Transmission d’entreprise : quand le praticien doit-il prendre des distances avec les documents comptables ?

Eclairage du 07 juillet 2022 - N°438

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Même si cette démarche ne lui est pas familière dans ce contexte, le praticien doit savoir prendre des distances avec les documents et notions comptables lorsqu’il intervient dans le cadre d’une transmission d’entreprise.

Il constatera que sous cet angle également la doctrine administrative pose problème à bien des égards. La récente réforme du statut de l’entrepreneur individuel a encore accentué l’écart existant entre les analyses figurant au Bofip-impôts et les textes, laissant augurer une nouvelle invalidation judiciaire.

Une personne se cachant derrière un recrangle blanc

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Question n°1 : Le praticien fiscaliste est-il habitué à s’écarter des documents comptables de l’entreprise pour appliquer une disposition fiscale ?

Réponse : Oui.

Il s’agit d’une démarche classique en doit fiscal. Le praticien y est rompu pour établir le résultat imposable d’une entreprise soumise à l’impôt sur les sociétés ou passible de l’impôt sur le revenu. Dans ce contexte, plus de deux cents divergences ont été pointées (V. M. COZIAN, F.-L. DEBOISSY et M. CHADEFAUX, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis 43ème éd., n° 120) entre le droit comptable et le droit fiscal, impliquant des retraitements extracomptables permettant de parvenir au résultat fiscal à partir des données comptables.

Question n°2 : De tels retraitements sont-ils également courants en matière de droit d’enregistrement ?

Réponse : Non.

Ils sont beaucoup plus rares quoique n’étant pas inconnus. L’écart plus courant concerne l’assiette de l’impôt qui en la matière est par principe assis sur les valeurs vénales réelles (CGI, art. 666), notion économique qui diffère à de nombreux égards des valeurs comptables.

Cependant l’exercice est moins familier et plus inattendu lorsqu’il s’agit d’appliquer l’exonération « Dutreil » lors d’une transmission à titre gratuit d’entreprise.

Question n°3 : De tels retraitements sont-ils nécessaires dans ce contexte, lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre l’exonération « Dutreil » ?

Réponse : Oui.

Ces retraitements sont indispensables. La jurisprudence récente l’a confirmé (V. notamment Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-19309 ; Cass. com., 9 février 2022, n° 20-10753).  Ils concernent toutes les entreprises, quelle que soit leur forme juridique : sociétés ou entreprises individuelles. Les deux régimes d’exonération « Dutreil » régis respectivement par les articles 787 B et C du CGI sont concernés.

Question n°4 : Ces retraitements sont-ils homogènes ?

Réponse : Non.

Ils sont composites et se manifestent à des stades distincts de la mise en œuvre du régime de faveur.

Il s’agira parfois de déterminer les biens susceptibles de rentrer dans le champ d’application de l’exonération partielle, spécialement en présence d’entreprises individuelles, de fixer l’assiette de l’exonération, en particulier lorsque la transmission porte sur des parts ou actions de sociétés interposées, ou encore, ce qui est très fréquent, d’apprécier l’activité principale exercée par la société dont les titres sont transmis.

Question n°5 : On sait que la doctrine administrative concernant ce régime de faveur pose problème. Elle a été invalidée à de nombreuses reprises par les juridictions tant judiciaires qu’administratives. Les indications fournies par le Bofip-impôts sur ces questions sont-elles satisfaisantes ?

Réponse : Malheureusement non.

Plusieurs points dont certains sont pourtant connus de longue date continuent à poser problème. Des divergences entre la doctrine administrative et la jurisprudence peuvent être relevées qui pourraient aboutir à une nouvelle censure de la doctrine administrative si l’administration fiscale n’infléchissait pas ses prises de position.

Question n°6 : Ces questions de retraitement font-elles l’objet d’une actualité législative ?

Réponse : Oui.

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a profondément réformé les modalités juridiques et fiscales d’exercice d’une activité professionnelle indépendante et le statut de l’entrepreneur individuel. Elle a en particulier défini les contours du patrimoine professionnel dont est dorénavant doté de plein droit l’entrepreneur individuel (V. C. com., art. L. 526-22 et s. ;  B. DONDERO, Place à l’entrepreneur individuel à deux patrimoines (EIPP) !, Revue des sociétés 2022, p. 199).

