Et si on parlait des comptes ouverts à l’étranger…

Eclairage du 12 septembre 2025 - N°469

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Depuis de très nombreuses années, le filet se resserre sur les administrés qui ne voient d’horizons qu’à l’étranger et plus particulièrement dans les paradis fiscaux. Le nombre de dossiers soumis il y a quelques temps à ce que l’on a appelé la cellule de dégrisement en témoigne s’il en était encore besoin. Avant de délivrer les sommes portées dans leurs comptes, les banques étrangères situés dans des pays à fiscalité favorable demandent la production d’un quitus fiscal attestant que le bénéficiaire est en règle avec le fisc français.

Alex Shuper Pour Unsplash+

Nombre de dispositifs légaux ont vocation à lutter contre l’évasion fiscale. Pèle mêle on peut citer l’exit tax de l’article 123 bis du CGI ou encore l’obligation de déclaration des comptes ouverts à l’étranger de l’article 1649 A du CGI.

Une décision du Conseil d’Etat du 14 octobre 2024 (n° 489578, 489579 et 489580) se prononce de manière particulièrement intéressante sur la portée de cette dernière obligation et ce sur plusieurs points à savoir :

– ce que l’on entend par compte ouvert à l’étranger ;

– comment apprécier la prescription décennale applicable en cas de défaut de déclaration.

Quels comptes doit-on déclarer ?

Aux termes de l’article 1649 A précité, il s’agit des comptes ouverts, utilisés ou clos à l’étranger. En ce qui concerne l’ouverture ou la clôture, les termes mêmes laissent peut d’interprétations possibles. En revanche, la question et plus délicate quant à l’interprétation du terme ″utilisé″.

Voici un exemple qui illustre parfaitement cette difficulté. En l’occurrence, dans l’arrêt du 14 octobre 2024 précité, M. C … titulaire d’options portant sur des titres de sociétés était décédé le 11 septembre 2011. Immédiatement après le règlement de la succession, l’option était levée à la demande de son héritière Mme A… dans les six mois conformément aux dispositions de l’article L. 225-183 du code de commerce. Elle décidait alors de céder les titres ainsi reçus. Le montant de la plus-value s’élevait à 6,9 M€ et elle avait alors connaissance dès la fin de l’année 2012, de ce que les fonds issus de la cession avaient été versés sur un compte ouvert aux Etats-Unis au nom de son mari défunt mais sur lequel elle ne disposait pas d’une procuration. Elle l’avait au demeurant signalé dans sa réponse à la proposition de rectification à elle adressée par l’administration, bien qu’elle n’ait pas utilisé elle-même directement ce compte.

Constatant l’absence de déclaration de cette plus-value, l’administration la soumettait à l’impôt sur le revenu entre les mains de Mme B…au titre de l’année 2012. Cette dernière contesta cette imposition mais le Conseil d’Etat refusa d’y faire droit parce que Mme A devait bien être réputée comme ayant utilisé ce compte étranger au sens des dispositions de l’article 1649 A du CGI. Elle avait connaissance de l’existence de ce compte et du versement sur celui-ci du produit des cessions de titres réalisées à sa demande.

Cette jurisprudence vient d’être complétée par une décision de non admission d’un pourvoi en cassation à l’encontre d’un arrêt de la Cour administrative de Lyon relative à un transfert d’un compte étranger non-déclaré vers un compte en France (CE (na) 9e ch. 14 janvier 2025 n° 495914).

Avant toutefois d’arriver au fond de l’affaire, un petit rappel procédural s’impose. Ainsi, aux termes de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, tout pourvoi en cassation devant le Conseil d’état n’est pas obligatoirement transmis à une formation de jugement. En effet, pour éviter l’encombrement de cette instance, le pourvoi doit franchir l’obstacle de la Commission d’admission des pourvois en cassation dont le rôle est précisément de se prononcer sur le sérieux de la revendication des parties, qu’il s’agisse du contribuable ou de l’administration. L’admission est refusée par une décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n’est fondé sur aucun moyen sérieux ».

Les faits à apprécier étaient les suivants.

