Régime fiscal des associés de SEL : le Conseil d’Etat confirme la nouvelle interprétation doctrinale mais annule partiellement les commentaires relatifs à la rémunération des gérants majoritaires de SELARL et des gérants de SELCA

Eclairage du 21 novembre 2025 - N°557

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A compter du 1er janvier 2024, les rémunérations perçues par l’associé de société d’exercice libéral au titre de son activité libérale au sein de celle-ci sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ; il n’en est autrement que dans l’hypothèse où un lien de subordination de l’associé à l’égard de la société dans laquelle il exerce son activité est mis en évidence (CGI, art. 92-1). Une distinction est donc désormais faite entre les fonctions de direction dont les rémunérations relèvent de la catégorie des traitements et salaires ou de l’article 62 du CGI, et les fonctions techniques de l’associé au sein de la SEL soumise à l’impôt sur les sociétés. L’administration a donc rapporté sa doctrine issue de la réponse ministérielle Cousin selon laquelle les rémunérations des associés de SEL relevaient des TS ou de l’article 62 du CGI (Rép. Cousin n° 39397, JOAN 16 septembre 1996, p. 4930) pour s’aligner sur la jurisprudence du Conseil d’Etat (Conseil d’Etat 16 octobre 2013, n° 339822 et 8 décembre 2017, n° 409429 ; BOI-RSA-GER 10-30, n° 520, 27 décembre 2023 ; BOI-BNC-DECL-10-10, n° 110, 27 décembre 2023). Elle a par la suite apporté des éclaircissements et complété ses commentaires (BOI-RES-BNC-000136, 24 avril 2024 ; BOI-RSA-GER-10-30, n° 530 à 550, 27 décembre 2023).

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Le Conseil national des barreaux a demandé l’annulation pour excès de pouvoir des nouveaux commentaires administratifs comportant des énonciations relatives au régime d’imposition des rémunérations versées aux associés des SEL. Dans un arrêt du 8 avril 2025, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la situation des gérants majoritaires de SELARL et des gérants de SELCA et l’appréciation du seuil d’application du régime micro-BNC. A cette occasion, il a confirmé la légalité de la nouvelle interprétation doctrinale mais a notamment annulé la règle pratique qui admet que la rémunération des fonctions de direction des gérants majoritaires de SELARL et gérants de SELCA correspond à 5 % de leurs rémunérations d’ensemble. L’administration a modifié en conséquence sa doctrine (Conseil d’Etat 8 avril 2025, 8ème et 3ème chambres réunies, n° 492154 ; BOI-RSA-GER 10-30, n° 520 à 540, 16 juillet 2025).

I – Les Commentaires administratifs validés par le Conseil d’Etat

Question prioritaire de constitutionnalité

A l’appui de son recours pour excès de pouvoir, le Conseil national des barreaux a demandé au Conseil d’État de transmettre au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, des articles 6292, 93 du CGI et de l’article 132 de l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées. Il invoquait essentiellement la violation du principe d’égalité devant la loi fiscale entre les gérants de SEL constituées sous la forme de SELARL ou de SELCA et les gérants de sociétés constituées sous la forme de SARL ou de SELCA. 

Rejetant l’argumentation du Conseil national des barreaux, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité.

Situation des gérants majoritaire de SELARL et des gérants de SELCA

S’agissant des gérants majoritaires de SELARL et des gérants de SELCA, l’administration précise que les rémunérations qui leur sont versées au titre de leur activité libérale au sein de la société relèvent des BNC lorsqu’elles peuvent être distinguées de celles perçues au titre de leurs fonctions de gérant. Dans le cas contraire, ces rémunérations, comme celles perçues au titre des fonctions de gérant, sont imposées selon les modalités de l’article 62 du CGI, mais « l’intéressé doit être en mesure de fournir par tout moyen l’ensemble des éléments de preuve permettant de justifier de cette impossibilité ». L’administration précise que l’absence de documents statutaires ou comptables tels que ceux fixant la rémunération accordée par la société au titre des fonctions de gérant ou mesurant le temps passé à l’exercice de ces fonctions « n’est pas à elle seule de nature à caractériser une impossibilité » (BOI-RSA-GER-10-30, n° 540, 27 décembre 2023).

Le Conseil national des barreaux soutenait que ces commentaires étaient contraires aux dispositions de l’article 62 du CGI, les rémunérations des gérants majoritaires de SELARL et des gérants de SELCA devant être imposées selon les modalités de cet article sans qu’il y ait lieu de distinguer la part se rapportant aux fonctions de direction et celle se rapportant à l’activité libérale au sein de la société.

