Quasi-usufruit et dette de restitution 

Eclairage du 17 mai 2024 - N°507

Accueil + Publications & Agenda + Quasi-usufruit et dette de restitution 

Quasi-usufruit et dette de restitution : champ d’application de l’énigmatique article 774 bis du CGI.

En 16 questions/Réponses

Photo de Loukian Jacquet sur Unsplash

Question n°1 : L’objet du nouvel article 774 bis du CGI est-il homogène ?

Réponse : Non

Il est ambivalent. Son objet est double. L’article 774 bis du CGI inséré par la loi de finances pour 2024 concerne à la fois l’assiette des droits de succession et la nature même des mutations passibles de cet impôt. Il crée un nouveau cas d’exigibilité des droits de mutation à titre gratuit au titre de ce qui n’est pas juridiquement une transmission à titre gratuit, mais un simple paiement. Cette ambivalence n’est pas dépourvue d’enjeux pratiques comme nous le verrons.

Question n°2 : Ce nouveau dispositif poursuit-il un objectif précis en termes de stratégies d’optimisation fiscale ?

Réponse : Oui.

Les travaux parlementaires sont univoques sur ce point. Il s’agit d’une réponse prévisible apportée aux préconisations formulées par certains praticiens (V. B. Nyzam, Plaidoyer en faveur de la donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit : DEFRENOIS 25 janv. 2018, n° 4) suggérant de généraliser les stratégies patrimoniales agressives fondées sur les donations de sommes d’argent assorties d’une réserve de quasi-usufruit. Jusque-là, la pratique notariale avait eu la sagesse de manier ce type de transmission avec une grande de circonspection (V. A. Chappert, La donation avec réserve de quasi-usufruit : une possibilité à utiliser avec modération en matière fiscale : Defrénois 1997, p. 906 et s. – D. Faucher, Abus de droit ou quand une donation de sommes d’argent est considérée comme fictive… : RFP 2008, étude 13). On doit y voir une réponse aux avis rendus par le Comité de l’abus de droit fiscal le 11 mai 2023 (Comité de l’abus de droit fiscal, aff. 2022-15 et 2022-16, 11 mai 2029, séance n° 1).

Question n°3 : Ces avis avaient-ils validé le principe de déductibilité de la dette de restitution ? Dans quel contexte ?

Réponse : Oui.

Ces avis afférents à une même affaire avaient été rendus dans le cadre de l’abus de droit « classique » régi par l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF). Sous réserve de prise de précautions minimales : détenir la donne donnée sous réserve de quasi-usufruit lors de la donation, ils avaient confirmé la déductibilité au décès du donateur de la dette de restitution ainsi générée pour le calcul des droits de succession lors du règlement de la succession du quasi-usufruitier donateur.

Question n°4 : Le postulat sur lequel se fondent les travaux parlementaires pour justifier ce nouveau dispositif anti-abus est-il à vos yeux convainquant ?

Réponse : Non.

Selon les travaux parlementaires (Sénat, Exposé des motifs de l’amendement n° I-1868 rectifié bis, 24 nov. 2023, p. 2), les donations de la nue-propriété de sommes d’argent assorties d’une réserve de quasi-usufruit seraient principalement motivées par un objectif d’optimisation fiscale en ce qu’elles permettraient de bénéficier indument d’une minoration d’assiette des droits de mutation à titre gratuit.

En effet, lors de la donation, les droits sont liquidés sur la seule valeur de la nue-propriété évaluée au barème fiscal, alors qu’au décès, la déduction de la dette de restitution porte sur la pleine propriété de la dette transmise au nu-propriétaire. Il y aurait là une incohérence qu’il conviendrait de corriger : « alors que la somme d’argent démembrée n’a été soumise lors de la mutation entre vifs aux droits de donation qu’à raison de la valeur de la nue-propriété, la déduction de l’actif successoral de cette dette pour son montant total en pleine propriété constitue une incohérence qu’il convient de corriger ».

