloux blancs n’est pas toujours évident, certaines décisions pouvant apparaître contradictoires.

Des personnes portent des cartons
  • D’une part, les temps s’emmêlent : pendant et à la fin, la discussion n’a pas exactement le même objet ;
  • d’autre part, une clause s’en mêle : largement utilisée, elle permettrait de faire table rase des comptes d’apothicaires entre époux. Apportons, à notre tour, une modeste contribution…

Pourquoi un nouvel article sur un thème déjà largement traité les temps derniers (y compris dans ces colonnes : Les charges du couple, un cheval de Troie moderne, Pineau P., Newsletter AUREP n° 229, 8 juin 2016) ? Mais en raison d’un nouvel arrêt à son propos, pardi ! C’est finalement la Cour de cassation qui fait la ligne éditoriale…

Qu’écrire, alors, à propos de ce nouvel opus (Cass. 1e civ., 18 nov. 2020, n° 19-15.353, publié au bulletin). Un épisode parmi d’autres ? Sans doute. Car nous prenons en cours un long, très long feuilleton. Et autant le révéler d’emblée, nous sommes vraisemblablement très loin du dénouement.

Outre la question de ce qui est susceptible de constituer une charge du mariage, il s’agira d’envisager la présomption de contribution aux charges du mariage au jour le jour posée par le contrat de mariage et interdisant aux époux de prouver que l’un ou l’autre ne se serait pas acquitté de son obligation.

Voyons tout d’abord ce que la Cour de cassation nous a réservé au cas particulier, avant de mettre la décision en perspective avec les précédentes. Au programme, des nuances sans doute mais un panorama peu modifié au final.

Cadre et enjeu

Un homme a été condamné en appel (CA Nîmes, 20 févr. 2019) au règlement d’une créance entre époux d’environ 75 000 € au titre du remboursement d’un emprunt bancaire contracté pour la construction du logement familial.

Si très régulièrement l’affrontement tourne autour du financement d’une indivision par parts égales assumée en majeure partie par le plus fortuné, cette situation ne doit pas être regardée comme concentrant l’exclusivité du débat.

Au-delà de l’indivision

Ainsi « les règlements opérés par [le mari] (…) relatifs à des emprunts ayant financé partiellement l’acquisition, par [l’épouse], d’un appartement constituant le logement de la famille participaient de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » ; notons au passage que la Cour de cassation a donné quitus à la cour d’appel de ses investigations, en affirmant que cette dernière « n’avait pas à rechercher si la présomption édictée par la clause insérée au contrat de mariage était simple ou irréfragable, dès lors que [l’épouse] ne la remettait pas en cause » (Cass. 1e civ., 14 mars 2006, n° 05-15.980, publié au bulletin).

Rappelons au passage que, quelle que soit la configuration, il appartient pour le moins à l’époux qui affirme que l’autre n’a pas assumé sa part dans les charges du mariage de le démontrer (Cass. 1e civ., 3 mars 2010, n° 09-11.005).

Reste ensuite à savoir si le contrat de mariage laissera la démonstration produire les effets escomptés…

Excepteur sint occaecat cupidatat non proident, sunt in culpa qui officia deserunt mollit anim id est laborum. »

Référence circulaire…

Comme souvent, la Cour de cassation a, dans notre affaire, œuvré au visa des articles 214 – alinéa premier, pour être précis – et 1537 du Code civil, chacun d’eux renvoyant à l’autre, explicitement ou non.

« Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives » (C. civ., art. 214, al. 1er). « Les époux contribuent aux charges du mariage suivant les conventions contenues en leur contrat ; et, s’il n’en existe point à cet égard, dans la proportion déterminée à l’article 214 », répond en écho l’article 1537.

La cour d’appel de Nîmes s’est essayée à l’oxymore juridique en nous gratifiant, excusez du peu, d’un irréfragable contredit.

En effet, elle a considéré que « le caractère irréfragable de cette clause n’interdit pas à un époux de faire la démonstration de ce que sa participation a excédé ses facultés contributives », d’où il ressort que, « si la sur-contribution est démontrée, elle a pour effet de rendre la clause inefficace ».

Ainsi a-t-elle brillamment violé, ensemble, les deux articles précités. Pour la Cour de cassation, point de circonvolutions : « le caractère irréfragable de la présomption de contribution aux charges du mariage, au jour le jour, instituée par le contrat de mariage, interdit aux époux de prouver que l’un ou l’autre d’entre eux ne se serait pas acquitté de son obligation » : la conclusion est alors qu’à ce titre « un époux ne peut se prétendre créancier de l’autre » (Cass. 1e civ., 18 nov. 2020, n° 19-15.353, publié au bulletin).

