Pacte Dutreil : les enseignements et les zones d’ombre du rapport de la Cour des comptes

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La Cour des comptes a publié le 19 novembre 2025, un rapport public, pour le moins attendu, sur le pacte Dutreil.

Le rapport, d’une densité inédite sur le sujet, dresse une étude détaillée sur les périmètres d’utilisation du dispositif fiscal, son coût pour l’Etat et, sur ses effets économiques. En outre, la Cour des comptes suggère des voies d’amélioration du dispositif articulées autour de deux orientations.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous proposons ici une synthèse des principaux enseignements du rapport.

Quels sont les bénéficiaires et les entreprises concernées ?

D’abord, sur le plan de l’identification des bénéficiaires et entreprises concernées par le pacte Dutreil, la Cour souligne une nette augmentation des transmissions d’entreprises opérées sous le bénéfice du dispositif entre 2013 et 2024. Entre 2013 et 2016, le nombre de transmissions oscillait autour des 2 000. Il a doublé depuis pour atteindre 4 000 en 2023 et 5 000 en 2024.  Sur ces 5 000 transmissions, 90 % ont été effectuées sous forme de donation, les donateurs ayant le plus souvent entre 50 et 70 ans tandis que les donataires majoritairement majeurs ont entre 18 et 40 ans.

Entre 2018 et 2024, les entreprises ayant fait l’objet d’une transmission représentaient 523 000 salariés en moyenne par an. S’agissant des secteurs d’activité concernés, les entreprises du commerce et de la distribution arrivent en tête en représentant 35 % de l’emploi et 44 % de la valeur ajoutée. Point surprenant et à rebours des idéaux, l’industrie n’occupe qu’une part assez faible des transmissions en pointant à 23 % et 21 % des indicateurs précités.

Une dépense fiscale qui s’élève à 5,5 par milliards d’euros en 2024 pour l’Etat

Ensuite, s’agissant de l’estimation de la dépense fiscale associée au pacte Dutreil, l’exercice apparaît pour le moins complexe au regard des écarts existants entre les estimations existant à ce jour.

Avant toute chose, précisons ce que recouvre le terme « dépense fiscale ». En clair, il s’agit de « la valeur de l’avantage fiscal « toutes choses égales par ailleurs « par rapport au régime de droit commun des DMTG ».

De la publication de cette estimation annuelle depuis 2020 ressort deux constats :

  • D’abord, un certain décalage entre les prévisions de l’administration, telles que publiées dans le dernier projet de loi de finances, et celle de la Cour. Pour cause, la première se base uniquement sur les donations enregistrées dans les bases de la DGFIP comme des pactes Dutreil. Or, selon la Cour ces informations présentent des lacunes et ne représentent pas la totalité des transmissions opérées sous le bénéfice de l’exonération partielle. Par conséquent, la Cour des comptes a complété et élargi le périmètre des transmissions concernées grâce à un algorithme de reclassement statistique élaboré par l’Institut des politiques publiques.

Si l’administration fiscale avait estimé la dépense dans le projet de loi de finances pour 2025 à 800 millions d’euros pour l’exercice 2020, la Cour des comptes l’a de son côté évaluée à 1,2 milliards d’euros. Portant sur une année particulière marquée par un faible taux de transmission, ces chiffres sont pour autant très loin des estimations actuelles.

  • La dépense fiscale a très largement augmenté entre 2020 et 2024 pour atteindre 3,3 milliards en 2023 et 5,5 milliards en 2024. Cette forte augmentation est, semble-t-il, expliqué par une donation d’un volume important intervenue chacune de ces deux dernières années.

Enfin, la Cour des comptes relève une certaine concentration de l’avantage fiscal sur les plus grandes entreprises : 53 % de l’avantage fiscal bénéficie aux entreprises de plus de 500 salariés.

Une mesure des effets économiques inédite mais incomplète

A l’heure des comptes, il apparaissait pour le moins important, sinon nécessaire, de s’intéresser aux effets du pacte Dutreil sur les entreprises concernées. Si le coût du dispositif pour l’Etat était important, la mesure de ses effets économiques l’était tout autant voire davantage. En cela, le rapport était très attendu. S’il se veut pédagogique sur certains pans nous regretterons l’absence de données sur d’autres d’importance majeure.