Nous doutons du bien-fondé de cette affirmation quant à la prétendue incohérence qu’il conviendrait de rectifier. Les raisons économiques qui justifient la décote appliquée à la valorisation de la nue-propriété sont démontrées de longue date et bien connues du coté de Clermont-Ferrand. (V.  J. Aulagnier, Usufruit et nue-propriété dans la gestion de patrimoine : éd. Maxima, 1994, p. 68 et s.). De manière paradoxale, elles sont patentes lorsque la donation porte sur la nue-propriété d’une somme d’argent, a fortiori dans le contexte inflationniste actuel. L’érosion qui, dans notre système fondé sur le nominalisme monétaire (C. civ., art. 1895), atteint par principe la créance transmise confère à un tel mode de transmission de ce type d‘actif un attrait tout relatif. La valeur réelle de la somme appréhendée à terme, au décès de l’usufruitier, peut être largement érodée, ce qui, précisément, justifie économiquement la décote d’assiette ayant été appliquée lors de la donation de la nue-propriété. Une analyse plus fine permet de constater que ce mode de transmission, s’agissant d’une somme d’argent ne bénéficie pas d’un régime spécialement avantageux, comparativement aux donations de la nue-propriété qui portent sur d’autres classes d’actifs, au contraire. Ces dernières permettent tout à la fois de distraire de l’actif successoral taxable le bien sur lequel le donateur n’a conservé qu’un droit viager et de cumuler la décote d’assiette appliquée à la liquidation des droits de donation avec la transmission au nu-propriétaire en franchise de droits des plus-values constatées sur l’actif transmis entre la donation et le décès de l’usufruitier.

Question n°5 : Un autre argument est-il avancé pour fonder ce nouveau texte ? Est-il plus convainquant ?

Réponse : Oui.

Il s’explique par la nature du sous-jacent et la maîtrise que continue à exercer, en raison de la spécificité de ce dernier, l’usufruitier sur l’actif transmis. La donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit s’apparenterait ainsi, selon les auteurs de l’amendement à l’origine de l’article 774 bis du CGI « à une absence de transfert de propriété ». Le nu-propriétaire « ne dispose[rait] pas de cette somme en tant que telle ».  L’argument est compréhensible ; l’affirmation est toutefois juridiquement approximative, pour ne pas dire inexacte. L’existence et l’exigibilité de la dette de restitution doivent au contraire être soigneusement dissociées. La créance détenue par le nu-propriétaire naît en effet, dès la constitution du quasi-usufruit. Elle lui permet de prendre à l’encontre du quasi-usufruitier toutes mesures conservatoires nécessaires à sa sauvegarde qui, de fait, entraveront la liberté de gestion ou de disposition du quasi-usufruitier. La liberté testamentaire du quasi-usufruitier est également altérée, la dette de restitution minorant la masse de calcul servant à calculer la quotité disponible de sa succession (C. civ., art. 922). Enfin, la créance de restitution est également transmissible du chef du nu-propriétaire. Seule son exigibilité est reportée. La Cour de cassation rappelle inlassablement ces principes dans sa jurisprudence (V. spécialement Cass. 1re civ., 4 nov. 2020, n° 19-14.421 : JurisData n° 2020-017729 : « Dès avant le décès de son père, en sa qualité de nu-propriétaire de ces sommes, A avait vocation à la pleine propriété de ses comptes, alors même qu’elle n’en était pas encore titulaire et n’en avait pas la jouissance »).

Question n°6 : A défaut d’être convaincant dans son fondement, le nouveau dispositif est-il clair dans son champ d’application et ses modalités de mise en œuvre ?

 Réponse : Non.

Il est desservi par une rédaction défectueuse qui rend ces peux points : champ et modalités d’application très incertains.

Question n°7 : Le champ d’application ratione temporis du dispositif est-il obscur ? Doit-on y voir juridiquement une disposition rétroactive ?

