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Lorsque l’on évoque les dispositions de l’article 238 bis K du CGI, on parle le plus souvent de son application dans le cadre d’une SCI. Il est en effet assez fréquent qu’une société de cette nature ait pour associé une personne physique et une société soumise à l’impôt sur les sociétés. Rappelons tout de même que cet article a une portée plus large pour concerner toutes les sociétés de personnes, qu’elles soient immobilières ou non. Si la situation est plus répandue dans les SCI, c’est tout simplement parce qu’elle est très utilisée dans le domaine de l’immobilier d’entreprise. La SCI détient un immeuble donné en location à une société commerciale soumise à l’IS et pour que cette société locataire dispose d’un pouvoir de contrôle au sein de la SCI, elle entre au capital de celle-ci dès sa création.

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La SCI doit alors déterminer deux résultats distincts et non un seul qu’elle va diviser en proportion des droits détenus par l’associé personne physique et la société commerciale. Elle détermine un revenu foncier pour la part revenant à la personne physique qui va remonter dans les revenus de cette dernière au prorata de ses droits dans les bénéfices de la SCI ; un résultat selon les règles de l’IS pour la part remontant dans les comptes de la société, calculée là aussi au prorata de ses droits dans les bénéfices de la société immobilière.
Reste la question de l’impact du résultat et de la situation financière de la SCI sur la détermination du résultat de la société soumise à l’IS propriétaire des parts de cette même SCI.
C’est tout l’intérêt d’une décision du Conseil d’Etat du 12 mars 2025 (arrêt n° 474824) que d’apporter un éclairage peu souvent rencontré dans cette situation. Jugez plutôt. En l’occurrence, une société holding, qui avait opté pour l’IS, détenait des parts dans deux SCI lesquelles donnaient en location les locaux dont elles étaient propriétaire à une SCEA dont les parts étaient également détenues par la société holding. Cette dernière avait consenti des avances en compte courant aux deux SCI, elles-mêmes en difficulté parce, qu’en fait, la SCEA n’allait pas mieux.
Du même coup, la société holding entendit se prémunir contre ces difficultés, ses avances en compte courant étant en péril dans la SCI alors que la valeur des parts de la SCEA commençait à s’amoindrir au fur et à mesure de la chute de son activité. Pour cela, elle comptabilisa deux provisions venant en déduction de son résultat que l’administration remit précisément en cause :
– la première pour créances douteuses concernant les avances en compte courant figurant dans les comptes des SCI ;
– la seconde pour constater la dépréciation des parts de la SCEA.
La première provision était contestée par l’administration en tant qu’elle était, selon elle, indissociable des pertes constatées dans les SCI dont une part correspondant à ses droits dans les bénéfices était déjà imputée par la société holding sur ses propres résultats. Or, pour le Conseil d’Etat, les deux choses étaient indépendantes l’une de l’autre. En validant ce moyen, la Cour administrative d’appel de Nancy commettait une erreur de droit en ce qu’elle aurait dû avant tout rechercher si ces provisions satisfaisaient aux conditions prévues par la loi, en l’occurrence les dispositions de l’article 39-1-5° du CGI. Elle aurait dû vérifier qu’il s’agissait bien de provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées que des événements en cours rendaient probables, et à conditionencore qu’elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l’exercice.
Toujours pour contester cette même provision, l’administration articulait un second moyen selon lequel la constatation d’une provision entrait en contradiction avec les dispositions de l’article 1857 du code civil lequel dispose que : » A l’égard des tiers, les associés [d’une société civile] répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l’exigibilité ou au jour de la cessation des paiements « . En validant ce moyen, la cour administrative d’appel commettait une seconde erreur de droit. Le Conseil d’Etat rappela en effet que l’obligation aux dettes des associés d’une société civile prévue par cet article ne vaut que pour les dettes à l’égard des tiers et non des associés. Ce second moyen était par conséquent inopérant.
Le service invoquait enfin un dernier moyen : la provision devait être rejetée au motif qu’elle contrevenait aux dispositions de l’article 39-13 du code général des impôts selon lesquelles : « Sont exclues des charges déductibles pour l’établissement de l’impôt les aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l’exception des aides à caractère commercial″. Pour l’administration, l’aide consentie présentait un caractère financier et non commercial. En validant cette seconde rectification la Cour de Nancy y allait une nouvelle fois d’une erreur de droit. Le Conseil d’Etat rappelle à cet égard qu’un compte courant d’associé est remboursable à tout moment à première demande de l’associé. Il ne pouvait dans ces conditions s’agir d’une aide financière.
Quant à la seconde provision concernant cette fois les parts de la SCEA, l’administration la rejetait parce que, selon elle, elle tombait sous le coup des dispositions de l’article 39-4 du CGI qui excluent de toute déduction des résultats les charges afférentes à une résidence de plaisance ou d’agrément et celles qui leur sont attenantes. Elle constatait que la société civile d’exploitation agricole (SCEA), exploitait un domaine de 55 hectares attenant à la résidence principale des contribuables. Elle remettait en cause, d’une part, la dépréciation de sa participation dans la SCEA et, d’autre part, le caractère douteux des créances qu’elle détenait sur cette société, au seul motif que la constitution de celle-ci aurait permis de constituer, pour l’usage personnel des contribuables un parc d’agrément devant être regardé comme une résidence de plaisance ou d’agrément au sens des dispositions précitées de l’article 39-4. En validant ces deux moyens, la Cour de Nancy, commettait sans faillir une troisième erreur de droit, tant il était évident que le domaine agricole ne pouvait en aucun cas participer de la constatation de l’existence d’une résidence d’agrément au profit des associés. Les dispositions légales invoquées ont en effet vocation à s’intéresser à une société disposant d’une résidence d’agrément dont elle conserve ce caractère et dont elle ne fait pas une exploitation lucrative spécifique.
Dans ces conditions, le Conseil d’Etat prononça l’annulation de l’ensemble de l’arrêt de la Cour administrative de Nancy pour donner raison aux contribuables. En vérité, le seul moyen qui aurait pu lui permettre à l’administration de sortir victorieuse concernant la première rectification aurait consisté en la démonstration que la provision pour pertes et charges n’avait bien été constituée en vue de faire à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendaient probables. La probabilité même d’une perte ou d’une charge est un point d’achoppement fréquent entre l’administration et les contribuables. Comme l’a en effet jugé le Conseil d’Etat, la probabilité au sens de l’article 39-1-5° du code général des impôts doit nettement être distinguée de l’éventualité. Le contribuable doit ainsi présenter des éléments de fait bien établis attestant de cette probabilité, comme par exemple la mise en redressement judiciaire d’un client ou la connaissance de réelles poursuites engagées à son encontre.
Maintenant s’agissant de la démonstration par la société holding de la régularité des provisions constatées, elle aurait pu, par exemple, solliciter l’établissement d’un bilan prévisionnel de la SCEA tendant à démontrer que le risque de pertes était bien réel compte tenu de la chute réelle de son activité. Et cette argumentation aurait d’ailleurs pu venir au soutien de la régularité de la provision liée au risque de non recouvrement des comptes courants, les deux sociétés étant intimement liées.