Exonération Dutreil, holdings animatrices et activités mixtes : L’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2020( 1) en neuf questions/réponses

Eclairage du 14 janvier 2021 - N°369

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Un important arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 octobre dernier clarifie le champ d’application de l’exonération « Dutreil » (CGI, art. 787 B).

Question n°1 : L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 octobre dernier est-il important ?

Réponse : Oui

Il s’agit de notre point de vue d’un arrêt fondateur. La Cour de cassation saisit l’occasion qui lui est donnée pour trancher dans cette décision les questions fondamentales de l’éligibilité de principe à l’exonération Dutreil des sociétés exerçant une activité mixte ou d’animation d’un groupe de sociétés qu’elle sécurise de notre point de vue de manière satisfaisante.

Question n°2 : La cassation prononcée dans cet arrêt est-elle surprenante ?

Réponse : Non

Cette décision est la suite d’un arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris qui avait été remarqué par la Doctrine. Nous avions eu l’occasion de le commenter en détaillant les raisons qui devaient, selon nous, inéluctablement le vouer à la censure[1].

Plus que dans la cassation prononcée en elle-même, l’intérêt de la décision de la Haute juridiction réside dans la généralité des principes qu’elle énonce qui se situent bien au-delà de ce qui était nécessaire à la Haute Juridiction pour trancher la question qui lui était soumise.

Question n°3 : L’espèce ayant donné lieu était-elle particulièrement originale ?

Réponse : Non, le praticien est souvent confronté à ce type de situations.

Les faits ayant donné lieu à cette jurisprudence étaient à vrai dire d’une grande banalité : l’associé d’une société holding animatrice de son groupe dénommée « la société financière de Rosario » avait donné à ses fils et petit-fils la nue-propriété d’actions de cette société, couvertes par un engagement collectif de conservation en appliquant l’exonération « Dutreil ».

L’administration fiscale dénia aux donataires le bénéfice de ce régime de faveur. Elle ne contestait pas le rôle d’animation joué par la holding, mais considérait que cette dernière exerçait à titre prépondérant une activité civile de gestion de valeurs mobilières, ce qui résultait notamment des actifs qu’elle détenait.

Le TGI de Paris invalida cette rectification, considérant que les exigences de prépondérance de l’activité exercée résultant de la doctrine administrative n’avaient pas vocation à s’appliquer à cette société holding animatrice.

La Cour d’appel de Paris confirma le jugement et la décharge du complément de droits réclamés par l’administration fiscale, mais en retenant une analyse différente. Énonçant que l’exigence de la non-prépondérance civile s’applique également aux sociétés holdings animatrices, elle écarta partiellement les critères d’appréciation contenus dans la doctrine administrative pour in fine et aux termes d’une motivation confuse considérer que cette exigence était en l’espèce respectée, l’actif brut immobilisé de la société représentant 61,24 % de son l’actif brut total lors de la clôture de l’exercice comptable en cours lors de la transmission.

L’administration fiscale se pourvut en cassation. Elle reprochait à l’arrêt de s’être fondé sur la valeur comptable des actifs détenus, alors que selon elle, seule la valeur réelle des actifs détenus permettrait d’apprécier la prépondérance de l’activité exercée par la holding.

La Cour de cassation devait donc déterminer si, en l’espèce, la société holding animatrice dont les titres avaient été donnés était éligible au régime de faveur, ce qui nécessitait de préciser les modalités d’appréciation des activités diverses qu’elle exerçait.

Question n°4 : La Cour de cassation tranche-t-elle la question de l’éligibilité à l’exonération Dutreil des sociétés ayant une activité mixte ?

Réponse : Oui

Elle consacre l’éligibilité au régime de faveur des sociétés ayant une activité mixte, pourvu que leur activité opérationnelle soit prépondérante.

Il est à noter que, selon la Cour de cassation, cette éligibilité est directe. Aucune mesure de tempérament résultant de la doctrine administrative n’est requise pour que ces sociétés puissent bénéficier de l’exonération partielle lors de la transmission de leurs titres.

