Construction par le locataire

Eclairage du 23 mai 2025 - N°545

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Une précédente publication sur le site de l’article écrit par Natacha Fauchier concernant le sort des travaux réalisés par un usufruitier rend particulièrement intéressant, au plan fiscal, un parallèle avec la situation dans laquelle les travaux sont réalisés, non par un usufruitier, mais par un locataire.

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La situation est classique, particulièrement dans le cadre des baux commerciaux. Tous les travaux à réaliser sur le bien pris en location doivent généralement être accomplis et financés par le locataire. De la sorte, ce dernier est-il éventuellement amené à construire sur le sol d’autrui. Et l’on se doute bien que l’administration peut avoir à redire en estimant, qu’en fin de bail, le locataire, souvent une société commerciale, doit solliciter une indemnisation de la part du propriétaire à hauteur du montant des travaux, faute de quoi il commettrait un acte anormal de gestion justifiant la réintégration de l’avantage ainsi consenti dans ses comptes en vue de son imposition.

Le locataire pourrait-il alors se retrancher derrière la position de la Cour de Cassation quant à la notion de construction nouvelle. On se souvient en effet qu’elle a abordé cette question dans le cadre du démembrement de propriété pour se prononcer sur le sort d’une construction réalisée par l’usufruitier (Cass. Com. 12 juin 2012, n° 11-11.424, D. 2012. 1674). Elle a d’abord jugé que l’accession à la propriété des constructions n’intervenait qu’au terme de l’usufruit faisant obstacle à toute constatation d’une donation indirecte en cours de l’usufruit, faute de réunion des éléments constitutifs d’une donation, à commencer par l’intention libérale. Elle confirmait de la sorte une jurisprudence ancienne (Cass. Civ. 23 mars 1825, D.P. 1825.I, p. 249 ; Cass. Req. 4 novembre 1885, D.P. 1886, I, p. 361) fondée sur les dispositions de l’article 599 du Code civil selon lesquelles : l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée″. Une construction nouvelle ne constitue ni plus ni moins qu’une amélioration à raison de laquelle l’usufruitier ne peut demander une indemnisation. La cour de cassation rejoignait l’analyse classique proposée par Proudhon en les termes suivants :

« Considéré dans ses effets, il faut, comme le mot amélioration l’indique essentiellement, que l’ouvrage ajoute au fonds une chose qui n’était point dans l’état préexistant, et qui en augmente la valeur. Ainsi construire un bâtiment utile là où il n’y en avait point, c’est faire une amélioration, parce que c’est ajouter au fonds une chose qui n’était point dans l’état préexistant, et qui en augmente la valeur. Ainsi, ajouter un étage de plus à une maison, ou l’agrandir d’une autre manière, ou achever un édifice commencé, c’est également faire une amélioration« .

Ces analyses peuvent-elles maintenant être transposées aux travaux réalisés par un locataire ?

En vérité, la transposition est délicate. Certes, on peut toujours considérer qu’une construction nouvelle par le locataire constitue une amélioration mais son sort, au plan civil, ne relève pas des dispositions de l’article 599 du Code civil. La notion d’amélioration en sens de cet article vise les travaux et constructions nouvelles édifiées par un usufruitier.

Par ailleurs, sur le plan strictement fiscal, la question se présente différemment, et d’autant plus différemment que la construction peut être liée à un contrat d’habitation, le locataire étant une personne privée, comme elle peut être réalisée par une entreprise dans le cadre cette fois, d’un bail commercial.

La location est organisée autour d’un bail d’habitation

La construction édifiée par le locataire profitera en fin de bail au propriétaire bailleur. Et, sur le plan fiscal, aucune difficulté ne se présente. Les dispositions de l’article 29 du CGI autorisent à considérer que ces constructions et aménagements sont constitutifs d’un avantage pour le propriétaire dont la valeur représente un complément de loyer imposable, qui doit par conséquent faire l’objet d’une déclaration au titre des revenus fonciers (CE, Ass., 30 novembre 1973, n°86977.- CE, 9 janvier 1993, n° 63644). Le Conseil d’Etat confirme de nouveau cette jurisprudence (CE, 26 novembre 2024, n° 494465). En l’occurrence, la location portait sur une villa vétuste et suite à l’ensemble des travaux réalisés, l’immeuble avait été transformé en un bien de standing, moyennant des travaux se montant à 2 018 264 € toutes taxes comprises. Pour sa défense, le contribuable faisait valoir qu’il ne s’agissait pas de travaux de reconstruction alors que les faits eux-mêmes démontraient manifestement le contraire ce qui justifiait la non admission du pourvoi en cassation à l’encontre de la décision de la Cour administrative d’appel de Marseille (arrêt du 21 mars 2024, no 22MA01332). Pour précision, rappelons que tout pourvoi devant le Conseil d’état doit franchir la barrière de la Commission d’admission des pourvois en cassation dont le rôle est de refouler tout pourvoi manifestement non fondé, ce qui, à l’examen des faits, était le cas en l’espèce. L’affaire est par conséquent entendue dans ce type de bail.