Réponse : Non.

L’application dans le temps du nouvel article 774 bis est clairement définie – et ces règles à nos yeux conformes à la constitution sont très sévères. Le texte prohibant la déduction s’applique aux successions ouvertes dès le 29 décembre 2023 ; et ce quelle que soit la date à laquelle est née la dette de restitution. Ainsi, une dette née 15 ou 20 ans plus tôt est bien affectée, dès lors que le décès est survenu à compter de cette date.

Pour autant, au plan juridique on ne peut y voir une application rétroactive de la loi nouvelle. Les règles d’assiette s’apprécient en effet en fonction de la législation en vigueur à la date du fait générateur de l’impôt. Ce dernier est en l’espèce constitué par le décès.

Question n°8 : Les causes de la défectuosité de la délimitation du champ d’application du texte peuvent-elles être identifiées.

Réponse : Oui.

La défectuosité est double. Elle résulte d’une part, de l’emploi d’une formulation négative trompeuse ; d’autre part et surtout d’une curieuse et inquiétante précision terminale dont la portée divise les commentateurs.

Question n°9 : Pouvez-vous dès ce stade définir plusieurs catégories de dettes pour l’application du nouvel article 774 bis du CGI ?

Réponse : Oui.

La rédaction du texte conduit à distinguer quatre catégories de dettes :

• celles qui entrent assurément dans le champ d’application du dispositif, dont la déductibilité est interdite, sans exception ;

• celles qui, quoiqu’étant présentées comme n’étant pas concernées, le sont mais pour lesquelles l’intensité de l’interdiction est moindre, autorisant une déductibilité à certaines conditions ;

• celles qui se situent d’emblée en dehors du champ d’application du dispositif mais sont cependant expressément déclarées par le texte comme étant déductibles;

• et enfin, toutes les autres, qui sont très nombreuses, dont le régime n’est pas expressément réglé par le texte et qui ne peuvent pas à nos yeux être considérées comme étant incluses dans le champ d’application du nouveau dispositif, contrairement à ce qu’on pu énoncer certains commentaires.

Question n°10 : Les indications liminaires relatives aux dettes de restitution dont la déduction est interdite sans exception sont-elles confuses ?

Réponse : Non.

Le « I » de l’article 774 bis du CGI est assez clair lorsqu’il énonce que « ne sont pas déductibles de l’actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit ».

Sont ici visées les donations portant sur une somme d’argent dont le donateur s’est réservé le quasi-usufruit. Le dispositif est à cet égard cohérent. Ces donations de sommes d’argent avec réserve de quasi-usufruit sont celles, comme nous l’avons rappelé, dont la réalisation avait été validée par les avis rendus le 11 mai 2023 par le Comité de l’abus de droit fiscal. Elles sont explicitement visées par les travaux parlementaires comme destinées à être neutralisées par le dispositif mis en place ; et ce sans exception.

Question n°11 : La deuxième catégorie de dettes de restitution dont la déduction n’est admise qu’à certaines conditions est-elle aussi clairement définie ?

Réponse : Non.

 Le deuxième alinéa du « I » de l’article 774 bis précise : « Le présent I ne s’applique ni aux dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal. ».

Cette formulation est étonnante. Elle opérant une singulière mise en abîme. En effet, cette disposition qui écarte l’application du « I » se situe elle-même dans ce « I »… On doit comprendre que c’est en réalité le premier alinéa du « I » énonçant le principe de non-déductibilité de la dette qui ne s’applique pas à la situation envisagée.

La formulation retenue est également de nature à induire en erreur. Contrairement à ce que laisse entendre le texte, dans la situation évoquée, le principe de non-déductibilité de la dette de restitution subsiste. Il s’applique seulement avec une intensité moindre, la dette pouvant être déduite de manière conditionnelle s’il est justifié qu’elle n’a pas été contractée dans un objectif principalement fiscal. En réalité, cette disposition conduit à instaurer une présomption réfragable de fraude.