Elle a également accentué l’écart existant entre la doctrine administrative et les textes juridiques et fiscaux régissant ces entreprises et la doctrine administrative qui est censée les appliquer.

Question n°7 : Ces écarts existant entre la doctrine administrative et le corpus législatif et ces nouveaux risques de censure de la doctrine administrative sont-ils aisés à détecter ?

Réponse : Non.

Une lecture très attentive est souvent nécessaire pour les déceler. C’est ainsi que de manière contre-intuitive, une analyse minutieuse d’une décision de la Cour de cassation favorable à l’administration fiscale permet de constater que la haute Juridiction prend en la matière ses distances avec la doctrine administrative (V. Cass. com., 9 février 2022, n°20-10753, préc. ; V. infra, question n°11 ).

Question n°8 : S’agissant précisément des entreprises individuelles, les distances à prendre avec les documents comptables de l’entreprise ont-elles été créées par la loi du 14 février 2022 ?

Réponse : Non.

Les retraitements à opérer existaient antérieurement. Ils s’appliquaient ou s’appliquent que quel soit le contexte : entreprise individuelle, « EIRL » ou nouveau patrimoine professionnel détenu de plein droit par l’entrepreneur individuel.

Question n°9 : Lorsque la transmission qu’elle intervienne entre vifs ou à cause de mort porte sur une entreprise individuelle, le praticien peut-il se fier aux documents comptables qui lui sont remis pour identifier les biens rentrant dans l’assiette de l’exonération partielle ?

Réponse : Non.

Le critère retenu pour déterminer le périmètre de l’exonération partielle est celui, économique, d’affectation du bien considéré à l’exploitation de l’entreprise individuelle (CGI, art. 787 C, in limine et « b »). Il est distinct de celui, comptable, d’inscription du bien à l’actif du bilan de l’entreprise individuelle.

Cette divergence est bilatérale : un bien inscrit à l’actif du bilan ne bénéficie pas nécessairement du régime de faveur. A l’inverse, un actif qui n’y figure peut tout autant bénéficier de l’exonération partielle.

Question n°10 : Ce principe est-il confirmé par la jurisprudence ?

Réponse : oui.

Un arrêt rendu en début d’année (Cass. com., 9 février 2022, n°20-10.753) l’illustre fort bien. Il concerne une situation assez courante en pratique.

Dans cette affaire un exploitant agricole individuel avait légué son entreprise à ses aux neveux et nièces. Ces derniers avaient revendiqué le bénéfice de l’exonération partielle « Dutreil » qui avait été appliquée sur l’ensemble des liquidités et titres de placement figurant à l’actif du bilan de l’entreprise.

L’administration fiscale contestait la possibilité pour les successeurs de bénéficier de l’exonération sur cette trésorerie au motif qu’elle n’était pas nécessaire à l’exercice de la profession. Elle eut gain de cause en première instance et en appel (TGI Tarbes, 13 septembre 2016, 16/00022 ; CA Pau, 19 novembre 2019, 1ère ch. RG 16/03456).

La Cour de cassation rejette le pourvoi et valide la proposition de rectification. Elle énonce que s’agissant des entreprises individuelles, si elle crée une présomption d’affectation du bien à l’exploitation, l’inscription du bien au bilan ne constitue nullement une garantie d’éligibilité à l’exonération partielle, l’administration fiscale pouvant rapporter la preuve qu’il n’est pas nécessairement et effectivement affecté à l’exploitation : « en ce qui concerne les entreprises individuelles, l’inscription des biens (…) au bilan, ou leur mention sur le document en tenant lieu, en font présumer le caractère affecté à l’exploitation de l’entreprise, l’administration a la faculté de rapporter la preuve qu’ils ne sont pas nécessairement et effectivement affectés à celle-ci ».

Dans cette affaire, la situation était assez caricaturale : les sommes considérées provenaient de la succession de l’épouse de l’exploitant et avaient été mentionnées à l’actif du bilan après le décès.

Question n°11 : Cette décision de rejet doit-elle être analysée comme suivant l’analyse retenue par la Cour d’appel et l’administration fiscale.