Ce point est important et sécurisant. Le contribuable est ainsi prémuni d’une possible remise en cause volontaire ou formelle par l’administration de la « tolérance » qu’elle énonce à cet égard dans sa doctrine. Il est également libéré des exigences parfois arbitraires et inadéquates auxquelles l’administration prétendrait conditionner le bénéfice de ces mesures de tempérament en qui avait valu à cette doctrine administrative d’être partiellement annulée. Il lui appartient seulement de justifier de la prépondérance de l’activité opérationnelle exercée pour que la transmission qui respecte par ailleurs les conditions requises rentre dans le périmètre de l’exonération et bénéficie de plein droit du régime de faveur.

Question n°5 : Cette analyse correspond-elle à celle retenue par le Conseil d’État ?

Réponse : Oui

La Cour de cassation s’aligne sur la jurisprudence du Conseil d’État. Ce dernier avait lui-même énoncé quelques mois plus tôt à propos de l’article 787 B du Code général des impôts qu’ « il résulte de ces dispositions que sont susceptibles de bénéficier (…) dans les conditions et limites qu’elle prévoit, de la mesure d’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit ainsi instituée (…), les parts ou actions d’une société qui, ayant également une activité civile autre qu’agricole ou libérale, exerce principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale »[2].

Question n°6 : Comment la prépondérance s’apprécie-t-elle ?

Réponse : Au moyen d’un faisceau d’indices

L’alignement de la jurisprudence des Cours suprêmes des deux ordres se manifeste également à ce niveau. Selon la Cour de cassation, la prépondérance de l’activité opérationnelle éligible s’apprécie « en considération d’un faisceau d’indices déterminés d’après la nature de l’activité et les conditions de son exercice ».

La Haute juridiction judiciaire reprend ici mot pour mot le principe énoncé par le Conseil d’État dans son arrêt précité du 23 janvier 2020.

C’est donc à une appréciation in concreto de la pondération des différentes activités qu’il conviendra de se livrer en intégrant les spécificités inhérentes tant à la nature de l’activité exercée qu’à ses modalités d’exercice.

Question, n°7 : La Cour de cassation tranche-t-elle également la question de l’éligibilité des sociétés holdings animatrices au régime de faveur ?

Réponse : Oui

Elle énonce qu’une société holding ayant pour activité principale l’animation de son groupe de sociétés ayant une activité opérationnelle doit être assimilée à une société exerçant une activité mixte éligible au régime de faveur.

On notera que le fondement retenu pour conclure à l’éligibilité des holdings animatrices au régime de faveur n’est pas exactement identique à celui choisi pour admettre l’application du régime de faveur aux sociétés ayant une activité mixte. Sans être situées d’emblée dans le périmètre du régime de faveur, les holdings animatrices doivent être assimilées à des sociétés exerçant directement une activité opérationnelle. Une assimilation est ici nécessaire. Pour autant, l’application du régime de faveur à ces sociétés dérive directement de la loi. Elle ne passe pas par le biais d’une mesure de tempérament résultant de la doctrine administrative. Pour les raisons déjà exposées, ce point est crucial en termes de sécurité juridique et de pérennité de l’assimilation.

Question n°8 : la définition de la holding animatrice donnée par la Cour de cassation est-elle novatrice ?

Réponse : Non

Elle est très classique : sont animatrices les holdings qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations ont pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales et qui le cas échéant et à titre purement interne fournissent à ses filiales des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.

Cette définition reprend celle fournie par la doctrine administrative dans le cadre du régime de faveur (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 50), ainsi que par de nombreuses dispositions législatives (CGI, art. 966, 885 0V bis, 199 terdecies 0-A).

C’est également celle qui avait été retenue par le Conseil d’État dans un arrêt du 13 juin 2018[3]. On perçoit ici encore la volonté de la Cour de cassation d’éviter toute divergence avec la jurisprudence du Conseil d’État.

