Action en nullité d’une modification de clause bénéficiaire

Eclairage du 28 avril 2023 - N°469

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Action en nullité d’avenants de modifications de clauses bénéficiaires : la recherche de circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants requise par la Cour de cassation pour déterminer si le souscripteur a exprimé de manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier les clauses bénéficiaires (Cass. civ. 1ère, 5 avr.2023, n°21-12.875).

Cette affaire est l’occasion de revenir sur un sujet souvent source de contentieux et face auquel les héritiers se retrouvent le plus souvent démunis.

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Une personne avait souscrit deux contrats d’assurance vie au sein desquels elle avait désigné comme bénéficiaire Mme [H] [U] et, à défaut, la fille de celle-ci, Mme [D]. Postérieurement à la souscription, deux avenants de modifications de clauses ont été formulés pour chacun des contrats désignant de nouvelles bénéficiaires. Ces avenants ont été rédigés par l’assistante de vie du souscripteur sur lesquels ce dernier a apposé sa signature. 

À la suite du décès du souscripteur assuré, l’assureur versa les capitaux aux bénéficiaires dernièrement désignés. Partant de ce constat, Mme [H] [U] la bénéficiaire initialement désignée assigna ces dernières en justice aux motifs d’une action en nullité des deux avenants et de remboursement des sommes correspondantes.

A la suite d’un rejet de la cour d’Appel de Paris, Mme [D] en qualité d’ayant droit de Mme [H] [U] préalablement décédée, se pourvue en cassation. La Haute juridiction casse l’arrêt d’appel en se fondant sur l’article L132-8 du Code des Assurances :

« 7. Mme [D] fait grief à l’arrêt de dire que l’action introduite par [H] [U] est irrecevable en application de l’article 414-2-1° du code civil et que la nullité de la modification des clauses bénéficiaires par avenants en date du 27 octobre 2012 n’est pas encourue sur ce fondement, alors « que l’assuré peut modifier jusqu’à son décès la désignation des bénéficiaires de son assurance-vie, dès lors que la volonté du stipulant s’est exprimée d’une manière certaine et non équivoque ; que l’absence de consentement qui entraîne la nullité de l’acte peut découler d’une insanité d’esprit mais aussi de l’absence de consentement réel et sérieux en ce que l’auteur de l’acte n’a pas perçu la signification exacte et la portée de l’engagement qu’il prend ; que, distincte de l’insanité d’esprit, l’absence de consentement réel et sérieux peut être établie par des éléments extrinsèques à l’acte litigieux ; que la cour d’appel a certes relevé que M. [U] n’était pas le rédacteur des avenants, que sa signature était tremblante et mal assurée et que ces avenants avaient été adressés à la société CNP assurances après le décès de M. [U], mais a jugé que ces éléments ne permettaient pas de rapporter la preuve intrinsèque d’une insanité d’esprit, la clause bénéficiaire devant porter en elle même la preuve d’un trouble mental ; qu’en statuant de la sorte, sans rechercher, comme l’y invitait Mme [D], si l’ensemble des circonstances extérieures entourant la signature des avenants du 27 octobre 2012 ne permettait pas de démontrer que M. [U] n’avait pas exprimé d’une manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier la clause bénéficiaire et qu’il n’avait pu avoir conscience de la teneur et de la portée de l’engagement qu’il prenait, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-8 du code des assurances et 1108 ancien du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 132-8 du code des assurances :

8. Il résulte de ce texte que l’assuré peut modifier jusqu’à son décès le nom du bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie, dès lors que sa volonté est exprimée d’une manière certaine et non équivoque.

9. Pour dire que l’action introduite par [M] [U] est irrecevable en application de l’article 414-2-1°du code civil et que la nullité de la modification des clauses bénéficiaires par avenants du 27 octobre 2012 n’est pas encourue sur ce fondement, l’arrêt retient que n’étant allégué aucun vice du consentement du souscripteur, cette action ne peut relever que des dispositions des articles 414-1 et 414-2 du code civil, et d’une part, que les dispositions des actes modifiant le nom des bénéficiaires ne sont en elles-mêmes ni incohérentes ni absurdes ou démesurées, d’autre part, que l’apparence formelle, certes tremblée et mal assurée, de la signature de [P] [U] ne permet pas, à elle seule, de déduire de manière certaine un état de déficience mentale grave et donc l’insanité d’esprit de son auteur.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, s’il ne résultait pas de l’ensemble des circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants du 27 octobre 2012 que [P] [U] n’avait pas exprimé de manière certaine et non équivoque sa volonté de modifier les clauses bénéficiaires, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

En pratique, il apparait relativement complexe d’établir la preuve de l’insanité d’esprit d’autant plus quand le souscripteur assuré n’était pas placé sous un régime de protection juridique. En effet, la charge de la preuve incombera, après le décès de l’intéressé, aux héritiers qui seront toutefois soumis au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond (art. 414-2). 

Si l’on se cantonne à l’étude de la rédaction de cet article, en dehors d’une donation ou d’un testament, seule la prise en compte d’éléments intrinsèques à l’acte lui-même serait admise pour démontrer post mortem la preuve d’un trouble mental du stipulant. Cela reflète d’ailleurs la position retenue dans plusieurs décisions (Cass. civ. 1, 1er juillet 2009, n° 08-13.402 ; Cass. civ. 1, 24 octobre 1995, n° 93-21.467) dont celle de la Cour d’appel dans cette affaire. Toutefois, la Haute juridiction (Cass. civ. 1, 25 septembre 2013, n° 12-23.197) avait par le passé, suivi le raisonnement tendant à l’analyse d’éléments contextuels pour rechercher la volonté certaine et non équivoque du stipulant ainsi que sa connaissance du contenu et de la portée de son acte.


Avis de l’AUREP :

Au cas d’espèce, la Haute juridiction offre donc aux héritiers une plus grande latitude en requérant la recherche de circonstances extérieures ayant entouré la signature des avenants pour déterminer si le souscripteur a exprimé sa volonté de manière certaine et non équivoque. Par ailleurs, il est à noter que la demande de requalification de la modification des clauses bénéficiaires en donation déguisée ou indirecte de Mme [D] a été rejetée par la Cour de cassation.

Enfin, cet arrêt est également l’opportunité de rappeler deux principes :
– La rédaction de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie n’est soumise à aucune condition de forme, c’est un droit personnel du souscripteur.
– Le délai de prescription de l’action en nullité en matière d’assurance vie est quinquennal, lorsqu’un héritier agit également en qualité « d’ayant droit » du souscripteur (Cass. 1e civ. 13-7-2016 n° 14-27.148).

Droit civil
Thomas Gimenez

Thomas Gimenez

Chargé de recherche