Sont ici visées les dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit. Là encore, la dette de restitution est afférente à un usufruit constitué sur une somme d’argent. Mais ici le quasi-usufruit n’a pas été constitué ab initio, d’emblée, sur la somme d’argent donnée. Il a été créé a posteriori sur le prix de cession, lors de l’aliénation du bien démembré.

Cette formule conduit à réserver l’application du dispositif aux seules donations assorties d’une réserve d’usufruit au profit du donateur et à l’écarter d’emblée lorsque l’usufruit aura été constitué par translation par un tiers.

Pareillement, le dispositif ne peut à nos yeux s’appliquer lorsque la dette de restitution devient exigible à raison du décès d’une personne autre que le constituant d’origine ; par exemple au titre d’une donation aux termes de laquelle un ascendant aurait donné à son fils l’usufruit d’une somme d’argent en gratifiant son petit-fils de la nue-propriété de cette même somme.

Question n°12 : Ces situations sont-elles fréquentes ?

Réponse : Oui.

Les transmissions de la nue-propriété d’un bien suivies de sa cession et de la constitution lors de la cession de l’actif démembré sur tout ou partie du prix de cession d’un quasi-usufruit au profit du donateur sont particulièrement visées. On sait que l’administration fiscale a échoué à remettre en cause de telles stratégies sur le terrain de l’abus de droit (CE, 10 févr. 2017, n° 387960 : JurisData n° 2017-002348. – CE, 31 mars 2017, n° 395550 : JurisData n° 2017-009231 ; RFP 2017, comm. 11, note S. Le Normand-Caillère).

Question n°13 : Toutes les cessions de la nue-propriété sont-elles concernées ?

Réponse : De notre point de vue, non.

Il a été constaté que le fait que le texte est rédigé d’une manière générale, de sorte que la transmission de la nue-propriété ait lieu à titre onéreux serait sans incidence (V. J.-F. Desbuquois, Loi de finances pour 2024 : premières observations sur les ambiguïtés du nouveau dispositif prohibant la déductibilité de certaines dettes de quasi-usufruit : JCP N 2024, n° 4, 1013, n° 6). En effet, littéralement le texte n’opère à cet égard aucune distinction. Pour autant, le dispositif nous semble devoir être limité aux seules transmissions à titre gratuit de la nue-propriété du bien ultérieurement aliéné. En effet, l’objectif poursuivi par le dispositif tel qu’il est exprimé dans les travaux parlementaires nous semble devoir commander une telle délimitation, tout comme le mécanisme de neutralisation du rappel fiscal et d’imputation mis en place par le « II » de l’article 774 bis.

Question n°14 : En termes de sécurité juridique, la référence faite par le texte à « un objectif principalement fiscal » est-elle similaire à la problématique rencontrée au titre de la nouvelle procédure de l’abus de droit (LPF, art. L64 A).

Réponse : Non. Ici la sécurité juridique est moindre.

Pour ces dettes, le quasi-usufruit créé au profit du constituant lors de la cession de l’actif démembré pourra être distrait de l’actif taxable uniquement s’il est justifié que la dette de restitution n’a pas été contractée dans un objectif principalement fiscal. Le principe même de cette inversion de la charge de la preuve est particulièrement regrettable, d’autant que comme nous l’avons rappelé, le dispositif peut appréhender les cessions et donations réalisées plusieurs décennies en amont et pour lesquelles par hypothèse les protagonistes n’ont pas pris soin de préconstituer les éléments de preuve qui par principe s’agissant de droits d’enregistrement devront être compatibles avec la procédure écrite (LPF, art. R. 195-1).

Cette référence à l’objectif principalement fiscal évoque naturellement la nouvelle procédure d’abus de droit fiscal mise en place par la loi de finances pour 2019, régie par l’article L. 64 A du LPF appelée par certains « mini-abus de droit ». Pour autant, l’insécurité juridique résultant par l’article 774 bis est plus importante ; et ce essentiellement pour deux raisons.

