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Suppression de la formalité de l’enregistrement et de certains droits fixes : une intervention législative confuse.

Eclairage du 13 février 2020 - N°337

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Dans un souci de modernisation et pour alléger les obligations fiscales des contribuables, l’article 21 de la loi de finances pour 2020 a supprimé la formalité de l’enregistrement qui s’imposait à l’égard de nombreux actes ou opérations et a abrogé les droits fixes qui les frappaient.

Si l’intention est louable, le résultat est confus et laisse perplexe tant l’intervention législative est maladroite ; particulièrement lorsque les opérations concernées sont constatées par acte notarié, ce qui est pourtant le cas le plus courant…

Question 1 : L’article 21 de la loi de finances pour 2020 est-il homogène ?

Réponse : Non, il contient deux catégories de mesures qui ciblent plus particulièrement les actes réalisés à l’occasion des règlements successoraux

D’une part, il supprime la formalité obligatoire de l’enregistrement et les droits fixes afférents à de nombreux actes et opérations.

Ainsi, la formalité obligatoire de l’enregistrement a été supprimée à l’égard des :

— Actes portant acceptation ou répudiation de successions, legs ou communautés (CGI, art. 635, 2, 2°, abrogé) ;

— Certificats de propriétés (CGI, art. 635, 2, 3° abrogé) ;

— Inventaires de meubles, titres et papiers et prisées de meubles (CGI, art. 635, 2, 4° abrogé) ;

— Procès-verbaux d’adjudications de biens meubles corporels (CGI, art. 635, 2, 6° abrogé).

D’autre part, il abroge le droit fixe de 125 € qui s’appliquait spécifiquement aux actes suivants :

— Renonciations pures et simples à successions, legs ou communautés (CGI, art. 847, 2° abrogé) ;

— Certificats de propriété, autres que ceux établis par les secrétariats des juridictions judiciaires (CGI, art. 848, 1° abrogé) ;

— Inventaires de meubles, objets mobiliers, titres et papiers (CGI, art. 848, 2° abrogé) ;

— Clôtures d’inventaires (CGI, art. 848, 3° abrogé) ;

— Prisées de meubles (CGI, art. 848, 4° abrogé) ;

— Acceptations pures et simples de successions, legs ou communautés (CGI, art. 848, 6° abrogé).

Question n°2 : Ces dispositions sont-elles immédiatement applicables ?

Réponse : Oui. Elles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020.

Question n°3 : Donc ces suppressions et abrogations signifient que dorénavant et depuis le 1er janvier 2020, les actes qui constatent ces opérations ne sont plus enregistrés et ne donnent plus lieu au droit fixe de 125 € qui s’appliquait auparavant ?

Réponse : Paradoxalement, non. Et c’est en cela que l’intervention législative est très maladroite et confuse.

Ces suppressions concernent seulement les dispositions régissant spécifiquement ces opérations prises en tant que telle, mais le législateur n’a pas modifié les règles de droit commun et spécialement celles régissant les actes notariés qui continuent à imposer l’enregistrement et aboutissent sauf en présence d’une exonération qui n’a pas été prévue à percevoir un droit fixe de 125 €.

Deux textes auxquels les travaux parlementaires font pourtant expressément référence n’ont pas été modifiés :

– L’article 635 1 1° du CGI qui énonce que sauf disposition contraire (non prévue pour les opérations visées par l’article 21 de la loi de finances), les actes des notaires doivent être enregistrés dans un délai d’un mois à compter de leur date, en raison de la qualité de leur auteur ; et ce quel que soit leur contenu ;

– L’article 680 du CGI qui précise que sauf s’ils sont exonérés (et la loi de finances pour 2020 n’a prévu aucune exonération pour les actes listés ci-dessus), les actes qui ne sont tarifés par aucune disposition du CGI et qui ne donnent lieu à une imposition proportionnelle ou progressive sont soumis à un droit fixe de 125 € (CGI, art. 680 al. 1er).

Ces principes n’ont pas retouché par la loi de finances, ce qui conduira le plus souvent à neutraliser purement et simplement les suppressions et abrogations résultant de l’article 21 lorsque l’opération est constatée par acte notarié.

Plus précisément, la modification qui s’opère à compter du 1er janvier 2020 n’est le plus souvent que purement théorique et intellectuelle. Elle affecte le fondement juridique de l’enregistrement et de la perception de l’impôt, sans produire aucun effet pratique, du moins pour les actes notariés.

Prenons un exemple concret : celui d’un inventaire de meubles établi par acte notarié.

Avant le 1ᵉʳ janvier 2020, l’article 635 2. 4° imposait l’enregistrement de cet acte et l’article 848 2° du CGI énonçait qu’il était soumis à un droit d’enregistrement de 125 €.

