Calcul de la plus-value en cas de cession de titres démembrés

Eclairage du 19 décembre 2025 - N°562

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A la suite des travaux de Jean Aulagnier, nombreux ont été les épargnants, propriétaires de titres de société, séduits par la transmission de ceux-ci au moyen de la donation de leur nue-propriété, l’idée étant bien entendu que les enfants deviennent pleins propriétaires de ces mêmes titres au décès des parents.

A. C. Pour Unsplash+

Mais bien entendu, les circonstances peuvent faire que les parents souhaitent procéder à une cession des titres en cours de démembrement, parce que déjà assez âgés, une offre particulièrement intéressante leur est faite. On connaît tous les conséquences juridiques et fiscales d’une telle opération.

Deux hypothèses bien connues sont en effet possibles : soit les cédants décident de partager le prix entre eux, soit ils optent pour un remploi du prix dans un bien sur lequel va se reporter le démembrement par voie de subrogation réelle.

Quelles sont les conséquences fiscales de ces deux choix au regard du régime des plus-values ? Qui va devoir supporter le coût fiscal lié à cette plus-value ?

Cession conjointe des titres démembrés et partage du prix

La première hypothèse ne présente en vérité aucune difficulté, chacun des cédant reçoit une partie du prix et doit déclarer sa propre plus-value dans le cadre du régime des plus-values immobilières des particuliers de l’article 150 U du CGI. Enfin, tel est bien le cas si l’usufruitier est une personne physique ou une société de personnes de l’article 8 du CGI. Et si les parents ont fait donation de la nue-propriété à leurs enfants tout en se réservant l’usufruit sur le bien qui constitue leur résidence principale, ils peuvent bénéficier de l’exonération de la plus-value de cession de l’usufruit.

Pour autant, l’administration pourrait avoir une raison de s’intéresser à la cession en cause. En effet, si le bien constitue effectivement la résidence principale des parents comme on vient de l’envisager, ces derniers peuvent être tentés de recourir à une valorisation économique de l’usufruit quasiment toujours supérieure à la valeur fiscale de ce droit. De la sorte, ils maximiseront la fraction du prix bénéficiant de l’exonération, diminuant du même coup la plus-value à la charge de enfants. L’administration pourrait-elle remettre en cause cette façon de procéder sur le fondement de l’abus de droit en excipant du fait que, ce faisant, les membres de la famille sont sortis de l’optimisation fiscale pour entrer dans le domaine de l’abus de droit. Elle ferait valoir qu’une valorisation fiscale fondée sur les dispositions de l’article 669 du CGI en fonction de l’âge des parents usufruitiers aurait conduit à une imposition plus lourde des nus-propriétaires.

Une telle prétention se heurterait à la propre documentation de l’administration elle-même. En effet on peut y lire (BOFIP-RFPI-PVI-20-10-10- § 300.- 02/03/2016) : ”En cas de cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété, le prix global doit être ventilé de façon à faire apparaître distinctement le prix de cession de la nue-propriété et celui de l’usufruit, en fonction de leur valeur réelle au jour de la vente. A titre de règle pratique, il est admis que cette ventilation puisse être effectuée en appliquant le barème prévu par l’article 669 du CGI en tenant compte de l’âge de l’usufruitier au jour de la vente. “ Elle rappelle dans le même sens (BOFIP-ENR-DMTOI-10-10-10.-08/03/2017) que : “Les parties demeurent libres de fixer le prix de l’usufruit et de la nue-propriété comme elles l’entendent. Dès lors, l’évaluation de la nue-propriété d’un bien apporté à une société peut être fixé sans utiliser le barème de l’article 669 du CGI.”.

C’est au demeurant bien ce même principe que retient le Conseil d’état (CE, 30 décembre 2009, req. n° 307165). Pour lui le prix doit être réparti entre l’usufruitier et le nu-propriétaire en fonction de la valeur réelle des droits démembrés, valeur évidemment différente de la valeur fiscale de l’article 669 du CGI, laquelle ne concerne que la détermination de l’assiette des droits d’enregistrement.

Dans ces conditions, l’abus de droit n’aurait aucune chance de prospérer. L’affaire est entendue.

Cession conjointe des droits démembrés et remploi du prix de cession

Dans ce second cas de figure, aux termes de l’article 150-0 A, lorsque les parties ont décidé que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l’acquisition d’autres titres dont les revenus reviennent à l’usufruitier, la plus-value réalisée n’est imposable qu’au nom du nu-propriétaire. On voit immédiatement le risque de présence d’une rémanence d’impôt. Et précisément, lorsqu’il s’est agi de déterminer dans quelles conditions le montant de la plus-value imposable devait être établi dans l’hypothèse d’une donation antérieure de la nue-propriété, l’administration a voulu éviter qu’une même plus-value soit soumise à deux impôts différents. En effet, il est clair que à la date de la donation de la nue-propriété la plus-value acquise par le bien entre la date de son acquisition et cette donation est déjà soumise aux droits de mutation à titre gratuit sur le fondement des dispositions de l’article 669 du CGI., droits eux-mêmes à la charge du nu-propriétaire, Du même coup, lors de la cession des droits démembrés suivie d’un remploi du prix, cette même plus-value est de nouveau soumise à l’impôt entre les mains du nu-propriétaire, au titre cette fois de l’impôt sur le revenu.

