Reprise des actes par une société en cours de formation : revirement et assouplissement !

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L’on se souvient que Monsieur Henri LEYRAT avait exposé, dans nos colonnes en octobre dernier, les difficultés pratiques inhérentes à la reprise de actes accomplis pour le compte d’une société civile en formation1.

Photo de Wesley Tingey sur Unsplash

Cette faculté de reprise est offerte par l’article 1843 du Code civil. Les situations de conclusion d’actes avant l’immatriculation de la société sont relativement fréquentes, il peut notamment s’agir de la conclusion d’un bail, de la souscription d’un prêt ou d’une promesse de cession d’actions.

Les personnes qui auraient ainsi valablement conclu les actes avant l’immatriculation de la société, seront tenues solidairement des obligations nées si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas.

Ensuite, la société régulièrement immatriculée pourra reprendre les engagements souscrits, qui seront alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci.

La problématique réside dans la qualité de la personne qui aurait conclu ledit acte.

L’article susvisé vise pour sa part « les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation ».

Ainsi, on rappellera à titre liminaire que les actes accomplis directement par la société en formation sont frappés d’une nullité absolue en raison de l’absence de personnalité morale de cette dernière.

Pour s’affranchir de toute nullité, une construction jurisprudentielle largement reprise par la pratique exigeait que soit indiqué expressément que l’acte était passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation.

Dans trois arrêts en date du 29 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation (22-12.865 ; 22-18.295 ; 22-21.623) vient assouplir ce formalisme qui ne résulte d’aucune exigence textuelle. Les juges de la Haute juridiction y pointent à raison que le non-respect de ce formalisme est sanctionné par une nullité de l’acte qui ne serait pas expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d’une société en formation de sorte que personne n’aurait à répondre de son exécution à la différence d’un acte valable mais non repris par la société qui engagerait les personnes ayant agi. C’est ainsi que certaines personnes auraient eu recours à cette solution de manière imparfaite pour se soustraire à leurs engagements, conduisant à une fragilisation des entreprises nouvellement formées et à une absence de la protection du tiers contractant alors dépourvu de débiteur.

Ainsi, la Haute juridiction abandonne cette solution au profit d’une appréciation souveraine des juges. Ainsi, il appartient désormais au juge de déterminer si les parties ont entendu d’une commune intention conclure l’acte au nom ou pour le compte de la société en formation en vue d’une reprise des engagements par cette dernière à compter de son immatriculation.

« 9. L’exigence selon laquelle l’acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu’il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits. »

Avis de l’AUREP

Cet assouplissement est le bienvenu en ce qu’il permet de protéger potentiellement les parties d’un usage dévoyé de la jurisprudence antérieure. La nullité de l’acte résultera désormais d’une appréciation souveraine du juge.

Toutefois, nous pensons que la mention d’une conclusion de l’acte « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation demeure opportune en ce qu’elle constitue une preuve de la commune intention des parties.

  1. H. Leyrat, Eclairage AUREP n°483 « Les difficultés pratiques inhérentes à la reprise de actes accomplis pour le compte d’une société civile en formation », 13 oct. 2023 ↩︎
Droit civil
Thomas Gimenez

Thomas Gimenez

Chargé de recherche