Contrat d’assurance-vie bénéficiant à un non-héritier, action sur le terrain des primes manifestement exagérées, recel successoral et tentative de requalification en donation indirecte… Autant d’arguments qui ne pouvaient qu’éveiller notre curiosité.
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La présente décision (CA Angers, 16 oct. 2025, n° 22/01475) s’inscrit dans un contentieux familial larvé sur fond de mésentente et d’argent. Précisément, une défunte laissait pour lui succéder ses 2 sœurs, Mesdames A et B. De son vivant, elle avait souscrit, dans les années 90, trois contrats d’assurance-vie en désignant comme bénéficiaire dès l’ouverture, son neveu M. B1, fils de Mme B. L’exposé des faits révèle que la défunte laissait à son décès un bien immobilier valorisé 200 000 euros tandis que la valeur de rachat globale desdits contrats d’assurance-vie s’élevait à 350 000 euros à leur dénouement.
En clair, Mme A, la sœur et héritière de la défunte, entendait remettre en cause le placement, par la de cujus, de l’essentiel de ses liquidités sur les contrats d’assurance-vie litigieux. Pour cause, elle entendait faire valoir ses droits successoraux sur les contrats qui avaient seulement bénéficié à son neveu et sa sœur. Précisons à ce stade que cet élément se révèlera erroné, en ce que les contrats avaient tous et exclusivement été souscrits avec stipulation bénéficiaire au profit du neveu.
Déboutée en première instance, la requérante interjeta appel en motivant ses demandes au regard d’un certain nombre d’arguments.
D’abord, elle entendait faire reconnaître l’existence d’un recel successoral à l’égard de sa sœur et son neveu afin qu’ils rapportent les sommes à la succession.
Cet argument n’avait que peu de chances d’aboutir. A cet égard, les juges d’appel rappelèrent qu’il « incombe à celui qui se prévaut de l’existence d’un recel, de rapporter la preuve de ses éléments constitutifs, ce qui suppose d’établir non seulement l’élément matériel du recel ou du détournement mais également son élément intentionnel, à savoir la volonté, pour celui à qui il est reproché, de rompre l’égalité des héritiers dans le partage ».
Au demeurant, les certificats d’adhésion des trois contrats révélaient une désignation bénéficiaire du neveu dès l’origine. Il n’est pas contesté que ce dernier n’était pas héritier à l’inverse de sa mère, incriminée à tort faute d’être désignée bénéficiaire.
Ainsi, les juges confirment le jugement sur ce point : le neveu n’étant pas héritier, les règles du rapport successoral ne lui étaient pas applicables.
Enfin, la requérante revendiquait l’existence de manœuvres frauduleuses orchestrées par les intimés en vue de se faire remettre les fonds des contrats litigieux. A l’appui, elle précisait que sa sœur, ayant procuration sur les comptes de sa mère, aurait procédé à la modification des clauses bénéficiaires des contrats à leur profit et à l’encontre de la volonté de leur sœur souscriptrice assurée. En outre, elle s’appuyait sur de nombreux témoignages attestant de l’insanité d’esprit de la de cujus à cette époque, élément contesté par les intimés.
Compte tenu de ces éléments, la requérante demanda le rapport à la succession des sommes issues des contrats litigieux, sur le fondement des primes manifestement exagérées.
Sans même rechercher si les éléments constitutifs d’une telle démonstration étaient réunis, les juges d’appel écartèrent la requête. D’abord, ils rappelèrent la permanence de la désignation bénéficiaire, rien ne permettant de justifier une modification de la clause depuis la souscription. Citant l’article L. 132-13 du Code des assurances, les juges d’appelestimèrent qu’avant même d’apprécier le caractère exagéré ou non des primes, il convenait de vérifier si les règles de rapport à succession et de protection de la réserve des héritiers trouvaient à s’appliquer.
En l’espèce, la succession était dépourvue d’héritier réservataire et M. B1, bénéficiaire des capitaux décès, n’était pas héritier et donc non soumis aux règles du rapport. En conséquence, la Cour d’appel écarte l’application de la demande sur le terrain des primes manifestement exagérées.
Avis de l’AUREP : L’issue du contentieux ne surprend guère : faute d’être héritier, le bénéficiaire mis en cause ne pouvait se voir imposer le rapport des sommes reçues. Cet arrêt permet en effet de rappeler que la demande de rapport et éventuellement de réduction des primes ne trouvent à s’appliquer que si leurs conditions d’application sont réunies, ce qui faisait défaut en l’espèce.
Pour autant, il apparaît tout aussi important de rappeler que l’action fondée sur les primes manifestement exagérées peut être engagée alternativement tant pour obtenir le rapport que la réduction des primes.
En effet, si l’article L. 132-13 du Code des assurances protège les héritiers réservataires par la réduction des primes excessives, il protège tout autant l’ensemble des héritiers, réservataires ou non, appelés à une succession par le jeu du rapport des primes excessives. En l’absence d’héritier réservataire, la masse à partager se retrouvera augmentée des sommes rapportées. Le rapport effectué en moins prenant par un héritier s’imputera sur sa part dans la masse à partager. Ce dernier pourra ainsi, selon les sommes en jeu, être débiteur d’une indemnité de rapport envers ses cohéritiers qui verront leurs droits évoluer sensiblement.