Pour éviter cette rémanence d’impôt, l’administration a posé pour principe (BOFIP-RPPM-PVBMI-20-10-20-60-§ 150.- 20/12/2019) que : ”Le prix ou la valeur d’acquisition à retenir pour la détermination de la plus-value imposable est constitué, en tout état de cause, par le prix ou la valeur d’acquisition initiale de la pleine propriété des titres majoré de l’accroissement de valeur du droit transmis constaté entre la date de l’acquisition initiale de la pleine propriété et la date de transmission à titre gratuit (cas courant) ou à titre onéreux (cas plus exceptionnel).“

C’est précisément à cet endroit qu’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Toulouse en date du 5 juin 2025 (n° 23TL00572) présente un grand intérêt au plan de l’opposabilité à l’administration de sa propre doctrine régulièrement publiée. En effet, en illustration de la documentation précitée, l’administration propose un exemple de calcul conforme à cette doctrine et, pour déterminer la valeur des droits démembrés à l’heure de la donation, elle précise dans un renvoi (1), que les valeurs respectives de l’usufruit et de la nue-propriété sont “déterminées par application du barème de l’article 669 du code général des impôts en fonction de l’âge de l’usufruitier au moment de la cession”. Et c’est en faisant application de cette règle prétorienne que les requérants avaient évalué la valeur de la nue-propriété pour déterminer la plus-value acquise par la nue-propriété entre l’acquisition initiale du bien en pleine propriété et la donation en cause.

Et pourtant, l’administration adressa une proposition de rectification visant à contester cette évaluation. Pour elle, faisant fi du renvoi (1) précité, les contribuables auraient dû estimer la valeur de la nue-propriété transmise en fonction de l’âge du donateur à la date de cette mutation à titre gratuit et non en fonction de son âge à la date de la cession. Pour sa défense, les requérants fondèrent leur contestation sur les termes de ce renvoi en invoquant à leur profit les dispositions de l’article L. 80 A relatives à l’opposabilité à l’administration de sa propre documentation régulièrement publiée.

Cependant, les requérant avait mal étudié le schéma figurant dans cette doctrine. Certes le renvoi (1) en question faisait bien état de la nécessité de se référer à l’âge de l’usufruitier à la date de la cession mais le renvoi était relatif à la détermination du prix d’acquisition de la nue-propriété incluse dans le prix d’acquisition de la pleine propriété initiale. Effectivement, pour calculer une plus-value encore est-il nécessaire de connaitre la valeur d’origine du bien ou du droit démembré. S’agissant de la nue-propriété dont la valeur est incluse dans la pleine propriété initiale, seule une évaluation empirique de cette s’impose. Autrement dit, l’administration pouvait librement s’en remettre au barème de l’article 669 du CGI. Le contribuable ne pouvait donc en aucun cas fonder un moyen de contestation sur l’opposabilité de la doctrine, faute par lui d’avoir correctement analysé les mentions figurant dans l’exemple proposé par l’administration.

Dans ces conditions, l’administration avait donc correctement appliqué sa propre doctrine.

On ne peut s’empêcher toutefois de souligner le caractère discutable de cette doctrine. En effet, celle-ci n’a évidemment pas force de loi. Aucune mention dans la loi ne donne la clé de calcul de la valeur de la nue-propriété. On est en présence d’une doctrine tout simplement illégale puisqu’elle ajoute à la loi empiétant de la sorte sur le domaine de la loi tel qu’il est prévu par les dispositions de l’article 34 de la constitution. L’article 150 0 D du CGI ne prévoit en effet aucune règle particulière en cas de cession de titres démembrés. Seule est précisée la règle générale selon laquelle la plus-value est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition des titres ou d’un droit démembré.

Dans ces conditions, rien n’empêcherait un contribuable de mettre en pratique une autre méthode d’évaluation du prix d’acquisition de la nue-propriété noyée qu’elle est dans le prix d’acquisition initial des titres. On pourrait de la sorte songer à dupliquer, sur le prix d’acquisition de la pleine propriété, le pourcentage représenté par la valorisation économique de la nue-propriété à la date de la cession. Sur le principe, la transposition resterait sans aucun doute possible. Pour autant, l’idée serait-elle pertinente ? Depuis les travaux de Jean Aulagnier, l’on sait en effet que le barème fiscal a pour conséquence une surévaluation de la valeur de la nue-propriété. Et retenir alors cette valeur fiscale de la nue-propriété reste un avantage pour le contribuable en tant qu’elle a pour conséquence une majoration du prix d’acquisition du droit démembré et du même coup une diminution de la plus-value brute.

En conclusion, appliquons donc la doctrine administrative parfaitement précisée par la Cour de Toulouse. La plus-value est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition du droit démembré apprécié en fonction de l’âge du donateur à la date de la cession Il ne manquerait plus qu’’un contribuable ait dans l’idée de contester cette doctrine par la voie du recours pour excès de pouvoir pour en faire valoir illégalité. Un masochiste peut être à l’heure où les finances publiques sont en délicatesse ?

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Droit fiscal
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX

Consultant en droit fiscal