Dans cette affaire, des époux mariés sous un régime communautaire avaient laissé, à leur décès, leurs trois enfants. Deux d’entre eux demandaient l’attribution préférentielle de terres agricoles composant la succession de leurs défunts parents.
Photo de Dylan de Jonge sur Unsplash
Nous rappellerons utilement que cette faculté, encadrée par les articles 831 et suivants du Code civil, permet à un héritier copropriétaire de demander « l’attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s’il y a lieu, de toute entreprise, ou partie d’entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d’une telle entreprise, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l’exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement . »
En l’espèce, la singularité reposait sur la pluralité des demandes : deux enfants demandant l’attribution des terres agricoles pour l’exercice de leur activité. Dans cette hypothèse, il convient d’opposer deux scénarios (C. civ., art. 832-3) :
- Soit les successibles font conjointement leur demande afin de conserver ensemble le bien indivis, ce qui en l’espèce n’était pas le cas ;
- Soit, à défaut d’accord amiable, et c’est le cas ici, la demande est portée devant le tribunal qui se prononce en fonction des intérêts en présence.
Dans le dernier cas qui nous intéresse, la loi laisse aux juges du fonds le soin d’appréhender l’aptitude des différents postulants à gérer les biens en cause et à s’y maintenir.
En l’espèce, les juges d’appel confrontés au litige avaient relevé que l’un des postulants, âgé de 67 ans, était proche de la retraite, qu’il était en train de céder progressivement son exploitation à des tiers et qu’il n’avait aucun descendant susceptible de reprendre l’exploitation. Comparativement, son frère, plus jeune, âgé de 61 ans avait deux fils titulaires d’un diplôme en agriculture et donc susceptibles de pérenniser l’affaire familiale. En considération de ces éléments, les juges du fond avaient ainsi écarté au premier l’attribution et attribué au second les terres agricoles (CA Amiens, 13 avril. 2023, n° 21/00868).
Le postulant écarté forma un pourvoi en cassation. Il arguait du fait que l’appréciation de l’aptitude des différents postulants à gérer l’exploitation et à s’y maintenir devait être faite en considération des personnes qui postulent effectivement à l’attribution, et non de leurs descendants. De surcroît, il avançait ne pas avoir l’intention de faire valoir ses droits à la retraite et vouloir continuer à être exploitant agricole. Enfin, il justifiait la cession d’une partie de ses terres pour anticiper le financement de la soulte dont il serait redevable si les terres litigieuses lui étaient attribuées préférentiellement.
Rappelant les règles édictées par l’article 832-3 alinéa 3, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel (Cass. 1ère civ., 1er oct. 2025, n° 23-16.618). Pour cause, elle déduit de ces dispositions que l’étude comparative des aptitudes des postulants par le tribunal implique « une appréciation à faire en considération des personnes qui postulent effectivement l’attribution et non de leurs descendants. »
Ainsi, en se déterminant par une appréciation de l’aptitude des postulants à gérer l’exploitation et à s’y maintenir en considération de leur descendance et non de leur propre personne, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. De même, elle n’a pas recherché, comme il lui était demandé, si l’héritier postulant écarté n’avait pas cédé une partie de ses terres afin d’être en mesure de financer la soulte dont il serait redevable si les terres litigieuses lui étaient attribuées.