La location est organisée autour d’un bail commercial

Dans ce type de bail, les travaux de toute nature sont quasiment systématiquement mis à la charge du locataire. Bien entendu, l’administration n’attend qu’une seule chose : voir si les travaux réalisés qui reviennent entre les mains du bailleur au terme du bail font alors l’objet d’une demande d’indemnisation, auprès du propriétaire, de la part de l’entreprise, à hauteur du montant des travaux. Et, faute d’indemnisation, elle dégaine l’arme fatale : l’acte anormal de gestion. Sur ce fondement, elle estime que l’entreprise n’a pas géré ses actifs au mieux de ses intérêts pour réintégrer l’avantage dans le bénéfice imposable.

Dans sa communication récente précitée, Natacha Fauchier soulevait l’intéressante question de savoir s’il ne convenait pas de s’interroger sur le point de savoir si les travaux réalisés par un usufruitier ne l’étaient pas dans son propre intérêt. Or, précisément, ce même argument a été avancé par le locataire dans le cadre du bail commercial. Dans deux affaires, l’administration évoquait en effet l’existence d’un acte anormal de gestion faute par le locataire d’avoir sollicité une indemnisation auprès du bailleur en fin de bail.

Déjà en 1981 (CE, 10 juill. 1981, n° 12864 et 24 juill. 1981, n° 12865 et n° 24983), le juge fiscal avait-il eu à connaitre d’une situation dans laquelle des travaux de démolition, de reconstruction et de construction avaient été réalisés par le locataire sur le bien ainsi pris en location. Le bail prévoyait que « les constructions, modifications, améliorations et embellissements apportés par la société preneuse () resteront à la fin du bail la propriété du bailleur, sans aucune indemnité à moins que celui-ci ne préfère le rétablissement desdits locaux dans leur état primitif ».

En fin de bail, et conformément aux stipulations du bail, le locataire ne sollicita par conséquent aucune indemnisation de la part du bailleur à raison des travaux réalisés. L’Administration y vit la manifestation d’un acte anormal de gestion. Sur le principe, Le Conseil d’État ne rejeta pas la nécessité pour le locataire de demander une indemnité en fin de bail. Pour autant, il rejeta clairement la prétention de l’Administration pour se pencher sur les avantages tirés par le locataire des travaux réalisés et si ceux-ci l’étaient dans des proportions satisfaisantes. En l’occurrence précisément, les dépenses en cause paraissaient bien avoir été exposées dans l’intérêt de l’entreprise locataire. Le juge de l’impôt valida l’absence de demande d’indemnisation de la part de l’entreprise locataire.

Il confirma ensuite cette analyse dans une décision du 2 octobre 1985 (CE, n° 63966). En l’espèce, la société locataire avait édifié un atelier et une maison sur le terrain du bailleur. Comme dans l’affaire précédente, le contrat de bail prévoyait un retour sans indemnité des constructions entre les mains du bailleur au terme du bail. Le juge de l’impôt estima que les constructions édifiées entre 1965 et 1967, soit au début du bail, étaient utiles à la marche de l’entreprise et avaient été affectées à son exploitation. Du même coup, l’administration n’établissait pas que les dépenses de construction avaient présenté un caractère disproportionné au regard des avantages que la société pouvait en attendre, d’où l’absence justifiée de toute demande d’indemnité.

Usufruitier et locataire constructeurs même combat ?

Le rapprochement entre la situation du locataire et de l’usufruitier constructeurs paraît dans ces conditions possibles. Déjà au plan civil, l’analyse fondée sur l’intérêt de l’usufruitier n’est pas inconnue même s’il faut remonter dans le temps. Ainsi, dans une note sous l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 1885, (n° 63966), le conseiller Louis-Michel Alméras-Latour rappelait que “que le légis­lateur a considéré que si l’usufruitier faisait des constructions, c’était dans son intérêt et pour en recueillir le fruit ou pour sa propre convenance, et qu’il ne devait pas être au pouvoir de l’usu­fruitier de grever le propriétaire de répétitions souvent onéreuses qui seraient un sujet fréquent de conflits et de procès.

Cette analyse civile devrait alors trouver un prolongement logique au plan fiscal toujours s’agissant de l’usufruitier constructeur. Pourquoi en effet, la jurisprudence fiscale analysée plus haut concernant le sort fiscal des travaux réalisés par le locataire constructeur ne pourrait-elle être transposée à l’usufruitier ? Tous deux édifient en effet une construction qui, à terme, revient au propriétaire. Mais tous deux peuvent tout simplement réaliser les travaux dans leur propre intérêt. Au fond, si les constructions sont édifiées suffisamment longtemps avant le terme de l’usufruit, le Conseil d’état pourrait faire un pas supplémentaire dans le prolongement de sa jurisprudence concernant le locataire pour considérer que l’usufruitier construit avant tout pour les besoins de son exploitation et non dans le dessein d’enrichir le nu-propriétaire. Du même coup, au plan fiscal, une demande d’indemnisation n’aurait pas de raison d’être. L’entreprise usufruitière exploiterait bien son actif au mieux de ses intérêts propres. Exit l’acte anormal de gestion…

Au fond, tant au plan civil que fiscal, usufruitier et locataire constructeurs, même combat, non ?…

Droit fiscal
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX

Consultant en droit fiscal