Pactes d’actionnaires

Actualité
du 9 Février 2023
Henri
LEYRAT
Responsable Scientifique AUREP

Le principe de prohibition des engagements perpétuels n'interdit pas de conclure un pacte d'associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement (Cass. 1ère civ., 25 janv. 2023, n° 19-25.478) :

Par acte du 30 janvier 2010, un homme et ses cinq enfants, ainsi qu’une société holding, actionnaires d’une SAS, ont conclu un pacte d'actionnaires. Celui-ci prévoit ce qui devra être mis en œuvre lorsque le père de famille ne sera plus associé du groupe afin que le groupe reste au sein de la famille, ainsi que des dispositions devant immédiatement régir la vie de la société et les actes des associés. Par lettre du 23 février 2017, le père et la holding ont notifié à l’un des enfants la résolution unilatérale du pacte d'actionnaires. Cet enfant a assigné le père et la holding, en présence de ses frères et sœurs, ainsi que de la société, afin qu'il soit jugé que la résolution du pacte avait été mise en œuvre de manière abusive et qu'elle était irrégulière et inefficace.

 

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S’agissant du principe de prohibitions des pactes sur succession futures :

 

La Cour d’appel avait rejeté la demande de nullité de l’intégralité du pacte au motif que si une clause était nulle au regard du principe de prohibition des pactes sur succession future, le vice n’affectait que la clause et non le contrat dans son intégralité.

 

Sur ce point, la Cour de cassation rejette le moyen :

 

« 5. Aux termes de l'article 722 du code civil, les conventions qui ont pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d'une succession non encore ouverte ou d'un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi.

 

6. Lorsque la nullité en résultant n'affecte qu'une ou plusieurs clauses de l'acte, elle n'emporte sa nullité en son entier que si cette ou ces clauses en constituent une condition essentielle et déterminante.

 

7. La cour d'appel a retenu que, si l'article 5 du pacte d'actionnaires énonçait une disposition relative à un bien futur de la succession de M. [I] [F] dans la mesure où elle prévoyait les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession, ce pacte ne portait pas, en ses autres dispositions, sur les biens meubles ou immeubles de cette succession, mais avait pour objectif de définir la stratégie de gestion que devraient adopter ses héritiers lorsque M. [I] [F] se serait retiré des affaires ou serait décédé, afin de pérenniser le groupe Socri et de préserver les intérêts de chacun d'entre eux.

 

8. Elle a relevé que l'examen des quatorze autres articles de ce pacte démontrait que celui-ci traitait notamment de la stratégie d'entreprise, de la responsabilité des descendants, de la rémunération des mandats sociaux, de la prise de décisions collectives, de l'embauche de certains collaborateurs, du fonctionnement des holdings familiales, de la cession des actions entre descendants, des droits sociaux dérivés, de la politique de distribution des dividendes, des engagements de non-concurrence, des droits de préférence, de l'arbitrage et de la médiation en cas de mésentente entre descendants.

 

9. Elle a estimé que, dans ce contexte, l'article 5 n'avait été conçu que comme une des mesures de gestion de la société au décès de M. [I] [F].

 

10. Ayant ainsi fait ressortir que l'article 5 n'était pas un élément essentiel du pacte d'actionnaire, déterminant de l'engagement des parties, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que la demande de nullité du pacte en son entier devait être rejetée ».

 

S’agissant de la nullité des engagements perpétuels :

 

Le requérant invoquait la nullité du pacte d’actionnaires au motif que sa durée était fixée sur celle de la société. La Cour d’appel avait accueilli cet argument, mais la Cour de cassation casse l’arrêt sur ce moyen :

 

« Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 1838 du même code :

 

13. Il résulte de la combinaison de ces textes que la prohibition des engagements perpétuels n'interdit pas de conclure un pacte d'associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.

 

14. Pour déclarer régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la société HC, le 23 février 2017, et par Mme [B] [F], le 10 janvier 2018, et débouter M. [R] [F] de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir constaté que l'article 10 du pacte d'actionnaires prévoit que ce contrat est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, qu'au terme de cette première période, le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu'à l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six mois à l'avance aux autres parties, et que, selon l'article 11, le pacte liera et bénéficiera aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales, ainsi que leurs représentants légaux, relève que la société Socri promotions a été immatriculée au RCS le 24 janvier 1969, de sorte que la première période de ce pacte expirera le 24 janvier 2068, et qu'en respectant ces dispositions, les descendants de M. [I] [F] ne pourront sortir du pacte qu'à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte. Il en déduit que cette durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment.

 

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

 

Avis de l’AUREP : il est vrai que la nullité d’une stipulation contractuelle n’emporte en principe pas de nullité du contrat dans son entier, à moins que la clause en question ait été déterminante dans le consentement des parties (C. civ., art. 1184).

En revanche, il existait un débat doctrinal quant à la durée des pactes d’actionnaires. Il est désormais clairement établi qu’un tel pacte peut être établi pour la durée de vie de la société.

Droit des Sociétés
Henri
LEYRAT
Responsable Scientifique AUREP