Réponse : Paradoxalement non.

Un grief très sérieux était avancé par le pourvoi. Il était concernant le critère précis qui avait été retenu par l’administration fiscale et la cour d’appel pour définir les biens pouvant bénéficier du régime de faveur, en ne retenant que les seuls biens nécessaires à l’exercice de la profession.

La Cour d’appel avait suivi l’administration fiscale sur ce terrain :  énonçant que l’objet du litige résidait dans le « caractère nécessaire à l’exploitation des liquidités inscrites », elle avait confirmé les jugements « en ce qu’ils ont jugé que la preuve du caractère nécessaire des biens à l’exploitation n’était pas rapportée ».

Un tel critère diffère de manière significative de celui d’affectation à l’exploitation énoncé par l’article 787 C du Code général des impôts.

La Haute juridiction gère cette branche pertinente du moyen avec une grande finesse qui doit être saisie si l’on veut fixer l’exacte portée de l’arrêt.

Elle invoque tout d’abord un motif de pure procédure, opposant aux redevables le principe de l’estoppel : ayant eux-mêmes soutenu dans leurs conclusions que la totalité de l’actif circulant dans l’entreprise était nécessaire à l’exploitation, ils ne pouvaient soulever devant la Cour de cassation un moyen compatible avec la thèse développée devant les juges du fond en soutenant que la question n’était pas celle de la preuve du caractère nécessaire des biens de l’exploitation mais de leur affectation à l’exploitation.

Ensuite, elle énonce au fond que, s’agissant des entreprise individuelles « [si] l’inscription des biens (…) au bilan, (…) , en font présumer le caractère affecté à l’exploitation de l’entreprise, l’administration a la faculté de rapporter la preuve qu’ils ne sont pas nécessairement et effectivement affectés à celle-ci ». On note ici un remarquable glissement sémantique. L’administration fiscale et la Cour d’appel se placent sur le terrain du caractère nécessaire du bien à l’exploitation ; la Cour de cassation sur celui de la nécessité de son affectation effective à l’exploitation de l’entreprise. Cet artifice permet à la Cour de valider la solution retenue par la Cour d’appel tout en prenant, de manière pertinente, une prudente distance quant au fondement retenu ; et ce sans avoir à procéder à une substitution de motifs.

Et en effet, l’écart est significatif. C’est une chose d’affirmer comme le faisait l’administration fiscale qu’un bien même inscrit à l’actif du bilan ne peut bénéficier de l’exonération s’il n’est pas nécessaire à l’exploitation de l’entreprise. Ç’en est une autre que d’affirmer comme l’énonce la Cour de cassation que nonobstant l’inscription au bilan l’administration fiscale peut rapporter la preuve que le bien n’est pas nécessairement et effectivement affecté à l’exploitation de l’entreprise.

Sans formellement désavouer l’analyse de l’administration fiscale, la Cour Suprême refuse de la suivre sur le terrain du caractère nécessaire du bien à l’activité pour revenir à celui de l’affectation effective à l’exploitation de l’entreprise.

Elle a raison. Un actif peut fort bien être affecté à l’activité professionnelle sans pour autant être strictement nécessaire à l’exercice de la profession. Restreindre le champ d’application de l’exonération à ces seuls biens créerait en outre un inopportun hiatus entre les règles régissant ce régime de faveur et les nouvelles règles issues de la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante.

Question n°12 : Quel à cet égard l’analyse retenue par l’administration fiscale ? Le critère retenu par le Bofip-impôt est-il pertinent ?

Réponse : Non. Le critère retenu n’est pas pertinent. Il devrait être modifié par l’administration fiscale.

Dans sa doctrine (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, n°10), l’administration énonce pour fixer le périmètre de l’exonération que : « Les biens affectés à l’exploitation sont les biens nécessaires à l’exercice de la profession. »

Le critère retenu par l’administration pour fixer l’assiette de l’exonération en se référant aux seuls biens nécessaires à l’exercice de la profession est critiquable et dépourvu de pertinence.

