
Jigar Panchal Pour Unsplash+
Cette question est récurrente chaque fois que la loi fiscale vient modifier tel ou tel texte fiscal. Et c’est particulièrement le cas lorsqu’il est question de l’application de la loi de finances qui, au regard de la loi organique, doit être votée chaque année au plus tard le 31 décembre de l’année d’imposition.
Le principe en la matière est clair : depuis une décision fondamentale de la Cour de cassation du 13 janvier 1818 (Championnière et Rigaud, Traité des droits d’enregistrement. 1839, p. 46) on sait que la loi fiscale applicable est celle en vigueur au moment du fait générateur de l’impôt. Dans cette affaire, les éléments constitutifs d’une donation, intention libérale, dessaisissement immédiat et irrévocable et acceptation du bénéficiaire étaient constatés à une certaine date. Pour autant, ladite donation ne faisait l’objet de la rédaction d’un acte notarié que quelques temps plus tard. Or précisément, entre ces deux dates, le tarif des droits d’enregistrement avait été modifié par le législateur. La cour considère que c’est le tarif en vigueur au moment de la présence des éléments constitutifs de la donation, donc au moment du fait générateur de l’impôt, qui devait recevoir application. Les droits d’enregistrement sont des droits de mutation et non de droits d’actes (P. Fernoux, la donation indirecte : une bombe à retardement : Bull. de fiscalité immobilière F. Lefebvre, Mars 1999, p. 190 s.).
Au plan de la gestion fiscale des revenus, le fait générateur de l’impôt est constitué par le revenu disponible au 31 décembre de l’année d’imposition. Et, quelle que soit la date de perception du revenu, celui-ci n’est fiscalement considéré comme disponible qu’à cette date. Dans ces conditions, les revenus de l’année écoulée sont soumis au régime fiscal tel qu’il est déterminé au 31 décembre de cette même année. La loi de finances promulguée à cette date leur est donc applicable. D’aucuns, journalistes, ont vu dans ce principe la manifestation d’une rétroactivité (J.-D. Errard, post publié sur Linkedin). Quelle erreur, il n’y a là aucune rétroactivité puisque les revenus de l’année sont soumis à la loi en vigueur au 31 décembre de la même année puisqu’ils ne sont disponibles au regard de la loi fiscale qu’à cette date. Les praticiens de la fiscalité parlent souvent de petite rétroactivité, une rétroactivité qui n’en est pas une, mais qui y fait penser. Il ne peut en être autrement que si le texte de la loi fixe la date d’entrée en vigueur de la mesure au 1er janvier de l’année suivante.
En vérité, l’application de ce principe peut causer de sérieux dégâts au point qu’une décision prise en fonction de la fiscalité applicable au moment de la réalisation de l’investissement peut s’avérer au 31 décembre de l’année plus ou moins désastreuse compte tenu de l’évolution en fin d’année de cette même fiscalité. La palme de l’exemple le plus marquant revient sans nul doute à la suppression par la loi de finances pour 1977, promulguée au 31 décembre de l’année 1976, du report de l’intégralité des déficits fonciers sur le revenu global. Ainsi, des investisseurs ont pu investir en 1976 dans de l’immobilier locatif en fondant leur plan de financement sur le gain d’impôt généré par le report du déficit foncier sur leurs autres revenus, déficit lui-même né de l’imputation sur les loyers des frais financiers liés à l’emprunt contracté en vue de l’acquisition du bien locatif. Faute par cette même loi de finances de prévoir l’entrée en vigueur de la mesure au 1er janvier 1977, l’investisseur se trouva au fond ″piégé″ par cette interdiction votée en toute fin d’année 1976, remettant en cause tout son plan de financement. Juridiquement, aucune rétroactivité ne pouvait pour autant être constatée : la loi applicable aux revenus fonciers réalisés en 1976 était bien celle en vigueur au moment de leur fait générateur, soit le 31 décembre 1976. Fort heureusement, cette situation est rarissime.
Alors pourquoi l’aborder ?