D’une part, la preuve de l’objectif n’étant pas principalement fiscal pèse sur le redevable et non sur l’administration. D’autre part, l’élément objectif sécurisant que doit caractériser l’administration fiscale au titre de l’abus de droit : la preuve d’une fraude à la loi est ici absente. Seul subsiste l’élément subjectif : l’objectif poursuivi.

Il conviendra de déterminer comment une telle preuve pourrait être administrée de manière intrinsèque par référence au mobile ayant justifié la constitution du quasi-usufruit d’une manière plus large notamment en ayant égard tant à la donation ayant créé le démembrement qu’à la cession. Il faudra veiller à ce que la bienveillance dont a pu faire preuve le nu-propriétaire en acceptant la constitution du quasi-usufruit assurément favorable au donateur ne se retourne pas contre lui lors du règlement de la succession. Intrinsèquement complexe à prouver s’agissant d’un actif consomptible et fongible, l’emploi des fonds soumis à quasi-usufruit constituera certainement l’un des critères pouvant être pris en compte, tout comme la chronologie des opérations.

Question n°15 : La rédaction du texte suscite-t-elle l’approbation s’agissant des dettes qui sont expressément exclues dispositif interdisant la distraction de la dette de restitution ?

Réponse : Assurément non.

C’est à l’égard de cette troisième catégorie de dettes de restitution visées par le texte que la rédaction retenue est la plus contestable. Elle est d’ores et déjà source de divergences et confusions, qu’il convient de dissiper.

Le deuxième alinéa du I précise in fine que le dispositif de non-déductibilité ne s’applique pas non plus « aux usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du Code civil ». Ces dettes de restitution sont ici écartées de plein droit du dispositif. Autrement dit elles peuvent être distraites de l’actif taxables dans les conditions habituelles, sans qu’aucune preuve particulière doive être rapportée par les redevables. Ces deux articles visent respectivement l’usufruit successoral légal dont bénéficie le conjoint survivant en présence de descendants communs aux deux époux et les libéralités en usufruit dont le conjoint survivant a été gratifié. Plus précisément, l’article 1094-1 du Code civil traite de la quotité disponible spéciale entre époux dont l’une des trois branches permet de gratifier le conjoint survivant, quel que soit le contexte familial de la totalité de ses biens en usufruit.

Deux points sont d’emblée surprenants : d’une part, les libéralités en usufruit adressées au partenaire de PACS ou concubin du disposant ne sont pas visées. D’autre part, de manière plus étonnante, l’usufruit dont bénéficie le conjoint survivant au titre d’un avantage matrimonial tel qu’une clause de partage inégal de la communauté ou d’un préciput en usufruit ne sont pas éligibles. On ne perçoit pas, eu égard aux objectifs poursuivis, ce qui peut justifier une telle différence de traitement.

Mais c’est au fond le sens même de cette exclusion qui interroge. Ces dettes se situent en effet assurément de plein droit en dehors du champ d’application du « I ». Elles ne peuvent pas être concerneés par la non-déductibilité de la dette de restitution, dès lors que l’usufruit n’a pas été « réservé » par le défunt à son profit (V. toutefois en sens contraire, B. Roman, Libres propos, JCP éd. N 2 février 2024, 213 pour qui le décès pris en compte pourrait être celui du conjoint survivant). S’agissant d’usufruits successoraux, par définition, le défunt n’a jamais été plein propriétaire de l’actif démembré. C’est au titre du décès du prémourant des époux que l’usufruit a été dévolu au conjoint survivant, la nue-propriété étant transmise à des tiers.

On peut naturellement s’interroger sur le sens à donner à cette indication superfétatoire. On doit à nos yeux y voir une indication purement explétive destinée à confirmer maladroitement que ces démembrements fréquents et intrinsèquement sincères sont expressément exclus du dispositif de non-déductibilité.