Il est à la fois contraire au texte fiscal (CGI, art. 787 C) qui se réfère au critère de l’affectation des biens à l’exploitation en précisant que l’assiette de l’exonération partielle est constituée par l’ensemble des biens affectés à l’exploitation de l’entreprise, et aux nouvelles dispositions fixant le statut de l’entrepreneur individuel qui énoncent que le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est constitué des biens qui sont utiles à son activité.

L’article L. 526-26 du Code de commerce issu du décret du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel définit en effet les biens composant le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel comme étant ceux utiles et non simplement nécessaires à l’activité professionnelle en raison de leur nature, destination ou fonction.

L’administration fiscale s’expose à une nouvelle invalidation judiciaire de sa doctrine si elle ne l’amende pas pour retenir un critère conforme aux textes.

Question n°13 : L’inverse est-il vrai ? Un bien n’étant pas inscrit à l’actif du bilan (ou autre document comptable en tenant lieu tel que le registre des immobilisation) peut-il néanmoins bénéficier de l’exonération partielle ?

Réponse : Oui.

Un bien qui n’est pas repris à l’actif des documents comptables de l’entreprise individuelle, qui n’est pas inscrit à l’actif du bilan peut néanmoins bénéficier de l’exonération partielle s’il est, de fait, affecté à l’activité professionnelle. L’administration fiscale confirme implicitement ce point en énonçant que le critère à retenir « est donc indépendant de la présence du bien à l’actif du bilan de l’entreprise » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-40, n° 10).

De telles situations ne sont pas exceptionnelles en pratique. Nous pensons en particulier à un bien immobilier pour lequel l’entrepreneur aurait fait le choix comptable de ne pas l’inscrire à l’actif de son bilan et au sein duquel il exercerait son activité professionnelle.

Question n°14 : La mise à l’écart des règles et documents comptables concerne-t-elle également les transmissions portant sur des parts sociales ou actions ?

 Réponse : Oui.

Et c’est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit des titres d’une « société interposée », telle que définie au 3 du « b » de l’article 787 B du Code général des impôts.

L’assiette de l’exonération partielle est alors restreinte. Elle ne porte pas comme usuellement sur la valeur totale des titres transmis. Elle s’applique uniquement « à la valeur des titres de la société détenus directement par le redevable dans la limite de la fraction de la valeur vénale de l’actif brut de celle-ci représentative de la participation directe ayant fait l’objet d’un engagement de conservation ». Une ventilation des actifs détenus par la société dont les titres sont transmis doit donc être réalisée et en présence de deux niveaux d’interposition par chaque société interposée.

Pour l’opérer, le praticien doit également s’écarter des documents et principes comptables ; et ce à trois égards :

D’une part, tous les actifs sociaux doivent être pris en considération, y compris ceux qui ne figureraient pas à l’actif du bilan de la société.

D’autre part, les actifs doivent être évalués non pas à la date de clôture du dernier bilan mais à celle de la donation ou du décès, constitutif du fait générateur de l’impôt.

Enfin, les actifs doivent être évalués non par référence à leur valeur comptable, mais d’après leur valeur vénale réelle, notion économique.

Question n°15 : Cette mise à l’écart des valeurs comptables et principes comptables est-elle confirmée par la jurisprudence ?

Réponse : Oui.

La Cour de cassation l’a confirmée dans un arrêt rendu le 19 janvier 2022 (Cass. 19 janvier 2022, n° 19-19309).

Dans cette affaire, une fille avait reçu dans la succession de son père des parts d’une société holding passive. Cette société détenait la totalité du capital d’une société intermédiaire qui possédait des participations dans deux filiales exerçant une activité opérationnelle. Le régime de l’interposition s’appliquait donc dans sa limite maximale admise de deux degrés de détention.

Le différend qui opposait le contribuable à l’administration fiscale portait sur l’évaluation de l’actif brut de la société intermédiaire.

La Cour d’appel avait cru pouvoir se fonder sur les principes et documents comptables pour déterminer l’actif brut de cette société. Au motif qu’à la différence des plus-values latentes qui ne font l’objet d’aucune écriture comptable, les moins-values sont obligatoirement prises en compte dans la comptabilité de la société, elle avait considéré qu’il n’y avait pas lieu de prendre en considération les éventuelles moins-values dans le calcul de l’actif brut réel.

L’énoncé de ce principe vaut à l’arrêt de Cour d’appel d’être censuré. La Cour de cassation rappelle que, quels que soient les principes comptables applicables, la valeur réelle de l’actif brut doit être déterminée en prenant en compte les plus-values mais également les moins-values latentes.

Le message est clair : l’actif brut doit être déterminé en fonction de la valeur vénale réelle des biens détenus. Cette valeur économique implique de prendre en compte toutes les plus ou moins-values latentes, peu important qu’elles aient été ou non retranscrites dans la comptabilité de la société.

On notera que le classement comptable des titres détenus par la société interposée qui peut également influer sur les modalités d’évaluation de la participation dans la comptabilité de la société (V. CPG, art. 221-3 et art. 221-6 ; CGI, Ann. III, art. 38 septies) est également indifférente.

Le critère retenu pour statuer sur leur éligibilité à l’exonération partielle est également autre. Il réside uniquement dans la conclusion d’un engagement collectif en cours sur la participation détenue dans la société cible exerçant une activité éligible.

Question n°16 : Existe-t-il en dehors des transmissions portant sur des titres de sociétés interposées des renvoi effectués vers les documents comptables qui poseraient problème ?

Réponse : Oui.

Et l’on doit constater également à ce nouveau que la doctrine administrative continue à poser problème, même après qu’elle a été rectifiée suite à son annulation par le » Conseil d’Etat (CE, 3ème et 8ème ch. réunies, 23 janvier 2020, n° 435562).

Un écart subsiste toujours à cet égard entre les indications fournies par le Bofip-impôts et la jurisprudence.

Pour apprécier l’activité principale exercée par la société, ce qui conditionne son éligibilité même à l’exonération partielle, la doctrine administrative continue de se référer à des critères comptables, ce qui s’avère inapproprié et pose problème.

L’administration précise qu’ « à titre de règle pratique, il est admis qu’une société exerce une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de façon prépondérante lorsque le chiffre d’affaires procuré par cette activité représente au moins 50% du montant de son chiffre d’affaires total et que la valeur vénale de l’actif brut immobilisé et circulant affecté à cette activité représente au moins 50% de la valeur vénale de son actif brut total » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°20).

Cette référence aux actifs immobilisés et circulants est inappropriée. Elle ne correspond pas à l’approche retenue en jurisprudence. Elle postule que pourvoir être pris en compte pour apprécier la prépondérance de l’activité opérationnelle, le bien doit comptablement être inscrit à l’actif du bilan.

Des actifs dont la valeur vénale est parfois importante et qui sont sans aucun doute affectés à l’activité ne pourraient ainsi pas être pris en compte. On pense par exemple à une clientèle qui aurait été créé par la société. Cette référence à ces critères comptables ne correspond pas à l’approche retenue ni par le Conseil d’Etat  ni par la Cour de cassation  pour apprécier cette prépondérance qui doit être évaluée en retenant une approche économique résultant d’un faisceau d’indices intégrant la nature de son activité et les conditions de son exercice (CE, 3ème et 8ème ch. réunies, 23 janvier 2020, n° 435562 ; Cass. com., 14 octobre 2020. F. FRULEUX, Holdings animatrices et activités mixtes : une jurisprudence sécurisante et unificatrice, JCPN 5 février 2021, n° 5, 1105).  

Compte tenu de cette jurisprudence, le praticien doit là encore s’affranchir des documents comptables. Pour sa part, la doctrine administrative qui dénierait à une société le bénéfice du régime de faveur au motif qu’eu égard aux seuls actifs inscrits à l’actif de son bilan, les critères de prépondérance ne seraient pas remplis nous semble vouée à la censure.

Droit fiscal
François FRULEUX

François FRULEUX

Docteur en droit

Diplômé Supérieur du Notariat

Maître de conférences associé à l’Université Paris-Dauphine

Membre du Centre de Recherche Droit Dauphine (CR2D)

Directeur du Jurisclasseur Fiscal Enregistrement Traité

Membre du comité scientifique de la revue Actes pratiques et stratégie patrimoniale, du Jurisclasseur Ingénierie du patrimoine et du Lexis Pratique Fiscal

Consultant auprès du CRIDON Nord-Est

Enseignant à l’AUREP