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LA REPRÉSENTATION NE JOUE PAS EN CAS D’EXHÉRÉDATION

Eclairage du 24 septembre 2019 - N°321

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La représentation est un mécanisme de la dévolution successorale légale.

Fiction juridique jouant dans l’ordre des descendants directs et des collatéraux privilégiés (C. civ. art. 752 et 752-2), elle permet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté (C. Civ, art. 751 ; V. M. Grimaldi, Droit des successions, LexisNexis 7ème éd. 2017, n°150 et s).

Au plan fiscal, elle permet au représentant d’être taxé en fonction du degré de parenté existant entre le défunt et le représenté (BOI-ENR-DMTG-10-50-80, n°380 ; BOI-ENR-DMTG-20-30-20-10, n°40).

L’appréhension globale de ce mécanisme dont le régime juridique n’est pas exempt de critique n’est pas aisée. De nombreuses divergences existent en effet entre le régime civil et fiscal de la représentation, tant en ce qui concerne son domaine d’application que les effets qu’elle produit (V. F. Fruleux, Régime fiscal de la représentation : dépeçage du tarif et nouvelles contradictions de la doctrine administrative, JCP éd. N 2010, 1324 ; Régime fiscal de la représentation, l’administration fiscale change d’avis, JCP éd. N 2011, 1286).

Dans un arrêt rendu le 17 avril 2019 (C. cass 1ère civ., n° 17-11.508) dans le cadre d’un contentieux fiscal, la Cour de cassation précise utilement le domaine d’application de la représentation en refusant aux termes d’une décision qui suscite l’approbation qu’elle puisse jouer en cas d’exhérédation.

Les Faits :

Dans cette affaire, la défunte avait initialement une sœur et trois frères. Deux de ceux-ci étaient prédécédés sans descendance. Le troisième, Marcel, était aussi prédécédé en laissant cinq enfants. La sœur avait survécu, mais avait été exhérédée. Elle était mère d’un enfant unique (Jean Jacques R.) gratifié la défunte.

La déclaration de succession souscrite suite à ce décès contenait une « double liquidation » des droits de succession concernant respectivement les dispositions testamentaires et la succession ab intestat.

Le notaire chargé du règlement de la succession avait considéré que les héritiers légaux de la défunte étaient M. Jean Jacques R., venant en représentation de sa mère, sœur exhérédée de la défunte et les cinq enfants de Marcel venant en représentation de leur père.

Selon lui, la succession légale revenait pour moitié à Jean-Jacques R. et pour un dixième chacun aux cinq enfants de Marcel.

Les services fiscaux contestèrent à la fois la dévolution successorale et la liquidation de la succession. Ils considérèrent que le mécanisme de la représentation ne pouvait pas jouer, estimèrent que les six neveux et nièces de la défunte devaient hériter à hauteur d’un sixième chacun ; et qu’en conséquence l’abattement fiscal passait à 7 967 € par part contre 15 932 € pour chacune des deux souches ; le taux d’imposition passant de 35% à 55% .

Dans le cadre du contentieux formé suite au rejet par Directeur départemental des finances publiques de la réclamation formulée par les successeurs, la Cour d’appel de Versailles rendit un arrêt confirmatif annulant la décision de rejet et accordant aux héritiers la décharge des impositions supplémentaires perçues en vertu de avis de mise en recouvrement émis par l’administration fiscale (Cour d’appel de Versailles 1re chambre, 1re section, 1er Décembre 2016, RG 14/08390).

Analyse retenue par la Cour d’appel :

Après avoir rappelé que l’article 751 du Code civil dispose que la représentation est une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté ; que, selon l’article 752-2, en ligne collatérale, la représentation est admise en faveur des enfants et descendants de frère ou sœur du défunt, soit qu’ils viennent à sa succession concurremment avec des oncles et tantes, soit que tous les frères et soeurs du défunt étant prédécédés, la succession se trouve dévolue à leurs descendants en degré égaux ou inégaux, la Cour releva que le premier juge avait exactement considéré que, constituant une dérogation aux dispositions de l’article 744 du même code, la représentation suppose une pluralité de souches et ne peut jouer en présence d’une seule souche active.