Le Conseil d’Etat confirme la légalité des commentaires administratifs sur l’imposition à l’IR dans la catégorie des BNC des gérants majoritaires de SELARL et des gérants de SELCA : « il résulte des dispositions de l’article 62 du CGI que les rémunérations perçues par le gérant majoritaire d’une SARL assujettie à l’IS ou par le gérant d’une SCA et qui, se rapportant à l’exercice personnel par ceux-ci, au sein de la société, d’une activité professionnelle libérale, ne peuvent être regardées comme se rattachant à leurs fonctions, à caractère transversal, de gérance ne relèvent pas de la catégorie de revenus que ces dispositions instituent mais, selon que les conditions dans lesquelles cette activité est exercée traduisent ou non l’existence d’un lien de subordination à l’égard de la société, de celle des TS ou de celle des BNC ».

Le Conseil d’Etat relève que « les rémunérations des gérants majoritaires de SELARL et gérants de SELCA dont l’objet est l’exercice d’une profession juridique ou judiciaire et les rémunérations des gérants majoritaires de SARL et gérants de SCA dont l’objet est l’exercice d’une profession libérale d’une autre nature sont identiquement soumises aux mêmes règles d’imposition énoncées ci-dessus. D’autre part, les personnes qui exercent une profession libérale juridique ou judiciaire ne sont pas placées, au regard des règles d’imposition auxquelles est soumise leur rémunération, dans la même situation que les personnes qui exercent une profession commerciale, industrielle, artisanale ou agricole, de sorte qu’une différence de traitement à cet égard n’est pas de nature à méconnaître le principe d’égalité devant la loi ».

Validation du régime fiscal de l’associé de SEL

L’administration note que l’associé de SEL imposable dans la catégorie des BNC au titre de son activité libérale (BOI-RSA-GER-10-30 et BOI-RES-BNC-000136, 27 déc.2023) :

– n’agit pas en son nom propre mais exerce ses fonctions techniques au nom et pour le compte de la société, et cesse dès lors d’exercer une activité professionnelle indépendante. Le professionnel associé d’une SEL ne répond donc pas à la définition de l’entrepreneur individuel de l’article L 526-22 du code de commerce (voir en ce sens, Conseil d’Etat, 8èmeet 3ème chambres réunies, 26 avril 2024, n° 491673 et 19 juillet 2024, n° 494237 à propos des avocats associés de SEL qui ne peuvent donc pas opter pour leur assujettissement à l’IS) ;

– n’est pas redevable de la TVA au titre des sommes encaissées auprès de la clientèle puisqu’il n’est pas un professionnel indépendant et n’est pas en rapport juridique avec les clients de la société. Les rémunérations visées ne sont dès lors pas soumises à l’obligation de facturation prévue à l’article 289 du CGI ;

– est exclu du champ d’application de la contribution foncière des entreprises (CFE).

L’associé de SEL a en quelque sorte un statut fiscal particulier. Il est imposable à l’IR dans la catégorie des BNC au titre de son activité libérale au sein de la SEL dont il est l’associé mais il se distingue des autres titulaires de BNC parce qu’il n’est assujetti ni à la TVA, ni à la CFE dont la SEL est seule redevable : cette différence de traitement ne permet pas de soutenir une rupture d’égalité devant la loi fiscale ; l’imposition de l’associé de SEL dans la catégorie des BNC n’implique pas son assujettissement à la TVA et à la CFE.

Appréciation des seuils d’imposition au régime micro-BNC

L’administration précise que l’associé de SEL peut bénéficier du régime micro-BNC au titre d’une année N dès lors que ses rémunérations sont imposées dans la catégorie des BNC et respectent les conditions de seuil de recettes prévues par ce régime au titre de l’année N-1 ou N-2 (CGI, art. 102 ter). Pour apprécier ce seuil au titre de l’imposition des revenus 2024, elle indique qu’il convient de retenir la rémunération brute versée par la SEL en y réintégrant, le cas échéant, les dépenses professionnelles incombant à l’associé mais prises en charge par la SEL, au titre de l’année civile 2023 ou de l’année 2022, « qui auraient été déclarées dans la catégorie des BNC si elles avaient été perçues à compter de 2024 ». Pour l’imposition des revenus de l’année 2025, le seuil devra être respecté au titre de l’année 2023 ou de l’année 2024.

