Lorsque des époux communs en biens divorcent, la tentation de dissimuler quelque bien ou droit peut exister. Le recel, sanction forte, est là pour dissuader d’abord, punir ensuite si nécessaire. Le juge doit distinguer le tricheur du distrait. Dans l’exercice, reste à savoir ce que cacher signifie…

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Si nos propos vont d’abord concerner le recel de communauté, ils seront ensuite étendus au recel successoral. En réponse au fameux et universel « pas vu, pas pris », le recel incarne le « pris, puni », et le fait avec force dans l’espoir de couper court aux velléités de fraude, instaurant un véritable « quitte ou double ».
Ceux qui ont voulu rafler la mise dans le dos des autres doivent s’ils sont repérés perdre gros. Et le législateur a fait le choix d’une main lourde, les juges s’employant à punir largement.
Tout perdre à vouloir tout prendre !
Celui des époux qui aurait diverti ou recelé des effets de communauté est privé de sa portion dans lesdits effets (C. civ., art. 1477, al. 1er). Le tricheur perd donc aussi sa part sur ce qu’il a tenté de cacher.
Le recel est protéiforme. Quand il est de communauté déjà, puisque celui qui aurait dissimulé sciemment l’existence d’une dette commune doit l’assumer définitivement (C. civ., art. 1477, al. 2).
Le recel frappe aussi en cas de décès pour « l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession », y compris, par une extension tout sauf illogique, lorsqu’il ne s’agit plus de cacher des biens mais des personnes, pour qui a « dissimulé l’existence d’un cohéritier » (C. civ., art. 778, al. 1er).
Sans surprise, « l’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession » (C. civ., art. 778, al. 3).
Dans l’attente du jugement dernier…
Pour en revenir dans un premier temps à la communauté, rappelons qu’un partage complémentaire, imprescriptible (Cass. 1e civ., 20 nov. 2013, n° 12-21.621), reste toujours possible… et pourrait prendre mauvaise tournure.
En effet, « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l’état liquidatif homologué, à l’application éventuelle des sanctions du recel et au paiement de dommages-intérêts pour faute commise par son ex conjoint lors de l’élaboration de la convention » (Cass. 1e civ., 6 mars 2001, n° 98-15.168).
Mais venons-en à l’affaire qui nous occupe principalement, dans laquelle la question du recel est précédée d’un débat ancien qui ressurgit souvent, à savoir la question des pouvoirs suivant la nature des sociétés concernées.
Vente à soi-même…
Un homme marié en régime de communauté légale a procédé en 2013 à la vente d’actions de sociétés « à un prix inférieur à la réelle valeur des droits sociaux et, en réalité, à lui-même, et ce avec toutes conséquences sur la propriété des dites actions et des dividendes distribués depuis ».
Au regard de la présomption de communauté (C. civ., art. 1402), la Cour de cassation retient d’abord que « les actions d’une société anonyme constituent, en principe, des titres négociables qui, acquis à titre onéreux pendant le mariage, même par un seul des époux, tombent en communauté ». Ces actions intègrent donc dans le droit fil l’indivision post-communautaire.
Reste à savoir ce qu’il en est alors des pouvoirs de gestion des ex-poux.
Des actions, pas des parts !
En application de l’article 815-3 du Code civil, « la cession d’actions communes postérieurement à la dissolution de la communauté requiert, en principe, l’accord des deux époux » (Cass. 1e civ., 26 mars 2025, n° 23-14.322, publié au bulletin), n’en déplaise à la cour d’appel (CA Bourges, 5 janv. 2023) qui s’était fourvoyée en appliquant une autre règle, celle-là liée à la qualité d’associé attachée… à des parts sociales non négociables.
La solution, qui renverse les prérogatives de disposition au regard de ce qu’elles sont pendant la communauté, n’est évidemment pas sans conséquence sur l’application du recel.
Pirouette et bout du nez cassé
Et la cour d’appel n’en est qu’à sa première erreur. Elle enchaîne aussitôt sur une autre, tout aussi étonnante.
Ainsi ferme-t-elle la porte au recel en soutenant que « l’affirmation d’une vente à vil prix par [l’ex-époux] à lui-même est inopérante, la valeur des parts à la date la plus proche possible du partage devant être portée à l’actif de la communauté ».
Pour la Cour de cassation, il s’agit de « motifs impropres à écarter la possibilité que [l’ex-mari] ait entendu soustraire au partage, en se l’appropriant directement ou indirectement, la différence entre le prix apparent et la valeur réelle des actions communes cédées » (Cass. 1e civ., 26 mars 2025, n° 23-14.322, publié au bulletin).
La solution en cas de cession par un seul époux n’est pas nouvelle et une position semblable avait été retenue déjà.
Déjà vu en vente
Un immeuble dépendant de la communauté ayant existé entre les époux avait été vendu par l’ex-mari « pour un prix très inférieur à sa valeur » durant l’instance en divorce. Pour les magistrats, qui ont validé le recel, cette vente avait eu tout simplement « pour but de « soustraire un élément d’actif du partage de la communauté » » (Cass. 1e civ., 4 janv. 1972, n° 70-10150, publié au bulletin).
La vente, dans un sens ou dans l’autre, est souvent un révélateur. Il l’a été également dans un débat autour de la valeur des actions d’une société dépendant de la communauté et ayant notamment pour activité l’exploitation de supermarchés.
Révélé mais pas assez…
Les titres avaient été cédés quelques mois avant l’homologation par le juge aux affaires familiales de la convention définitive de divorce, le partage étant ensuite intervenu sans escarmouche.
Dans cette affaire, c’est l’administration fiscale qui a découvert le pot-aux-roses, à savoir que les actions avaient été cédées pour un prix supérieur à celui mentionné dans l’acte de partage annexé à la convention ayant prononcé le divorce des époux sur leur demande conjointe (précisément 4 518 550 € contre 2 667 856,80 €).
Réaction légitimement offensive de la femme qui assigne son ex-mari en paiement sur le fondement du recel, subsidiairement, en rescision de l’acte de partage pour lésion et, à défaut, en paiement de dommages-intérêts.
Pour la cour d’appel, point de recel car « il était loisible à l’épouse, qui ne pouvait ignorer la cession, de réclamer toutes informations complémentaires en temps utile avant de s’engager et qu’une lettre faisant état de vérifications effectuées par son conseil, il était peu probable que celui-ci n’ait pas eu, dans le même temps, connaissance du prix de cession » (CA Chambéry, 24 nov. 2009).
Pour la Cour de cassation, en revanche, il ne fait pas de doute qu’« il incombait au mari de prouver qu’il avait informé son épouse de la valeur réelle des actions communes dont il avait disposé » ; il est en conséquence reproché à la cour d’appel de s’être déterminée « par des motifs hypothétiques » et en particulier de ne pas avoir recherché si le mari « avait porté le prix de cession à la connaissance de [son ex-épouse] » (Cass. 1e civ., 1er juin 2011, n° 10-30.205).
Avis aux amateurs de cachoteries : non seulement il faut déclarer, mais il faut déclarer vrai. Une valeur trop faible, et la menace plane.
Outre le jeu de cache-cache auquel des époux se livrent trop régulièrement au moment de la séparation, la question du recel se pose régulièrement à l’occasion de successions houleuses. Avec un risque que nous allons retrouver, même si la chose pourrait en surprendre quelques-uns…
Un passé qui ne passe pas…
En effet, la transmission à titre gratuit s’organisme en système et, outre les biens et droits que l’on trouve dans le patrimoine du défunt, il est nécessaire, et à plusieurs titres (protection de la réserve et égalité principalement), de prendre en compte les donations entre vifs. Les donations spontanément révélées… et, bien sûr, les autres.
Ainsi, l’absence de déclaration d’une donation à la succession dans une intention frauduleuse peut relever du recel successoral. Le Code civil l’affirme d’ailleurs : « lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part » (C. civ., art. 778, al. 2).