Question n°16 : S’agissant de la quatrième catégorie de dettes de restitution : celles qui ne sont pas visées par le texte, doit-on considérer, comme cela a été soutenu par certains des premiers commentaires qu’elles entrent dans le champ d’application du texte ?

Réponse : De notre point de vue, non.

Il en effet été soutenu aux termes d’une interprétation a contrario qu’ « en cas de décès du quasi-usufruitier d’une somme d’argent, cette dette de restitution ne serait en principe plus déductible de l’actif successoral. Resteraient toutefois déductibles les dettes du quasi-usufruitier lorsqu’elle a pour origine :

– Le quasi-usufruit successoral du conjoint survivant conformément aux règles de la dévolution légale (C. civ., art. 757) ou de l’article 1094-1 du Code civil relatif à la quotité disponible spéciale entre époux en présence de descendants ;

– Ou le quasi-usufruit constitué sur le prix de cession d’un bien non contracté dans un objectif principalement fiscal » . (Francis Lefebvre, FR 51/23, 5, n° 5, p.14).

Nous ne partageons pas une telle lecture.

Une telle interprétation engendrerait un champ d’application trop vaste du dispositif qui excéderait largement les objectifs poursuivis par le législateur tels qu’exprimés dans l’exposé des motifs de l’amendement dont est issu l’article 774 bis du CGI et que nous avons rappelés. Elle aurait pour effet de refuser la déductibilité de dettes de restitution afférentes à des transmissions ayant été frappées des droits de mutation par décès liquidés sur la pleine propriété des biens concernés. Cette interprétation conduirait également à soumettre la protection successorale du conjoint survivant organisée au moyen des conventions matrimoniales à un régime plus restrictif que celui résultant des droits successoraux légaux et des libéralités entre époux. La conformité à la constitution d’un dispositif ainsi délimité serait à nos yeux douteuse.

Il nous semble au contraire que les démembrements qui ne sont pas expressément visés par ce dispositif d’exception se situent en dehors du champ d’application du dispositif. Ces dettes de restitution concernées et dont la déductibilité n’est pas entravée sont nombreuses. On pense aux situations dans lesquelles la loi elle-même est à l’origine de l’existence du quasi-usufruit qui s’exerce sur une indemnité d’assurance ou d’expropriation afférente à un bien démembré. Il peut aussi s’agir de distributions de réserves sous la forme d’une somme d’argent afférentes à des titres sociaux démembrés, situation dans laquelle le quasi-usufruit naît également de plein droit sauf volonté contraire exprimée par les parties et prend sa source dans la loi (Cass. com., 27 mai 2015, n° 14-16.246 : JurisData n° 2015-012551). C’est est également le cas des usufruits ou quasi-usufruits constitués par des tiers notamment au titre d’une donation classique ou donation-partage transgénérationnelle ayant gratifié un donataire en usufruit et un autre en nue-propriété. Il en va de même, selon nous des quasi-usufruits résultant d’une clause bénéficiaire ayant démembré la garantie-décès, le bénéficiaire de la garantie en usufruit ne s’étant pas « réservé » celui-ci. Tous ces démembrements à raisons desquels le défunt ne s’est pas « réservé » l’usufruit n’entrent pas à nos yeux dans le champ d’application de la non-déductibilité énoncée par l’article 774 bis. 

Droit fiscal
François FRULEUX

François FRULEUX

Docteur en droit

Diplômé Supérieur du Notariat

Maître de conférences associé à l’Université Paris-Dauphine

Membre du Centre de Recherche Droit Dauphine (CR2D)

Directeur du Jurisclasseur Fiscal Enregistrement Traité

Membre du comité scientifique de la revue Actes pratiques et stratégie patrimoniale, du Jurisclasseur Ingénierie du patrimoine et du Lexis Pratique Fiscal

Consultant auprès du CRIDON Nord-Est

Enseignant à l’AUREP