Ces effets ont été mesurés en étroite collaboration avec l’Institut des politiques publiques. Concrètement, une comparaison entre des entreprises transmises avec et sans le dispositif Dutreil, en éliminant les éléments endogènes de nature à biaiser une telle confrontation, a été effectuée.  Les études ont porté sur les aspects suivants :

  • L’impact sur la gouvernance, le capital et la pérennité des entreprises : sur cet aspect, et c’est le seul, le bénéfice du pacte Dutreil présente une influence qui s’estompe avec le temps. Si les entreprises transmises sans recours au dispositif font l’objet à court terme de restructurations dans la gouvernance, les entreprises sous le pacte Dutreil apparaissent au contraire plus stables dans le contrôle du capital. Les engagements de conservation impliqués par le dispositif expliquent certainement cette stabilité qui a tendance à reculer 10 ans après la transmission sans toutefois atteindre les niveaux des entreprises hors Dutreil.

Ainsi, et c’est là un objectif poursuivi par le législateur, le recours au pacte Dutreil garantit la pérennité des transmissions d’entreprises sur le territoire français en préservant leur essence familiale.

Le rapport montre également que s’il existe une hausse marquée du taux de distribution de dividendes l’année de la transmission pour les sociétés transmises hors pacte ; ce qui n’est pas le cas pour les autres ; ce constat s’estompe avec le temps pour rejoindre des niveaux normaux et stabilisés. A cet égard, le poids des DMTG ne jouerait pas un rôle sensible dans la politique de distribution. 

  • L’impact sur la stratégie d’investissement et la performance des entreprises : à cet égard, le recours au pacte Dutreil – ou son absence – n’a pas d’incidence significative, ni sur le niveau d’investissement, ni sur la profitabilité des sociétés concernées.
  • L’impact sur l’emploi, la recherche et le mécénat : là encore, le recours au pacte Dutreil – ou son absence – n’impacte pas ces indicateurs.

Nous regretterons le grand absent de cette étude des effets économiques : la mesure de l’enjeu de souveraineté économique pour la France. Il est clair que l’existence du dispositif a probablement permis la sauvegarde et la transmission d’entreprises sur le sol français. Si ce sujet d’importance publique ne fait guère de doute, il apparaît en revanche très complexe à mesurer, faute d’indicateurs et de données quantifiables.

Les axes d’optimisation suggérés par la Cour des comptes

Enfin, et au regard de ce rapport, la Cour des comptes suggère deux axes de réforme pour limiter les cas d’optimisation fiscale et réduire la dépense fiscale. Précisément, elle pointe du doigt la faible efficience économique du dispositif :   les performances des sociétés « en termes de développement, d’investissement et d’emploi ne sont pas meilleures que celles des autres entreprises transmises par d’autres voies, alors même que le dispositif pèse fortement sur les recettes fiscales de l’État ». En conséquence, la Cour propose de recentrer le dispositif pour une application plus ciblée.

1ère orientation : Limiter les dispositions du pacte Dutreil relevant de l’optimisation fiscale et dépourvues de lien avec ses objectifs d’intérêt général. Les réformes suggérées sont les suivantes :

  • L’exclusion des biens et actifs non professionnels de l’assiette éligible au dispositif ; notons à cet égard que le sujet occupe d’ores et déjà les débats parlementaires autour du projet de loi de finances pour 2026. Si le recentrage sur les actifs professionnels est envisagé, la question de la trésorerie, qui présente de forts enjeux, devra trouver une réponse lisible.
  • La suppression de l’avantage fiscal en cas de family buy out : est visé le schéma classique de constitution d’une holding par un enfant donataire repreneur en vue d’indemniser ses frères et sœurs non-attributaires de droits sociaux mais bénéficiaires de l’exonération partielle.
  • La suppression de l’engagement « réputé acquis »
  • La réduction du taux de l’abattement en cas de revente rapide des titres après la fin de l’engagement individuel ou à défaut l’allongement de la durée de ce dernier.

2ème orientation : Réduire le montant de la dépense fiscale. En l’espèce, les réformes proposées sont :

  • La diminution du taux d’abattement de 75 % sur l’actif transmis, en l’accompagnant d’une facilitation de l’usage du dispositif de paiement différé et fractionné des droits : la Cour des comptes souligne l’usage trop peu fréquent de ces facilités de paiement
  • La suppression ou la réduction du taux de l’abattement pour les activités réglementées qui ne recourent que très rarement au dispositif au regard des contraintes réglementaires qui sont les leurs.
  • La diminution du taux d’abattement au-delà d’un certain montant d’actif transmis par donataire ;
  • La mise en place d’un taux d’abattement moins élevé pour les entreprises non exposées à la concurrence internationale.

Reste à savoir de quelle manière ce rapport alimentera l’imagination, déjà particulièrement fertile, de nos parlementaires lors des travaux préparatoires de la prochaine loi de finances.

Droit fiscal
Communication AUREP

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