Ces deux dispositions ont été abrogées par la loi de finances pour 2020 pour les actes reçus à compter du 1ᵉʳ janvier 2020 (L. fin. pour 2020, art. 21, XI, D).

Pour autant, un acte notarié d’inventaire de meubles établi à compter du 1ᵉʳ janvier 2020 doit toujours être enregistré, en raison de la qualité de son auteur (CGI, art. 635 1 1°).

L’enregistrement se fera sur états, c’est-à-dire sans présentation effective de l’acte à la formalité (CGI, ann. 3, art. 245 et ann. 4, art. 60). Autrement dit, c’est l’officier public lui-même qui portera sur l’acte les mentions d’enregistrement (CGI, ann. 3, art. 263).

Cet acte n’est plus spécifiquement tarifé, mais il n’est pas non plus exonéré. Un droit fixe de 125 € sera dû au titre des actes « innommés » (CGI, art. 680).

L’enregistrement subsiste, le droit perçu est identique, mais le fondement de l’un et de l’autre ont changé.

Bref, le changement dans la continuité…

Question 3 : Est-ce à dire dans ces conditions que cette réforme est dépourvue de tout impact ?

Réponse : Non

Reprenons notre exemple de l’inventaire de meubles. Mais considérons cette fois qu’il est établi par acte sous seing privé.

Une évolution est cette fois perceptible.

L’enregistrement de l’acte ne s’impose plus, l’article 848 2° du CGI ayant été abrogé. Le droit fixe de 125 € prévu par l’article 848 2° du CGI qui a été abrogé n’est pas davantage du.

Cette fois, aucune formalité d’enregistrement n’est imposée et aucun droit d’enregistrement n’est du.

Précisément, un droit fixe de 125 € serait exigible seulement si l’acte était présenté volontairement à l’enregistrement (CGI, art 679 3°et 680).

Dans ce cas, la formalité s’effectuerait sur présentation matérielle de l’acte.

Question 4 : Cette situation est en effet curieuse. Est-ce une intention délibérée du législateur ?

Réponse : On peut en douter

La situation est à vrai dire paradoxale. Ces résultats qui frisent l’absurde semblent davantage procéder d’une maladresse rédactionnelle. Le législateur semble avoir omis de modifier les dispositions générales ainsi que celles propres aux actes notariés qui sont pourtant expressément visés par les travaux parlementaires.

L’erreur semble d’autant plus grossière qu’aux termes du même article, le législateur a créé une exonération de droit fixe lorsqu’il souhaitait supprimer tout droit afférent à certains actes notariés.

C’est le cas de la nouvelle rédaction de l’article 847 du CGI qui prévoit que les contrats de mariages, lorsqu’ils ne donnent pas lieu à la perception d’une imposition proportionnelle ou progressive, sont enregistrés gratuitement, alors qu’ils étaient auparavant passibles d’un droit fixe de 125 €.

Certaines indications des travaux parlementaires montrent pourtant que l’intention du législateur semblait bien être de supprimer purement et simplement pour ces actes tout à la fois l’obligation de les enregistrer et d’écarter toute perception de droit fixe, y compris pour les actes notariés (V. en ce sens, Doc. AN, n°2301, t. 2, p. 336 : « Le b) du 4°, le 5° et le 8° du I suppriment le caractère obligatoire de la formalité d’enregistrement d’un certain nombre d’actes réalisés par des officiers ministériels. Ils modifient en conséquence les articles 635, 636 et 662 du CGI. (…)

Les 10° et 11° du I suppriment le droit fixe applicable à ces actes » .

En outre, le cout budgétaire de cette suppression a été intégré et chiffré à « environ un million » d’euros, montant qui semble important s’il s’agissait seulement de ne plus taxer les actes autres que notariés. À cet égard, l’analyste restera sur sa faim, les travaux parlementaires ne fournissant aucune indication sur le mode d’évaluation de ce montant ni sur sa répartition.

Une nouvelle intervention législative ou a minima des précisions administratives nous semble nécessaire pour mettre un peu d’ordre dans cet ensemble confus…

Droit fiscal
François FRULEUX

François FRULEUX

Docteur en droit

Diplômé Supérieur du Notariat

Maître de conférences associé à l’Université Paris-Dauphine

Membre du Centre de Recherche Droit Dauphine (CR2D)

Directeur du Jurisclasseur Fiscal Enregistrement Traité

Membre du comité scientifique de la revue Actes pratiques et stratégie patrimoniale, du Jurisclasseur Ingénierie du patrimoine et du Lexis Pratique Fiscal

Consultant auprès du CRIDON Nord-Est

Enseignant à l’AUREP