Pour contester la position de l’administration, le Conseil national des barreaux soutenait que, pour l’appréciation des seuils d’application du régime micro-BNC, l’application de la réponse ministérielle Cousin s’opposait à la prise en compte de la rémunération se rattachant à l’activité libérale des associés au cours des années 2022 et 2023.

Le Conseil d’Etat confirme la légalité de la doctrine administrative sur l’appréciation du seuil d’application du régime micro-BNC « sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance que, sur la base de la réponse ministérielle Cousin, les contribuables aient pu, au titre des années précédentes, déclarer des recettes dans une catégorie de revenus autre que celle qui résulte de la combinaison des dispositions des articles 62 et 92 du CGI ». Ainsi la réponse ministérielle Cousin ne remettait pas en cause la nature BNC des rémunérations se rattachant à l’activité libérale ; c’est pourquoi les rémunérations brutes versées au cours des années 2022 et 2023 aux associés peuvent être prises en compte pour l’appréciation des limites d’application du régime micro-BNC.

II – Les commentaires administratifs annulés par le Conseil d’Etat

Concernant la définition des tâches se rapportant à l’activité libérale de l’associé

Lorsque l’associé d’une SEL exerce à la fois des fonctions de direction et son activité libérale au sein de la SEL, la question se pose de savoir si ses rémunérations se rattachent à son mandat social ou à son activité libérale.

La différence nette entre fonctions de direction et fonctions techniques se rapportant à l’activité libérale devrait rendre quasiment toujours possible la distinction.

Le Conseil d’Etat relève qu’en énonçant que les rémunérations perçues au titre de la fonction de gérant sont celles allouées à raison des tâches qui ne sont pas réalisées dans le cadre de l’activité libérale et qu’en sont exclues les tâches de nature administrative qui sont inhérentes à la pratique de l’activité libérale, l’administration se borne à rappeler la règle précisée ci-dessus. En revanche, si elle énonce, sans ajouter à la loi, que la rédaction de documents tels que des ordonnances de prescription par un médecin est inhérente à la pratique de l’activité libérale, elle ne saurait toutefois légalement prévoir, de manière générale et en toutes circonstances, que des tâches telles que « la facturation du client ou du patient, l’encaissement, les prises de rendez-vous, les approvisionnements de fournitures, la gestion des équipes » sont inhérentes à la pratique d’une telle activité. Ces mots qui figuraient au paragraphe n° 530 sous la référence BOI-RSA-GER-10-30 ont donc été annulés et ne figurent plus dans la doctrine administrative mise à jour à la date du 16 juillet 2025. Certes, certaines tâches relèvent par nature de l’activité libérale de l’associé, mais d’autres peuvent relever, selon les circonstances, des fonctions de direction ou de l’activité libérale ; il convient, en effet, de tenir compte de l’organisation propre à chaque société.

Règle pratique de répartition de la rémunération d’ensemble des gérants majoritaires de SELARL et des gérants de SELCA

L’administration admet, à titre de règle pratique, qu’une part de 5 % du montant de la rémunération d’ensemble perçue par les gérants majoritaires de SELARL et les gérants de SELCA au titre de leurs activités libérale et de gérance correspond aux revenus afférents à leurs fonctions de gérant, imposables dans les conditions de l’article 62 du CGI. Cette règle pratique s’applique « qu’il soit possible de les distinguer ou non de la rémunération technique » (BOI-RSA-GER-10-30, n° 550, 27 déc. 2023). Ainsi la rémunération de l’activité libérale pouvait représenter 95 % de la rémunération totale.

Mais « ces énonciations, qui ajoutent à la loi, sont entachées d’illégalité » et sont annulées par le Conseil d’Etat. Le paragraphe n° 550 ne figure plus dans la doctrine administrative mise à jour à la date du 16 juillet 2025 et l’associé de SEL ne peut donc plus se prévaloir de cette règle à cette date. Les professionnels ont pu, en pratique, se prévaloir pour l’imposition des revenus de 2024, de la doctrine administrative annulée par cette décision. On rappelle que l’annulation pour excès de pouvoir d’une doctrine administrative par le Conseil d’État ne prive pas le contribuable, eu égard aux exigences découlant du principe de sécurité juridique poursuivi par l’article L 80 A du LPF, du droit de d’invoquer cette doctrine pour les impositions dont le fait générateur, soit le 31 décembre de l’année d’imposition s’agissant de l’IR, est antérieur à cette annulation (Avis Conseil d’Etat 8 mars 2013, n° 353782).

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Droit fiscal
Pierre VINCENT

Pierre VINCENT

Consultant fiscaliste