Arrêt de section de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 décembre 2025 (Cass. 1ère civ., 10 déc. 2025, n° 23-19.975), dont la lecture laisse une impression sombre, tant l’affaire touche à ce que la pratique contentieuse a de plus éprouvant ; de celles que l’on préférerait ne jamais voir surgir.
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L’indignité successorale, peine civile, de nature personnelle et d’interprétation stricte, n’emporte que la privation des droits successoraux légaux. Elle ne peut être étendue au-delà des textes qui l’instituent. Telle est la solution, sans équivoque, retenue par la Haute juridiction.
Dans cette sombre affaire, une défunte laissait pour lui succéder en 2012, son époux au bénéfice duquel elle avait, par acte de septembre 1961, consenti une donation de la pleine propriété de l’universalité des biens qui composeraient sa succession. La singularité de l’affaire tenait aux circonstances du décès, l’enjeu étant de déterminer si les violences volontaires commises par l’époux avaient entraîné la mort sans intention de la donner. C’est dans ce contexte que ce dernier avait par la suite été mis en accusation devant une cour d’assises par un juge d’instruction.
L’époux survivant est décédé durant l’instruction en février 2017 en laissant pour lui succéder son fils né d’une première union. Quelques mois plus tard, les neveux et nièces de la défunte victime assignèrent l’héritier du mari pour voir déclarer ce dernier indigne de succéder à leur tante et constater que la succession leur serait entièrement dévolue.
Si les juges du fond avaient retenu l’indignité de succéder de l’époux, les juges d’appel s’étaient distingués en énonçant que le conjoint survivant était indigne de recevoir la donation au dernier vivant de 1961.
Sur ce point, la solution retenue par la Haute juridiction est sans appel. Elle se fonde sur une lecture stricte des articles du Code civil 727, 955 et 1096 dans sa version antérieure à celle issue de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004.
Elle distingue par ailleurs deux fondements juridiques distincts :
- La révocation d’une donation pour cause d’ingratitude ;
- L’indignité successorale.
Notons dès à présent pour la bonne compréhension de la portée de l’arrêt que les neveux et nièces de la victime s’étaient ici prévalus de la seule indignité successorale du mari coupable. Le jeu des délais et modalités de mise en œuvre de chacune des actions expliquent certainement cette motivation.
En l’espèce, si le délai pour agir en déclaration facultative d’indignité devait être formé dans les six mois de la décision de condamnation postérieure au décès, le délai pour agir en révocation pour ingratitude est d’un an à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour que le délit aura pu être connu par le donateur.
Pour autant, précisions qui revêtent une importance majeure ici, la révocation pour cause d’ingratitude ne peut être demandée :
- Par le donateur, ou ses héritiers, contre les héritiers du donataire,
- Ni par les héritiers du donateur contre le donataire, à moins que, dans ce dernier cas, l’action n’ait été intentée par le donateur, ou qu’il ne soit décédé dans l’année du délit.
Dans notre affaire, les neveux et nièces disposaient donc durant les cinq ans séparant le décès de leur tante du décès de l’époux survivant coupable, de la faculté d’intenter une action en révocation pour cause d’ingratitude. Cette dernière aurait d’ailleurs certainement abouti mais, faute d’être intentée dans les temps, il restait aux ayants droit la seule faculté d’agir sur le fondement de l’indignité successorale.
Pour autant, leurs espoirs auront été vains. La Haute juridiction considère que la loi n’emporte, pour le conjoint survivant frappé d’une indignité, que la privation de ses droits successoraux légaux, et non des droits, fussent-ils équivalents, qu’il tient d’une donation de biens à venir consentie entre époux au cours du mariage.
En clair, la remise en cause d’une donation au dernier vivant, constituant sur le plan juridique une donation entre vifs, est seulement révocable pour cause d’ingratitude.
Avis de l’AUREP : Si la solution semble sévère pour les neveux et nièces dans cette affaire caricaturale, elle s’inscrit néanmoins dans une lecture stricte des textes et reflète la position constante de la jurisprudence sur la question. Elle s’inscrit dans l’avis de l’avocate générale.