Un contrat d’assurance-vie, deux arbitrages mal calibrés, une moins-value de 50 %. Ce scénario, issu d’un arrêt récent (Cass. com., 26 mars 2025, n° 24-10.430), illustre avec acuité les conséquences d’un manquement aux obligations d’information et de conseil du conseiller en gestion de patrimoine. L’affaire offre un triple éclairage : périmètres des obligations du CGP, régime de prescription et évaluation du préjudice sous l’angle de la perte de chance. Autant de rappels utiles pour les professionnels du patrimoine.
Cette affaire opposait M. [K], ingénieur, à une société spécialisée dans le conseil en gestion de patrimoine, le courtage en assurance et le conseil en investissements financiers, qui l’accompagne dans la gestion de ses investissements. Après avoir établi son profil investisseur (« modéré à moyen »), le premier a signé une lettre de mission de suivi patrimonial avec la société. Il a dans la foulée souscrit un contrat d’assurance-vie en octobre 2008 dont l’investissement initial a été réparti entre un fonds en euros (70 %) et des unités de compte (30 %).

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Entre 2010 et 2011, sur les conseils de la société, il a procédé à plusieurs arbitrages, aboutissant à un transfert intégral vers un produit structuré, SG Option Axyalis Coupons. Ce produit, indexé sur un panier d’actions, promettait un coupon semestriel de 7 % et la sécurité du capital à condition qu’aucune action n’ait baissé de plus de 40 % à l’échéance. En 2014, la baisse significative d’une des actions mit fin à toute perspective de rendement. Le 18 juin 2014, informé de l’effondrement de son placement, M. [K] a accepté un arbitrage vers un nouveau produit Kairos, opération qui aboutira fin 2016, à une moins-value d’environ 50 %.
En janvier 2019, reprochant à la société un manquement à ses obligations de conseil, M. [K] l’assigna avec ses assureurs devant le Tribunal de grande instance de Grenoble, en réparation de ses préjudices. Le contentieux s’est articulé autour de trois axes.
1) Sur le bien-fondé de M. [K]
Précisons de prime abord que la responsabilité de la société de conseil en gestion de patrimoine a été retenue par les juges du fond (CA Grenoble, 14 nov. 2023, n° 21/05352) sans que cela fasse l’objet d’un pourvoi. De deux choses l’une :
- Sur l’obligation d’information : si la société avait formellement remis à M. [K] les documents contractuels et précontractuels relatifs aux unités de compte précitées, cette information était en réalité viciée car inadaptée à son profil de risque.
- Sur le devoir de conseil : celui-ci était indiscutablement non respecté à l’égard de M. [K], dans la mesure où la société lui a proposé des produits d’investissement inadaptés à son profil d’investisseur. Il était en effet explicite que les produits litigieux présentaient un risque important. A cet égard, la Cour estime qu’une réévaluation du profil d’investisseur aurait dû intervenir pour vérifier l’adéquation des produits proposés.
En outre, il est rapporté que, sans en avoir été informé, le client avait souscrit au produit SG Option Axyalis Coupons alors que l’une des actions sous-jacentes était déjà inférieure à son niveau de référence, augmentant ainsi le risque de non-remboursement du capital à l’échéance. De même, le manquement au devoir de conseil s’est répété avec le produit Kairos, présenté à M. [K] comme une solution pour préserver son investissement, alors que l’une des actions sous-jacentes du produit était là aussi déjà sous le seuil de 55 %, induisant une perte en capital dès la souscription.
En clair, le professionnel avait manqué à son devoir d’information et de conseil lors des arbitrages litigieux en ne donnant pas à l’intéressé toutes les informations utiles et nécessaires pour appréhender véritablement le degré de ce risque.
A noter qu’au-delà du simple courtage en assurance (art. L.520-1 C. ass.), la société intervenait comme conseiller en investissements financiers (L.541-4 C. mon. fin., applicable ici), ce qui renforçait ses obligations pour se conformer à la réglementation entourant cette activité.
2) Recevabilité de l’action en responsabilité du client :
En parallèle, il était question de savoir si l’action était prescrite. La société de conseil considérait l’action prescrite, estimant avoir informé son client des risques et que la perte de chance de ne pas contracter s’était matérialisée dès la souscription du contrat et les arbitrages litigieux. De son côté, le client ne contestait pas le contrat d’assurance-vie en tant que tel, mais uniquement les deux arbitrages précités ayant engendré les pertes successives, dont il a été informé au fil de l’eau.
Les juges d’appel avaient alors retenu que la perte de capital ne pouvait être constatée qu’à l’échéance du placement ou, au plus tôt, au 16 mai 2014 (information transmise par la société). En janvier 2019, lors de l’assignation, l’action n’était donc pas prescrite.
Ce point fit l’objet d’un pourvoi en cassation par la société de conseil et ses assureurs (Cass. com., 26 mars 2025, n° 24-10.430). La Haute juridiction se fonda sur sa jurisprudence abondante en la matière. En combinant l’article 2224 du Code civil et l’article L. 110-4 du Code de commerce, elle commença par rappeler qu’il convenait d’appliquer la prescription quinquennale de droit commun prévue par les articles susvisés. Ce délai court à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Au demeurant, les juges mirent à l’honneur une notion couramment employée pour qualifier la nature du préjudice subi : la perte de chance. Le manquement d’un conseiller en gestion du patrimoine à son obligation d’informer, à l’occasion d’un arbitrage, le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d’investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d’un tel risque, prive ce souscripteur d’une chance d’éviter la réalisation de ces pertes.
Dès lors, la Haute juridiction jugea que le délai de prescription de l’action en réparation d’un tel dommage commence à courir, à la date du rachat du contrat d’assurance-vie. En l’espèce, le contrat étant en cours au moment du litige, le dommage invoqué ne s’était pas encore réalisé, de sorte que le délai de prescription n’avait pas commencé à courir.
3) Sur le préjudice subi par M. [K]
Enfin, la Cour d’appel avait consacré aussi bien la perte de chance d’éviter la souscription aux supports Axyalis Coupons et Kairos, inadaptés à son profil ; que la perte de chance d’éviter les moins-values constatées sur ces unités de compte. La Cour a estimé que le préjudice devait être évalué en comparant les moins-values avec le gain que M. [K] aurait pu réaliser s’il avait placé son épargne autrement, via une information et un conseil adaptés, jusqu’à la date de rachat du contrat. Elle confirmait ainsi l’évaluation de la perte de chance à 80 % retenue en première instance.
Sur ce point, qui faisait également l’objet d’un pourvoi en cassation, la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel au regard des principes susvisés. Le contrat étant toujours en cours au moment du litige, les pertes ne s’étaient pas encore réalisées. En conséquence, aucune évaluation du préjudice ne pouvait intervenir.