Deux critères sont donc retenus pour caractériser l’animation du groupe : celui essentiel et indispensable de la participation active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales et celui, secondaire, de la fourniture de services au sein du groupe.

Question n°9 : La Cour de cassation résout-elle également la question de l’éligibilité des holdings animatrices ayant des activités mixtes ?

Réponse : Oui

L’application de cette exigence était en outre discutée en doctrine[4]. De ce point de vue l’arrêt valide l’analyse de l’administration fiscale qui admettait l’éligibilité des holdings animatrices, sous réserves qu’elles remplissent par ailleurs les autres conditions requises, ce qui inclut notamment l’exercice d’une activité opérationnelle à titre prépondérant (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, 19 mai 2014, n° 50).

Les actifs détenus par la holding animatrice qui constituent un élément important dans l’appréciation de la prépondérance doivent être valorisés en fonction de leur valeur vénale réelle à la date de la transmission.

Cette indication est plus difficile à apprécier. L’une des interprétations possibles consiste à considérer que, sans être nécessairement le seul critère à prendre en considération, la détention par la société holding dont le rôle d’animation est avéré de titres de filiales animées représentant plus de la moitié de son actif total, serait en soi qualifiante et permettrait par principe de démontrer que l’animation du groupe constitue l’activité principale de la holding.

La Cour de cassation créerait ici une présomption judiciaire permettant de présumer le caractère principal de l’activité d’animation lorsque la holding animatrice détient un actif majoritairement composé des participations des filiales qu’elle anime.

Une telle lecture, si elle se confirmait au regard de la jurisprudence ultérieure de la Haute Juridiction devrait être approuvée : l’instauration d’une telle présomption serait pertinente.

Parce qu’elle est raisonnable. Sauf cas très particuliers, on conçoit difficilement dans un tel contexte que l’activité principale exercée par la holding soit autre.

Parce qu’elle fournit une réponse adaptée aux réelles difficultés que suscite l’appréciation du caractère prépondérant des activités exercées en vertu de la technique du « faisceau d’indices » retenue par la Cour de cassation, en fixant un point d’encrage clair et objectif auquel les praticiens pourraient utilement se référer.

[1] F. Fruleux, « Application des critères de prépondérance des actifs détenus aux sociétés holdings animatrices », JCP éd. N 2018, n° 17, 1176

[2] CE, 8ème et 3ème Ch., 23 janv. 2020, n° 435562, Juris-Data n° 2020-000738 ; B. LIGNEREUX, « Exonération Dutreil et activités mixtes », Dr. fisc. 2020, n° 8, comm. 155 ; J.-Fr. DESBUQUOIS, « Application du dispositif Dutreil aux sociétés exerçant une activité mixte : importante mise au point du Conseil d’Etat », RFP 2020, n° 3, p. 1 ; P. CARCELERO et G. DUMONT, « Régime Dutreil : le Conseil d’Etat annule les critères de prépondérance de l’activité éligible », Francis LEFEBVRE FR 18/20, 9 avril 2020, 16 ; J.-L. Pierre, « Pacte Dutreil – Appréciation du caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale d’une société », Dr. sociétés, 2020, n° 4, p.46 ; F. Fruleux, « Exonération Dutreil et activités mixtes », RDF 2020, n° 27, 291.

[3] CE, plén., 13 juin 2018, n° 395495 : JurisData n° 2018-010085.

[4] V. notamment J.-Fr. DESBUQUOIS, Les pactes Dutreil, EFE 2017, n° 17.

Points essentiels :

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Droit fiscal
François FRULEUX

François FRULEUX

Docteur en droit

Diplômé Supérieur du Notariat

Maître de conférences associé à l’Université Paris-Dauphine

Membre du Centre de Recherche Droit Dauphine (CR2D)

Directeur du Jurisclasseur Fiscal Enregistrement Traité

Membre du comité scientifique de la revue Actes pratiques et stratégie patrimoniale, du Jurisclasseur Ingénierie du patrimoine et du Lexis Pratique Fiscal

Consultant auprès du CRIDON Nord-Est

Enseignant à l’AUREP