Et bien parce que les évolutions récentes de la fiscalité ont présenté des difficultés sur ce plan. A titre de premier exemple, revenons à l’application de l’article 45 de la loi de finances pour 2024 (n° 2023-1322) promulguée le 29 décembre 2023. Pour les bailleurs de locaux meublé non classés, cette loi ramenait le seuil du régime microentreprises à 15 000 € et l’abattement correspondant de 50 % à 30 %. Et comme rien n’était prévu au plan de l’entrée en vigueur, cette disposition concernait à l’évidence les revenus des bailleurs de locaux meublés perçus en 2023 et donc disponibles au 31 décembre 2023. Alors qu’ils croyaient de bonne foi dépendre du régime micro compte tenu de la limite antérieurement applicable, ils se retrouvaient soumis rétroactivement à un régime de bénéfice réel pour dépasser le nouveau seuil de recettes de 15 000 €, avec comme corollaire l’obligation de reconstituer, à posteriori, une comptabilité commerciale pour les revenus de 2023.
Dans un souci de bonne administration, la direction de la législation fiscale publia le 14 février 2024 sur le site internet » bofip.impots.gouv.fr « une actualité commentant la mise à jour du paragraphe 55 des commentaires administratifs publiés le même jour au Bulletin officiel des finances publiques-impôts sous la référence BOI-BIC-CHAMP-40-20. Il était indiqué que : “Toutefois, afin de limiter les conséquences d’une application rétroactive de cette mesure à des opérations déjà réalisées, il est admis que les contribuables puissent continuer à appliquer aux revenus de 2023 les dispositions de l’article 50-0 du CGI, dans leur version antérieure à la loi de finances pour 2024 n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 « . On remarque au demeurant que le mot ″rétroactive″ était bien mal employé. Il n’en restait pas moins que cette doctrine ajoutait purement et simplement à la loi pour devenir illégale. Elle empiétait en effet sur le domaine de la loi défini par l’article 34 de la constitution. Sa légalité fut au demeurant contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir par les associations de défense du secteur hôtelier, recours auquel le Conseil d’Etat fit droit dans sa décision de principe du 8 juillet 2024 (n° 492382).
Si ce recours était heureux pour les hôteliers, il l’était moins pour les bailleurs de locaux meublés non classés. Fort heureusement pour eux, la loi du 19 novembre 2024 (loi n° 2024-1039) est revenue sur cette disposition en reprenant la même réduction du seuil du régime micro à 15 000 € assorti d’un abattement de 30 %, mais en reportant l’application de cette disposition au 1er janvier 2025. Du même coup, pour 2023 et 2024, le sort fiscal des bailleurs de locaux meublés non classés au regard de leur régime d’imposition restait inchangé.
Reste maintenant la question importante de l’application dans le temps des dispositions de la loi de finances pour 2025 non encore votée à l’heure de l’écriture de ces lignes. En effet, l’article 13 nonies du projet de loi de finances pour 2025 ne prévoit aucune date d’entrée en vigueur pour le régime d’imposition de l’article 50 0 du CGI ramenant le seuil à 15 000 € et l’abattement pour charges à 30 %. Dans ces conditions, sur le fondement du principe d’application de la loi fiscale dans le temps, s’il avait été voté et promulgué au 31 décembre 2024, il se serait appliqué sans aucun doute aux revenus des bailleurs de locaux meublés non classés réalisés en 2024. Mais, faute d’avoir été voté à cette date, il ne peut en aucun cas les concerner même s’il est adopté dans la loi de finances pour 2025 au cours de cette éannée. Et s’il le prévoyait, on serait sans nul doute, cette fois, en présence d’une loi véritablement rétroactive qui ne manquerait pas d’être sanctionnée par le Conseil constitutionnel s’il en était saisi et l’on ne doute pas une seule seconde qu’il le serait.
Les bailleurs de locaux meublés non classés en 2024 peuvent donc s’endormir plus légèrement. Pour eux rien ne changera pour 2024. Merci à la Cour de cassation de 1818, comme quoi c’est avec les vieilles….
Moralité : avant de se faire des chaleurs à ne pas dormir la nuit, la première chose à faire en présence d’une nouvelle mesure fiscale, c’est d’aller directement à la mention de la date d’entrée en vigueur…Souvent ça soulage parce que celle-ci est fixée pour le futur…