La Cour de cassation a eu l’occasion d’expliquer très clairement que « l’héritier gratifié est tenu de révéler les libéralités, même non rapportables, qui ont pu lui être consenties, lesquelles constituent un élément dont il doit être tenu compte dans la liquidation de la succession et qui peut influer sur la détermination des droits des héritiers », et ceci « que la donation soit ou non rapportable » (Cass. 1e civ., 4 mars 2015, n° 13-20.689, à propos d’un héritier qui « avait volontairement dissimulé, jusqu’à ce que [le cohéritier] demande au notaire chargé des opérations de liquidation la communication des relevés de comptes bancaires [du défunt] »).
Le principe établi, passons aux travaux pratiques, lesquels exigent une double démonstration.
L’intention toujours en question…
D’abord, il s’agit de mettre en lumière l’élément intentionnel. Et la justice civile est très à cheval sur cette démonstration.
Intention libérale, es-tu là ? Sans elle, la tentative sera vaine et la porte ne s’ouvrira pas. En la matière, la Cour de cassation est intraitable.
Avis aux cours d’appel : valider l’existence d’une donation « sans caractériser l’intention libérale » leur vaudra la censure pour défaut de base légale. En témoigne encore un tout récent arrêt (Cass. 1e civ., 5 févr. 2025, n° 22-20.311) dans lequel la Cour de cassation a mis en application sa rigoureuse politique.
Peut venir ensuite la question de la valeur. Comme dans l’arrêt qui nous sert de fil rouge, elle est ici centrale.
Vente à l’héritier suspectée
Au regard toujours de la définition de la donation, cette dernière« suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier » (son héritier au cas particulier).
Le même jour, par actes notariés, un homme avait vendu un ensemble de terres agricoles à sa belle-fille et à son fils, également preneur à bail, et il avait donné à ce même fils la nue-propriété de deux maisons. Sans oublier le legs de la quotité disponible. Un faisceau d’indices pouvant effectivement ouvrir la porte à l’intention libérale.
Il est ensuite temps de rechercher « l’existence de l’élément matériel », ce dernier « pouvant résulter de la minoration du prix de vente de terres agricoles à un héritier présomptif ».
Mais la valorisation est délicate en raison de la double casquette de l’acquéreur. Interpellée, la Cour de cassation affirme que la chose « doit s’apprécier au regard de la valeur réelle des terres au jour de leur vente, considération prise de l’existence d’un bail, peu important que celui-ci ait été consenti à cet héritier » (Cass. 1e civ., 26 mars 2025, n° 22-23.937, publié au bulletin).
Un revirement de jurisprudence après que la Cour de cassation ait affirmé dans un même exercice que « les terrains agricoles litigieux devaient être estimés comme libres de bail dès lors que cette estimation, destinée à assurer l’égalité entre les copartageants, concernait un bien qui, par l’effet de son attribution à l’héritier qui en était preneur et de la réunion sur la tête de celui-ci des qualités incompatibles de propriétaire et de fermier, avait cessé d’être grevé du bail dont il était auparavant l’objet » (Cass. 1e civ., 21 oct. 2015, n° 14-24.926, publié au bulletin).
Recel à l’initiative du juge ?
Presque par clin d’œil, il est vrai de circonstance puisqu’il est question d’« un recel successoral sur la somme de 7 850 euros correspondant aux frais de la donation de la nue-propriété de deux maisons », exposons pour finir l’autre aspect de la dernière décision en date.
En toute franchise, il relève de la bizarrerie. En effet, la solution est écartée… car, un comble, la plaignante « n’avait pas formé de demande au titre du recel de cette somme », la cour d’appel ayant donc « modifié l’objet du litige en se prononçant sur une chose non demandée » (Cass. 1e civ., 26 mars 2025, n° 22-23.937, publié au bulletin).
Contribuer à la prévention
Face à la menace, celui qui porte le conseil patrimonial se doit d’alerter son client. Ce dernier décidera en connaissance de cause. Certains, sans doute ignorants du danger, font preuve de bien peu d’astuce. Et même, au regard du risque, le jeu en vaut-il la chandelle ? Assez régulièrement, il me semble que tel n’est pas le cas. A chacun de se faire sa propre religion.