🔹 Les faits :
À la suite du décès de M. [X], son épouse Mme [T] a opté pour l’usufruit de la totalité de la succession, son fils unique, M. [C] [X] recueillant la nue-propriété. Dans la déclaration de succession, le passif de la succession a été imputé en totalité sur la part de leur fils.
🔹 Le litige :
L’Administration fiscale a contesté cette répartition, estimant que le passif devait être réparti entre les deux héritiers selon leurs droits respectifs évalués selon l’article 669 du CGI. M. [C] [X] a contesté cette rectification.

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🔹 Décision de la Cour d’appel (CA, Dijon, 5 sept. 2023, n° 21/00745) :
Les juges d’appel saisis du litige rappelèrent la pratique suggérée par l’Administration fiscale dans sa doctrine (BOI ENR-DMTG-10-50-10, 11 avril 2016). Pratique au terme de laquelle la part nette revenant aux ayants droits tenus au paiement proportionnellement à leur émolument est déterminée en diminuant le montant total des dettes de l’actif successoral. Selon la Cour d’appel de Dijon, si cette pratique trouve à s’appliquer en présence d’héritiers ayant des droits de même nature, il en va différemment lorsque les droits sont démembrés comme en l’espèce.
Dès lors, elle donne raison au contribuable et considère que seul le nu-propriétaire (le fils) doit supporter le passif, l’usufruitier (la mère) n’étant pas tenu au passif successoral mais seulement aux intérêts générés par ce passif en application de l’article 612 du Code civil.
On relèvera en somme que cette position s’avère fiscalement favorable à l’héritier nu-propriétaire, qui voit les droits à sa charge réduits d’autant. Contrairement à la méthode retenue par l’Administration, elle permet d’éviter la perte du bénéfice de la déduction des dettes au niveau de l’usufruitier, le plus souvent le conjoint survivant exonéré de droits de succession.
🔹 Position de la Cour de cassation (Cass. com., 2 avr. 2025, n° 23-22.537) :
Saisie de l’affaire sur pourvoi de l’Administration, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. S’appuyant sur une lecture combinée des articles 777, 779 du CGI et 870 du Code civil, elle juge qu’en l’absence de partage pur et simple et lorsque l’actif de la succession, grevée d’une dette, a fait l’objet d’un démembrement des droits de propriété, la part nette revenant à l’usufruitier et au nu-propriétaire doit être fixée en répartissant cette dette selon les proportions prévues par l’article 669 du CGI.
En clair, la Cour d’appel avait ici violé, par refus d’application, l’article 669 du CGI et, par fausse application, l’article 612 du Code civil.
✅ Conclusion :
Il convient donc en présence d’une succession dévolue en démembrement de propriété de déterminer la part nette de chacun des usufruitier et nu-propriétaire en ventilant la dette successorale dans les proportions déterminées selon la valeur de leurs droits respectifs en vertu de l’article 669 du CGI. Le résultat de cette position conforme in fine à celui de la pratique inscrite dans la doctrine administrative apparait moins favorable au contribuable en présence d’un usufruitier par ailleurs exonéré de droits de succession.
Si la position retenue par la Haute juridiction sur le plan fiscal a le mérite de sécuriser la pratique notariale jusqu’alors suivie en ce sens, elle n’est pas pour autant exempte de conséquences, dans la mesure où elle vient heurter les règles civiles existantes en la matière, règles judicieusement rappelées ici par les juges du fond.
En clair, il conviendrait d’effectuer une dissociation entre droit civil et droit fiscal : les règles civiles édictées par l’article 612 du Code civil, afférentes à la contribution aux dettes entre usufruitier et nu-propriétaire (dettes en capital à la charge exclusive du dernier), n’ayant aucune incidence sur le calcul de l’assiette fiscale des droits de succession donnée ici (ventilation du passif successoral).