Une analogie devait être réalisée selon elle. Après avoir énoncé que l’indignité successorale s’assimile à une « exhérédation légale » (sic), la Cour d’appel en tire comme conséquence qu’une exhérédation par testament ne peut produire, pour les enfants de l’exhérédée, des conséquences juridiques et fiscales plus sévères que pour les enfants de l’indigne en les privant du mécanisme de la représentation ; que c’est donc selon elle à bon droit que le tribunal a considéré qu’une telle solution serait contraire à l’équité et donc aux vœux du législateur

La solution à donner au litige devait également être recherchée dans la volonté de la testatrice. Si celle-ci avait exhérédé sa sœur, il n’était pas contesté qu’elle avait au contraire gratifié le fils de celle-ci, Jean-Jacques R., par son testament olographe. Cette circonstance démontrait que la de cujus n’avait pas entendu faire subir à son neveu les conséquences de l’exhérédation de sa sœur. Il était donc dès lors, selon la Cour d’appel, conforme non seulement à l’esprit de la loi mais aussi à la volonté de la de cujus que Jean-Jacques R. vînt à sa succession par représentation, quand bien même les articles 777 et 779 du code général des impôts n’admettent pas la représentation en cas d’exhérédation ;

Il s’ensuivait, selon les juges du second degré, que l’exhérédation de la sœur de la défunte ne pouvait avoir pour conséquence successorale d’éteindre une souche ; que les conditions de la représentation en ligne collatérale prévues à l’article 752-2 du Code civil étaient donc remplies.

Critique et censure par la Cour de cassation :

Malgré certains commentaires qui semblaient approuver cette décision (V. D. Faucher, Une exhérédation par testament n’empêche pas la représentation, La revue fiscale du patrimoine n° 1, Janvier 2017, 19), nous doutions fortement du bien fondé de l’analyse retenue par la Cour d’appel. Elle nous semblait erronée, ce qui nous avait conduit à mettre en garde les praticiens et à les dissuader en ces termes de mettre en œuvre la solution dégagée par cet arrêt dans le cadre des successions qu’ils avaient à régler : « On peut douter de la rectitude juridique de la solution dégagée par cet arrêt (…). Selon nous, l’analyse retenue par la cour d’appel est erronée et le praticien nous semble devoir se garder de faire jouer la représentation en pareilles circonstances. » (V. F. Fruleux, JC. Enr. Traité, V° Successions, fasc. 105, n°74).

Plusieurs raisons conduisent à réfuter que la représentation stricto sensu puisse s’appliquer en pareille occurrence.

La représentation constitue un mécanisme de la dévolution légale reposant sur une fiction juridique qui ne peut pas être étendue au-delà des cas prévus par la loi. Or cette dernière ne prévoit pas la représentation d’un héritier exhérédé.

Plus radicalement et de manière décisive, cette « omission » ne nous semble en aucun cas procéder d’un « oubli » du législateur. Elle s’explique par l’incompatibilité fondamentale existant entre cette technique successorale et le contexte dans lequel la Cour d’appel entendait l’appliquer. La représentation consiste en effet en l’exercice par le représentant des droits du représenté dans la succession (V. M. Grimaldi, préc., n°150). On ne conçoit pas, dès lors, qu’un tel mécanisme puisse jouer lorsque, précisément, le testateur a privé l’intéressé de tout droit dans sa succession.

La volonté de la testatrice à laquelle la Cour d’appel faisait référence pour fonder sa décision était indifférente. Si la testatrice entendait transposer le mécanisme de la représentation, c’était aux termes d’une clause testamentaire et non par l’effet de la représentation au sens juridique du terme que le descendant du successeur exhérédé recueillaient la part eut été dévolue à son auteur si la dévolution légale avait trouvé à s’appliquer.

La Haute juridiction confirme cette analyse, et aux termes d’une motivation lapidaire casse sèchement l’arrêt rendu par la Cour d’appel au motif « qu’en statuant ainsi, alors que la loi ne prévoit pas la représentation de l’héritier exhérédé par testament, la cour d’appel a violé les articles 777 et 779 du code général des impôts, ensemble les articles 751, 752-2, 754 et 755 du code civil ; ».

Points essentiels :

Rendue en matière fiscale, la solution est selon nous, compte tenu de son fondement et au regard des textes visés assurément transposable au règlement civil de la succession.

Droit fiscal
François FRULEUX

François FRULEUX

Docteur en droit

Diplômé Supérieur du Notariat

Maître de conférences associé à l’Université Paris-Dauphine

Membre du Centre de Recherche Droit Dauphine (CR2D)

Directeur du Jurisclasseur Fiscal Enregistrement Traité

Membre du comité scientifique de la revue Actes pratiques et stratégie patrimoniale, du Jurisclasseur Ingénierie du patrimoine et du Lexis Pratique Fiscal

Consultant auprès du CRIDON Nord-Est

Enseignant à l’AUREP