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Abus de droit : apport-cession et réinvestissement dans la location meublée

Eclairage du 20 mai 2022 - N°433

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L’origine, les dispositions de l’article 150 0 B du CGI offraient la possibilité au détenteur de titres de sociétés d’en faire l’apport à une société qu’il créé à cet effet tout en bénéficiant d’un sursis d’imposition au titre de la plus-value d’apport. Aujourd’hui, ce même apport ouvre droit, non à un sursis d’imposition, mais à un report d’imposition à la condition que le produit de la cession des titres par la société bénéficiaire de l’apport soit réinvesti dans une activité économique à hauteur de 60 % de son montant si cette cession a lieu dans les trois ans de l’apport.

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Toute la question est alors de savoir ce qu’il convient d’entendre par réinvestissement économique. La réponse à cet égard doit être recherchée dans l’analyse des intentions du législateur. Des travaux préparatoires à la loi de finances pour 2000, il ressort clairement que le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d’entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci. Du même coup, il va de soi que les investissements de nature patrimoniale ne peuvent prétendre répondre à cet objectif. On n’a donc pas été surpris de voir le Conseil d’Etat considérer que ne satisfaisaient pas aux exigences de la loi des réinvestissements dans l’acquisition de biens immobiliers ou de parts de SCI (CE, 24 août 2011, n° 314579, « Moreau »).

Maintenant, lorsque ce même réinvestissement consiste en l’acquisition de locaux meublés, la question reste plus délicate. Les revenus tirés de cette activité relèvent en effet des bénéfices industriels et commerciaux sur le fondement des dispositions de l’article 35-I-5° bis du CGI. Le bailleur peut même être considéré comme professionnel sous certaines conditions. Malheureusement, cette approche fiscalo-fiscale ne répond pas à la problématique de savoir si le réinvestissement présente, ou non, une nature économique. Comme on l’a souvent répété, la qualification juridique d’une opération ne relève pas du droit fiscal, mais des autres branches du droit.

Et précisément, au regard du droit civil, la location meublée reste une location civile. Le fait de soumettre les revenus à l’impôt dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux n’y change rien. Penser que, du même coup, le texte de l’article 35-I5°Bis du CGI introduit une requalification de la nature juridique de cette location relève d’une erreur fondamentale. L’imposition des revenus dans cette catégorie vise simplement à assurer une égalité de traitement fiscal entre deux contribuables dont l’activité repose sur une location de même nature : l’hôtelier et le bailleur de locaux meublés.

Dans ces conditions, fidèle à sa grille d’analyse des opérations qui lui sont soumises, le Conseil d’Etat se réfère en premier lieu au droit civil (CE, 19 avril 2022, req. n° 442946). Après avoir rappelé que la location meublée revêt un caractère civil, le juge en conclut que ce réinvestissement dans .de tels ne présente aucun caractère économique. Néanmoins, il assortit cette affirmation d’un bémol d’importance en énonçant que : 

« une activité de loueur en meublé ne peut être regardée comme un investissement à caractère économique que si cette activité de location est effectuée par le propriétaire dans des conditions le conduisant à fournir une prestation d’hébergement ou si elle implique pour lui, alors qu’il en assure directement la gestion, la mise en œuvre d’importants moyens matériels et humains. »

Au plan de la gestion patrimoniale, cette précision raisonne comme un avertissement. De très nombreux investissements sont réalisés dans des locaux meublés intégrés dans une résidence hôtelière, une résidence de retraite ou une EPHAD. L’épargnant vise alors les avantages attachés à la location meublée non professionnelle. Il tire alors profit d’une réduction d’impôt tout en étant autorisé à soumettre la location à la TVA pour peu que l’exploitant, à qui il est lié par un bail commercial, propose aux occupants trois des quatre services énoncés par l’article 261-D-4° du CGI. Cet assujettissement à la taxe présente un grand intérêt pour lui en ce qu’il lui ouvre droit à la déduction de la taxe acquittée lors de l’acquisition du bien.

Pour autant, il serait aventureux d’arborer un large sourire en lisant ces lignes. En effet, dans ces investissements, comme on l’a dit, la location est consentie par bail commercial à un exploitant. Et c’est ce dernier et non le bailleur  qui fournit les services aux occupants de la résidence. Or, le Comité de l’abus de droit fiscal a déjà eu à connaître de cette situation (Séance 19 janvier 2017, aff. 2016-10). Et il a estimé que la location conservait alors un caractère civil parce que les prestations parahôtelières étaient assurées, non par le bailleur lui-même, mais précisément par l’exploitant des locaux.

Autrement dit, tous ces réinvestissements ne présentent qu’un caractère patrimonial et ouvrent toute béante la porte de l’abus de droit à l’administration.

Certes, on peut songer ici à faire le lien avec la jurisprudence propre au régime Dutreil lorsque l’activité au titre de laquelle l’épargnant entend bénéficier de ce dispositif consiste en la location meublée. La doctrine administrative (BOI-PAT-ISF-30-30-10-10-§ 40.- 05/08/ 2013) considère que ce dispositif est applicable à une entreprise de location meublée contredisant de la sorte la position du comité. Au pied de l’avis on lit en effet :

 « L’Administration a pris note de l’avis émis par le Comité ». Elle ne s’est pas rangée à cet avis. Cela semble signifier qu’elle reste plutôt sur sa position exprimée dans la documentation précitée pour considérer que l’on est bien en présence d’une activité commerciale parce qu’elle est visée par l’article 35 du C.G.I »

Pour autant, avec la décision du Conseil d’Etat, toute transposition de cette doctrine à l’apport-cession de l’article 150 0 B du CGI est clairement exclue. Et ceci d’autant plus que cette doctrine, propre à l’ISF, n’est en aucune façon opposable à l’administration sur le fondement de l’article L. 80 A du LPF relatif à l’opposabilité à celle-ci de sa doctrine régulièrement publiée.

Le Conseil :

Dans le cadre d’un apport cession, si vous souhaitez que la société que vous avez créée réinvestisse le produit de la cession dans une location meublée, tout en bénéficiant du report d’imposition, vous devez impérativement assurer vous-même la fourniture de services parahôteliers. Tout investissement dans des locaux donnés en location par bail commercial à un exploitant qui fournit alors personnellement les mêmes prestations aux occupants de la résidence vous expose clairement à la mise en œuvre de l’abus de droit sans qu’un recours au Comité de l’abus de droit fiscal ou un recours au juge de l’impôt ne puisse être d’une quelconque efficacité. C’est alors perdu d’avance…Vous devenez un bienfaiteur du Trésor Public en acquittant l’impôt éludé et, pour votre plus grand plaisir, la pénalité de 80 % attachée à la mise en œuvre de l’abus de droit de l’article L. 64 du L.P.F.

A cet égard n’espérez pas, au demeurant, vous en tirer plus favorablement en pensant que l’administration pourrait recourir à l’abus de droit fondé sur le but principalement fiscal assorti de pénalités moins élevées. Le but exclusivement fiscal étant reconnu par le Conseil d’Etat, vous pensez bien que l’administration ne va pas se priver de vous infliger les pénalités les plus élevées. Que voulez-vous, il faut bien renflouer les caisses de l’Etat en ces temps difficiles…

Droit fiscal
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX