Sûreté réelle pour autrui et gestion de patrimoine

Eclairage du 14 avril 2023 - N°

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La sûreté réelle pour autrui constitue une figure juridique ayant fait couler beaucoup d’encre en doctrine, tout en étant l’objet d’un grand nombre de décisions de la Cour de cassation.

Parfois qualifiée de cautionnement réel, voire de cautionnement hypothécaire si elle porte sur un immeuble, la sûreté réelle pour autrui bénéficie d’un régime défini par l’article 2325 du Code civil, applicable depuis le 1er janvier 2022, issu de l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Cette sûreté réelle pour autrui est celle par laquelle un le constituant offre à un créancier une sûreté portant sur un bien meuble ou immeuble en garantie de la dette d’un tiers débiteur.

Indéniablement, ce type de garantie ressemble à s’y méprendre à un cautionnement, dont l’assiette serait limitée à un ou plusieurs biens déterminés. A cet égard, la sûreté réelle pour autrui se distingue de l’hypothèse où une caution offre en garantie de son engagement une sûreté réelle, de sorte que le cautionnement est contre-garanti par celle-ci.

Pour ces raisons, la Cour de cassation avait d’abord fait le choix d’appliquer à la sûreté réelle pour autrui certaines règles du cautionnement[2], et notamment l’article 1415 du Code civil selon lequel un époux commun en biens se portant caution n’engage que ses revenus et ses biens propres, les biens communs n’étant engagés qu’avec le consentement exprès de son conjoint. Puis, en chambre mixte, la Cour de cassation a adopté une position plus stricte en excluant l’application de ce texte à un nantissement de valeurs mobilières donné en garantie de la dette d’un tiers[3]. Finalement, à la suite de la première réforme du droit des sûretés de 2006[4], l’article 1422 du Code civil fut modifié, son second alinéa prévoyant désormais que les époux communs en biens ne peuvent affecter l’un sans l’autre un bien commun en garantie de la dette d’un tiers.

Avec l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2022, de la seconde réforme du droit des sûretés, le législateur opte pour un compromis en rappelant que le créancier a pour seul gage le bien affecté en garantie de la dette d’un tiers, tout en appliquant à cette sûreté certaines dispositions propres au cautionnement[5].

Cette sûreté réelle pour autrui constitue une modalité intéressante d’accès au crédit, notamment lorsqu’elle est consentie par une société civile immobilière en garantie d’un prêt contracté par la société d’exploitation (II). Mais il convient au préalable de se pencher sur son régime juridique (I).

I – Le régime juridique de la sûreté réelle pour autrui

En présence d’une sûreté réelle pour autrui, les dispositions des articles 2299, 2302 à 2305-1, 2308 à 2312 et 2314 du Code civil, propres au cautionnement, sont applicables.

Tout d’abord, le créancier professionnel doit mettre en garde la caution réelle personne physique lorsque l’engagement du débiteur est principal est inadapté à ses capacités financières (C. civ., art. 2299). Dans une logique de protection de cette même caution, le créancier professionnel se doit de l’informer annuellement de l’état du remboursement de la dette à la date du 31 décembre (C. civ., art. 2302). De même, il doit l’informer du premier incident de paiement du débiteur (C. civ., art. 2303). Le créancier professionnel est tenu aux mêmes obligations auprès de la sous-caution réelle garantissant l’engagement d’une caution principale (C. civ., art. 2404).

Ensuite, la caution réelle peut opposer le bénéfice de discussion au créancier, lui imposant ainsi de poursuivre préalablement le débiteur principal en cas de défaillance (C. civ., 2305 et 2305-1)[6]. Sur ce point, l’ordonnance du 15 septembre 2021 renverse la solution applicable jusqu’alors (v. C. civ., anc. art. 2466)[7]. Rappelons que le bénéfice de division n’est pas exclusif de la solidarité, dans la mesure où le créancier ayant poursuivi vainement le débiteur est toujours en droit de poursuivre la caution pour l’intégralité de la dette.

Selon l’article 2308 du Code civil, la caution réelle dispose d’un recours personnel contre le débiteur en cas d’impayé, mais également d’un recours subrogatoire (C. civ., art. 2309). La caution réelle dispose en outre des mêmes recours en présence de plusieurs débiteurs solidaires de la même dette, alors qu’un seul d’entre eux voit sa dette cautionnée (C. civ., art. 2310).

La caution réelle perd tout recours si elle a payé la dette sans en avertir le débiteur et si celui-ci l’a acquittée ultérieurement ou disposait, au moment du paiement, des moyens de la faire déclarer éteinte, mais la caution peut agir en restitution contre le créancier (C. civ., art. 2311). En présence d’une pluralité de cautions de la même dette, la caution réelle qui aurait payé la dette principale dispose d’un recours contre les autres cautions, chacune pour sa part (C. civ., art. 2312).

Enfin, comme toute caution personnelle, la caution réelle peut être déchargée à hauteur du préjudice subi en raison d’un manquement du créancier dans le recouvrement de la dette principale (C. civ., art. 2314), parce qu’il est par exemple à l’origine de la perte d’une hypothèque ou d’un privilège.

Toutefois, la doctrine considère que la liste dressée par l’article 2325 du Code civil n’est pas limitative, et, partant, que certains textes propres au cautionnement s’appliquent également aux sûretés réelles pour autrui. Il en va ainsi de l’opposabilité des exceptions personnelles, ou inhérentes à la dette, pouvant être relevées par le débiteur (C. civ., art. 2298)[8].

II – La sûreté réelle pour autrui constituée par une société civile

En pratique, il est fréquent une société civile immobilière (SCI) se porte caution réelle d’une dette bancaire contractée par une société d’exploitation ayant pris à bail les locaux objet de la sûreté réelle. Le contentieux en la matière est d’ailleurs abondant[9]. Sa lecture permet de subordonner la validité d’une telle opération à deux conditions cumulatives : la première est relative à l’objet social (A) et la seconde à l’intérêt social (B). A défaut, la sûreté est frappée d’une nullité absolue[10], laquelle peut être invoquée par toute personne intéressée (C. civ., art. 1180).

A – Une sûreté réelle pour autrui devant entrer dans l’objet social

Depuis un arrêt du 8 novembre 2007[11], il est clairement établi qu’une caution réelle donnée par une SCI est valable :

Lorsque l’objet social de la société prévoit expressément le cautionnement réel, alors le gérant peut librement conclure l’acte pour le compte de la société (C. civ., art. 1849, al. 1er), sous réserve de l’autorisation préalable des associés par assemblée générale en présence d’une clause limitative de ses pouvoirs, encore que celle-ci soit inopposable aux tiers (C. civ., art. 1849, al. 3)[12]. Pour autant, il est très rare en pratique que les statuts prévoient le cautionnement réel au sein de l’objet de la société[13].

En outre, par application de l’article 1854 du Code civil, les associés peuvent consentir à l’unanimité à la sûreté réelle pour autrui dans l’acte lui-même ou par assemblée générale[14].

Enfin, la caution réelle donnée par la SCI peut trouver son fondement dans une communauté d’intérêts entre celle-ci et la personne cautionnée. Il peut notamment en aller ainsi lorsque la société civile, se portant caution, garantit ainsi un prêt consenti à une de ses filiales, ou encore lorsque la SCI a donné à bail à construction un actif à une société d’exploitation, alors même que les deux sociétés sont dirigées par la même personne[15]. En revanche, il ne saurait y avoir communauté d’intérêts en présence d’une caution réelle donnée par une SCI au profit de ses associés et dans leur seul intérêt ou au profit d’une société n’ayant aucun lien avec elle[16].

B – Une sûreté réelle pour autrui devant être conforme à l’intérêt social

Outre une cohérence directe ou indirecte avec l’objet social, la validité d’un cautionnement réel implique également qu’il soit conforme à l’intérêt social de la SCI[17], c’est-à-dire lorsque cet engagement n’est pas de nature à porter atteinte à son existence.

Selon la chambre commerciale de la Cour de cassation, « la sûreté donnée par une société doit, pour être valable, non seulement résulter du consentement unanime des associés, mais également être conforme à son intérêt social »[18]. La troisième chambre civile a adopté la même position en considérant que « le cautionnement même accordé par le consentement unanime des associés n’est pas valide s’il est contraire à l’intérêt social »[19].

Cette position est discutable dans la mesure où l’acte de cautionnement réel, même conforme à l’objet ou résultant d’une assemblée générale, encourt la nullité en cas de contrariété à l’intérêt social[20].

Il peut en aller ainsi en présence d’un cautionnement hypothécaire portant sur le seul immeuble social[21], dans la mesure où la sûreté est de nature à emporter disparition de l’intégralité du patrimoine de la société. Pour autant, même en présence d’une sûreté portant sur le seul immeuble de la société, le risque de contrariété à l’intérêt social est écarté lorsque :

De même, le risque de contrariété à l’intérêt social est inexistant lorsque la sûreté réelle porte sur l’un des actifs immobiliers de la société, sa réalisation n’étant pas de nature à compromettre son existence[24].

Enfin, notons que le respect de l’intérêt social est ici érigé en condition de validité du cautionnement réel. Pourtant, l’article 1844-10, alinéa 3, du Code civil, modifié par la loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019, précise désormais que la contrariété d’un acte ou d’une délibération à l’intérêt social n’est plus sanctionnée par la nullité. Il convient donc pour le praticien d’être prudent dans la mesure où un revirement de jurisprudence est possible[25], lequel serait de nature à subordonner la validité du cautionnement réel consenti par une société civile


[1] Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021. Pour une présentation rapide de la réforme, v. P. Pineau et H. Leyrat, « Sûretés réformées, sûretés modernisées… et sûretés libérées ? », Newsletter AUREP, 21 oct. 2021.

[2] Cass. 1ère civ., 11 avr. 1995, Bull. civ. I, n° 165.

[3] Cass. ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 13-18.210, Defrénois 2006, n° 20, p. 1600, note G. Champenois.

[4] Ord. n° 2006-346, 23 mars 2006.

[5] J.-J. Ansault, « Les sûretés réelles consenties en garantie de la dette d’autrui : un choix légistique discutable ? », D. 2022, p. 237.

[6] Ph. Simler, JCl. Code civil, v° art. 2325, Fasc. unique : sûreté réelle constituée par un tiers, 2022, n° 12.

[7] V. par ex. : Cass. 1ère civ., 25 nov. 2015, n° 14-21.332.

[8] Ph. Simler, JCl. Code civil, v° art. 2325, Fasc. unique, déjà cité, n° 19.

[9] V. Cass. 1ère civ., 11 janv. 2023, n° 21-16.839.

[10] Cass. 1ère civ., 18 oct. 2017, n° 16-17.184, Defrénois 2018, n° 18-19, p. 33, obs. H. Lécuyer.

[11] Cass. 1ère civ., 8 nov. 2007, n° 04-17.893, Dr. Sociétés 2008, n° 2, comm. 26, note R. Mortier.

[12] V. en matière de vente d’immeuble : H. Leyrat, « La vente d’un bien immobilier par une société civile immobilière », SNH 2021, n° 42, inf. 8.

[13] M. Storck, Th. de Ravel d’Esclapon et St. Fagot, Les sociétés civiles immobilières, 2ème éd., Lextenso, 2019, spéc. n° 728.

[14] Pour une illustration : Cass. com., 12 oct. 2004, n° 03-13.999.

[15] Cass. com., 3 déc. 2003, n° 02-11.163.

[16] M. Storck, Th. de Ravel d’Esclapon et St. Fagot, Les sociétés civiles immobilières, déjà cité, spéc. n° 733.

[17] M. Storck, Th. de Ravel d’Esclapon et St. Fagot, Les sociétés civiles immobilières, déjà cité, spéc. n° 737.

[18] Cass. com., 8 nov. 2011, n° 10-24.438, BJS 2012, n° 4, p. 297, obs. Fr.-X. Lucas.

[19] Cass. 3ème civ., 12 sept. 2012, n° 11-17.948, Defrénois 2013, n° 6, p. 296, obs. S. Cabrillac.

[20] M. Storck, Th. de Ravel d’Esclapon et St. Fagot, Les sociétés civiles immobilières, déjà cité, spéc. n° 740.

[21] Cass. com., 6 janv. 2021, n° 19-15.299, BJS 2021, n° 5, p. 40.

[22] Cass. 3ème civ., 21 déc. 2017, n° 16-26.500, JCP N 2018, 1298, obs. Th. de Ravel d’Esclapon.

[23] Cass. com., 14 févr. 2015, n° 14-11.760, BJS 2015, n° 5, p. 234, obs. Fr. Danos.

[24] Cass. 3ème civ., 27 avr. 2017, n° 16-12.388, JCP N 2017, 1237, obs. Th. de Ravel d’Esclapon.

[25] Sur cette possibilité, v. les obs. de S. Cabrillac, Defrénois 2019, n° 25, p. 33.

Droit civil
Henri Leyrat

Henri Leyrat

Docteur en Droit Préivé - HDR - Diplômé Notaire