Une telle présomption est-elle toujours irréfragable ? Il ne faudrait pas conclure hâtivement. D’ailleurs notre arrêt nous prévient contre les raccourcis.

Tout au fond et dans l’intention ?

La balle est dans le camp des juges du fond en la matière. Réfragable ou non, à eux de trancher – et au rédacteur du contrat de les éclairer, au regard de la volonté des époux à l’origine de la stipulation.

En revanche, une fois son parti pris, il s’agit d’en tirer les conséquences : « lorsque les juges du fond ont souverainement estimé irréfragable la présomption résultant de ce que les époux étaient convenus, en adoptant la séparation de biens, qu’ils contribueraient aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives et que chacun d’eux serait réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seraient assujettis à aucun compte entre eux ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre, un époux ne peut, au soutien d’une demande de créance, être admis à prouver l’insuffisance de la participation de son conjoint aux charges du mariage pas plus que l’excès de sa propre contribution ».

Mais revenons à notre arrêt pour y constater une inéluctable conséquence de la position que nous venons d’exposer.

Vases communicants

A propos du rejet de la demande de prestation compensatoire de l’épouse, la Cour de cassation fait également œuvre de censure vis-à-vis de l’arrêt d’appel après avoir rappelé que « la cassation s’étend à l’ensemble des dispositions de la décision cassée se trouvant dans un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire » (en ce sens, CPC, art. 624).

La solution est cohérente. Certains exercices doivent être menés de front. Ainsi la Cour de cassation a récemment rappelé à l’ordre une cour d’appel qui avait prononcé le divorce et sursis à statuer sur la demande de prestation compensatoire dans l’attente du projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots alors qu’« il lui appartenait de se prononcer, par une même décision, sur le divorce et sur la disparité que celui-ci pourrait créer dans les conditions de vie respectives des époux » (Cass. 1e civ., 15 nov. 2017, n° 16-25.700, publié au bulletin).

Venons-en aux décisions antérieures et au paysage accidenté qu’elles ont esquissé. Nous les aborderons brièvement sous un angle précis : la nature de l’investissement. En commençant par un triptyque porteur.

La zone des trois frontières

Pour quelles opérations la contribution aux charges du mariage a-t-elle rendu sans incidence les financements respectifs des époux, écartant toute créance au passage ?

Tout d’abord, la solution s’est banalisée concernant l’acquisition de la résidence principale (Cass. 1e civ., 15 mai 2013, n° 11-26.933, entre autres).

Toujours en matière d’immobilier de jouissance, elle a frappé à la porte des résidences secondaires (Cass. 1e civ., 18 déc. 2013, n° 12-17.420).

La contagion n’a pas touché l’investissement locatif (Cass. 1e civ., 5 oct. 2016, n° 15-25.944) ; il restera vraisemblablement hors de portée des charges du mariage mais il serait à notre sens présomptueux d’affirmer qu’une telle décision prévaudra à tout coup : à la marge, il nous semble qu’il pourrait aussi succomber.

Outre ces frontières, que nous craignons poreuses, un récent arrêt a posé une limite bienvenue.

Pas de revirement mais de la logique !

Ainsi, « l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1e civ., 3 oct. 2019, n° 18-20.828, publié au bulletin).

Respect de la logique économique qui veut qu’on trouve face aux charges les produits, non le prix de cession d’un actif : « le capital constitué n’est donc pas soluble dans les charges du mariage » (Gérer flux et stocks par le contrat de mariage : exemples par l’immeuble, Pineau P., RLDC 2019/176, n° 6699). Pas de revirement de jurisprudence mais une précision utile.

Autre précision utile, sur un même thème mais en d’autres temps, les alinéas se suivent et ne se ressemblent pas dans le miroir de la jurisprudence…

Une solution ? Agir sans attendre…

« Si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au code de procédure civile » (C. civ., art. 214, al. 2).

Pour la Cour de cassation, « les conventions conclues par les époux ne peuvent les dispenser de leur obligation d’ordre public de contribuer aux charges du mariage ». L’insertion de la clause qui nous occupe « ne fait pas obstacle, pendant la durée du mariage, au droit de l’un d’eux d’agir en justice pour contraindre l’autre à remplir, pour l’avenir, son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1e civ., 13 mai 2020, n° 19-11.444, publié au bulletin).

Pour l’avenir. Il faut comprendre, en revanche, que pour le passé les jeux sont faits, ce qui ne peut qu’encourager un époux à agir vite lorsque l’autre essaie de se soustraire aux obligations du mariage.

Cette précision apportée, voyons en quoi la solution retenue dans le cadre de l’arrêt objet principal de notre étude mérite une dernière mise en perspective, plus générale celle-là.

Pérennité de la solution ?

La réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, art. 4) a ainsi posé un principe et des exceptions en matière d’organisation de la preuve : si « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition », néanmoins « ils ne peuvent (…) établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable » (C. civ., art. 1356, al. 2, in fine).

On notera en la matière une pratique relativement classique, consistant à trancher un débat relevant du droit antérieur dans l’esprit du droit nouveau, dont l’influence est évidente bien qu’il ne s’agisse pas de lui conférer un caractère rétroactif. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle très tôt admis la preuve contre une clause contractuelle en matière de droit des affaires (Cass. com., 6 déc. 2017, n° 16-19615, à propos d’une clause assimilant l’absence de réserves dans les formes et délais prévus à la réception tacite d’un progiciel).

De quoi interroger sur la pérennité de la solution dégagée par l’arrêt du 18 novembre dernier à propos des clauses du contrat de mariage…

Sera-t-il possible un jour de conclure ?

Nous l’avons dit, nous ne sommes pas encore au bout du chemin. Quelle attitude privilégier alors ? Il nous semble qu’il convient d’encourager chacun à faire preuve de vigilance et à qualifier les opérations au regard de ce qu’elles sont lors de leur mise en place par les époux, chose bien sûr délicate quand chacune de ces opérations est mâtinée de sentiments.

La clarté des relations patrimoniales entre conjoints reste peu évidente, répétons-le, au regard de nos mentalités latines tout particulièrement. Et surtout lorsqu’il s’agit de la décliner jusque dans le quotidien. Il faut faire preuve de maturité, tant pour le conseiller que pour les époux eux-mêmes.

Faut-il ou non profiter de la possibilité laissée par l’article 214 du Code civil pour gérer la contribution des époux aux charges du mariage dans leur contrat ? Il faut pour sûr faire œuvre pédagogique, et ne pas hésiter, le cas échéant, à remettre l’ouvrage sur le métier à l’occasion d’un investissement potentiellement concerné. Le tout pour assurer, autant que faire se peut, le balisage d’une voie raisonnable.

Au regard de sa potentielle importance, la rédaction d’une clause spécifique mérite d’être adaptée pour éviter l’écueil de la clause de style qui meuble un contrat plus passe-partout que tout-terrain, souvent par simple habitude – et parfois dans l’espoir d’un certain confort pour le notaire en faisant usage.

La doctrine est divisée à propos des points qui peuvent être gérés ainsi, à la marge de l’ordre public. Outre la question du caractère de la clause déjà abordé, étendue et nature des opérations concernées pourraient être visées, qu’il s’agisse d’inclure ou d’exclure.

Notons avec intérêt la possibilité de déroger ponctuellement aux dispositions du contrat de mariage : « l’engagement librement pris par un époux et accepté par l’autre, en dehors du contrat de mariage, pour déterminer la contribution aux charges du ménage, est valable » (Cass. 1e civ., 3 févr. 1987, n° 84-14.612). Possibilité de déroger… mais aussi, pourquoi pas, de confirmer, si telle est la volonté des époux, la règle posée par leur contrat.

Il s’agirait ici de distinguer les gros poissons – investissements d’importance – du menu fretin et, à défaut de l’exercer partout et toujours, de faire preuve de rigueur à leur égard au moins.

Tout cela laisse évidemment un goût d’histoire sans fin – et parfois une impression de puits sans fond pour l’époux « victime ». Existe-t-il pour autant une solution universelle susceptible de dompter les eaux imprévisibles de ces torrents qui dévalent la vie sans qu’attention et raison ne les dirigent toujours ? Rien n’est moins sûr…

Points essentiels :

En séparation de biens, il arrive – trop – régulièrement que le remboursement d’un emprunt éloigne la contribution financière des époux de leur part dans la propriété du bien qu’il a permis d’acquérir ou sur lequel il a permis de faire des travaux. S’agissant des résidences principale ou secondaire, l’opération passe régulièrement par pertes et profits au titre de la contribution aux charges du mariage, excluant toute créance entre époux.

La présence dans le contrat de mariage d’une clause de présomption de contribution aux charges du mariage interdisant aux époux de prouver que l’un ou l’autre ne se serait pas acquitté de son obligation accroît encore le risque.

Il n’existe aujourd’hui aucune solution pleinement satisfaisante, l’efficacité de clauses spécifiques qui pourraient être insérées dans le contrat de mariage en la matière étant discutée.

La meilleure parade reste la rigueur des époux dans le fonctionnement financier de leur couple et la qualification précise des opérations d’importance et de leur financement.

Droit civil
Pascal PINEAU (AF2P)

Pascal PINEAU (AF2P)

Associé gérant chez SARL Atelier Formation Pascal Pineau