Les contribuables détenaient des comptes non déclarés en Suisse et au Portugal. En 2010, ils avaient procédé au virement d’une somme de 70 000 € du compte suisse vers le compte portugais. En 2014, un second virement était réalisé du compte ouvert au Portugal vers un compte ouvert en France. Mettant en œuvre un examen approfondi de leur situation fiscale, l’administration considéra que cette opération avait été réalisée en contradiction avec les dispositions de l’article 1649 A du CGI et soumit les sommes transférées à l’impôt sur le revenu en tant que revenus d’origine indéterminée.

De surcroît, et cette fois sur le fondement de l’article L. 23 C du LPF, elle demanda des justifications portant sur la totalité des avoirs figurant sur le compte étranger. Faute d’avoir obtenu de justifications suffisantes, elle soumit ces avoirs aux droits de mutation à titre gratuit sur le fondement de l’article 755 du CGI en retenant la valeur la plus élevée connue de ces avoirs et en déduisant la somme de 70 000 € par ailleurs soumise à l’impôt sur le revenu comme on l’a dit en tant que revenus d’origine indéterminée. Aux termes de cet article 755, les revenus dont l’origine et les modalités d’acquisition n’ont pas été justifiées dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF sont réputés constituer, jusqu’à preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit qui doit être assujetti, aux droits de mutation à titre gratuit au taux le plus élevé mentionné au tableau III de l’article 777 du même code visant les droits de mutation en ligne directe.

Pour leur défense, les contribuables faisaient valoir que l’on devait se référer au virement de la Suisse vers le Portugal lequel apportait la preuve, selon eux, de l’origine des fonds. Question de jouer sur les mots, on ne pouvait pas faire mieux. Et l’on n’est guère surpris que la commission d’admission des pourvois en cassation ne fut pas séduite par un tel raisonnement. Il y avait certes eu un virement entre la suisse et le Portugal, mais quid de l’origine des fonds transférés ? Mystère. Le moyen n’était à l’évidence pas sérieux d’où la non admission du pourvoi.

Revenons maintenant à la première affaire jugée le 14 octobre 2024, en ce qu’elle présentait une originalité au plan de la prescription fiscale.

L’origine des textes et la prescription fiscale

 En l’occurrence, la rectification fiscale portait sur les revenus de 2012 et était fondée sur le fait que Mme A… était la bénéficiaire économique du compte non déclaré. La requérante soutint alors que cette notion issue de la loi de finances pour 2019 et en vigueur au 1er janvier 2019 ne pouvait lui être appliquée parce que la prescription fiscale triennale avait depuis longtemps fait son œuvre.

Cependant, c’était méconnaître les dispositions de l’article L. 169 du LPF en vigueur à l’époque des faits qui stipulaient que : ″Le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due, lorsque les obligations déclaratives prévues aux articles 123 bis, 209 B, 1649 A, 1649 AA et 1649 AB du même code n’ont pas été respectées″.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estima la prescription décennale parfaitement applicable dès lors que sur le fondement de la loi, le compte devait bien être considéré comme utilisé dès lors qu’au moins une opération avait été réalisée sur ce compte par Mme A… Ce dernier aurait bel et bien dû faire l’objet d’une déclaration conformément aux dispositions précitées. L’absence de déclaration de ce compte en 2012 par Mme A… alors qu’elle en avait connaissance et que des sommes résultant d’une cession qu’elle avait décidée y avait été versées justifiait bien l’application de la prescription décennale. Une précision : bien qu’il s’agisse de la prescription de droits d’enregistrement, la prescription est bien décennale et non sexennale comme c’est le cas sur le fondement de l’article L. 186 du LPF lorsque les droits ne sont pas suffisamment révélés par un acte présenté à la formalité. 

Dans ces conditions, le simple fait de l’avoir ouvert, utilisé, clos ou d’en être un bénéficiaire effectif suffit à justifier l’obligation d’en déclarer l’existence. Dans l’hypothèse d’une absence de déclaration du compte en contravention avec les dispositions des articles 1649 A du CGI et 344 A de l’annexe III au même code, il faut prendre son souffle pour respirer correctement pendant dix ans. Et dix ans, c’est long….

Droit fiscal
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX

Consultant en droit fiscal