PEA Inscription prix de convenance

Eclairage du 05 novembre 2020 - N°363

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Inscrivons les titres sur un PEA pour un prix de convenance, bonne idée… Enfin, pas sûr…

Parmi les personnes intéressées par le PEA se trouvent un certain nombre de chefs d’entreprise désireux de céder plus tard les titres de leur société opérationnelle. Pour éviter l’imposition de la plus-value future, ils portent alors les titres en question sur un PEA. Pourquoi pas. Attention tout de même, ce n’est pas forcément si simple.

L’idée de porter les titres d’une société opérationnelle sur un PEA n’est pas en cause en elle-même. La plus-value future peut dans le principe sans aucun doute bénéficier de l’exonération propre au régime fiscal du PEA. Mais, ceci suppose bien entendu que toutes les règles posées par le législateur encadrant le PEA soient observées et notamment celle relative au plafonnement.

Or, précisément, dans un certain nombre de cas, la valeur réelle des titres destinés à être inscrits sur le compte est supérieure au plafond de versement, fixé actuellement à 150 000 € pour un célibataire et 300 000 € pour un couple marié. Dans cette circonstance, toute inscription de la totalité des titres est alors exclue. Que faire ? Notre chef d’entreprise rencontre alors un surdoué de la fiscalité qui lui conseille de sous-évaluer la valeur des titres en cause de sorte qu’elle reste inférieure au fameux plafond. La belle affaire !

L’ennui, c’est que l’administration veille au grain et peut s’intéresser à cette situation lors d’une opération de contrôle fiscal. Et c’est ce qu’elle ne manque pas de faire, comme le montre une fois de plus un avis du Comité de l’abus de droit fiscal (Séance du 19 septembre 2019, aff. N° 2019-15). Sur quel fondement juridique se place-t-elle alors pour contester ce genre de pratique ? Pardi, vous avez gagné : l’abus de droit, procédure qui lui aussi chère que son coût l’est pour l’audacieux du fait de l’application de la pénalité de 80 %.

L’affaire soumise au comité présentait les caractéristiques suivantes. Le dirigeant d’une société détenait, en 2013, 65 000 titres d’une société acquis au prix unitaire de 1€. En mars 2013, il inscrivait ces titres sur son PEA ouvert en 2009 pour 65 000 € situant de la sorte en deçà du plafond de 132 000 € applicable à l’époque des faits.

En fin de la même année 2013, il cédait ces mêmes titres pour la coquette somme de 4 038 000 €, soit une valeur unitaire de l’action de 62,1 €. La plus-value bénéficiait de l’exonération conformément aux règles régissant le PEA. L’opération ne passa pas inaperçue compte tenu de la discordance entre les deux valeurs, celle retenue lors de l’inscription des titres sur le PEA, 1€, et celle constatée lors de la cession, 62,1€.

Emue et encore sous le choc, l’administration diligenta un contrôle fiscal.

Aux termes de ses investigations, elle considéra que les titres de la SAS D, inscrits le 21 mars 2013 pour une valeur unitaire de 1 €, l’avaient été à une valeur de convenance. Pour elle, la fixation d’un tel prix minoré n’avait eu pour seul objectif que de contourner les règles de plafonnement des versements sur un PEA fixé par la loi à l’époque des faits à 132 000 euros et d’appréhender la plus-value de cession des titres en franchise d’impôt.

Comme il ne lui suffisait pas évidemment de le dire, encore fallait-il que l’administration apporte des éléments de preuve de la réalité de la discordance entre la valeur retenue lors de l’inscription des titres et une valeur réelle qui ne pouvait être ignorée du contribuable. Pour déterminer celle-ci, elle combina alors deux méthodes fondées sur la valeur de productivité et sur la valeur mathématique.

Elle aboutit de la sorte à un prix unitaire de 19 €.

Saisi de l’affaire, le comité posa le principe selon lequel la règle instituant le plafonnement « est délibérément contournée si, à la date d’acquisition des titres, le contribuable avait connaissance de leur valeur vénale réelle et a, dans le seul but de bénéficier de l’avantage fiscal attaché aux opérations de cession de titres réalisées à travers un PEA, procédé à leur inscription à une valeur délibérément minorée« .

Maintenant, encore faut-il établir que le contribuable avait connaissance de la discordance des valeurs à la date d’inscription des titres sur le PEA. Le comité rechercha dans le dossier si des éléments étaient de nature à répondre positivement à cette question. Et il fit observer à cet égard que les « actions (avaient) été cédées en décembre 2013 pour une valeur unitaire de 62,1 euros sans que soient avancés d’arguments économiques permettant de justifier un tel écart dans la valeur unitaire du titre de la SAS D. ». Mais surtout, il retint que, au regard de ses fonctions dirigeantes dans la SAS D et de la situation financière de la société au 31 décembre 2012, le contribuable ne pouvait ignorer que la valeur unitaire de ses titres était notablement supérieure à 1 €.

Il valida par conséquent l’abus de droit auquel prétendait l’administration. Pour lui, l’inscription sur le PEA avait bien été réalisée à un prix de convenance.

En conclusion,

On remarquera que le comité ne se préoccupa pas seulement de rechercher si le contribuable avait poursuivi un but exclusivement fiscal. La différence manifeste et établie des valeurs mises en évidence témoignait à l’évidence la présence de cet élément subjectif de l’abus de droit. Restait tout de même la question plus délicate de savoir si le fait même de sous-évaluer la valeur des titres témoignait de l’existence de l’élément objectif de l’abus de droit, à savoir l’application littérale des textes régissant le PEA à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur. Rappelons en effet, s’il en était encore besoin, que la régularité de la mise en œuvre de l’abus de droit implique obligatoirement la démonstration par l’administration de la présence des deux éléments objectifs et subjectifs. Le seul élément subjectif constitué par la recherche d’un but exclusivement ou principalement fiscal ne suffit pas à fonder un abus de droit.

A cet égard, le comité considère qu’une telle sous-évaluation témoigne, en elle-même, d’une volonté délibérée du contribuable de contourner la règle posée par le législateur lorsqu’il a institué le plafonnement. La présence du second élément objectif de l’abus de droit se trouve par conséquent vérifiée et celui-ci peut parfaitement prospérer.

Maintenant, les esprits chagrins pourraient se demander si l’apparition du mini-abus de droit de l’article L. 64 A du LPF changerait les perspectives. En vérité, il n’y a pas de sujet. En effet, si les titres inscrits sur le PEA sont manifestement sous-évalués, l’administration n’a aucun intérêt à situer son action dans ce cadre juridique. Il lui suffit de recourir à l’abus de droit classique dont la mise en œuvre est validée au moins par le Comité de l’abus de droit fiscal. Et l’on gage qu’elle ne s’en privera pas. Cette procédure lui permet d’appliquer automatiquement à l’impôt éludé la pénalité de 80 %.

Pourquoi tenter de démontrer le principal quand l’exclusif est établi et qu’il autorise l’application d’une pénalité « canon » bien utile au Trésor Public en ces temps de disette ? On vous le demande…

Tout conseil en gestion de patrimoine devrait méditer ce que disait le Professeur Cozian : l’abus de droit est le péché des surdoués de la fiscalité.

Notons d’ailleurs que, dans l’affaire que l’on vient d’examiner, le conseil relevait plutôt de la catégorie des sous douées…. Il faut de tout…

Attention cependant, le sous doué n’est pas au bout de ses surprises dans ce genre d’affaire. En effet, le client peut être tenté de porter plainte contre lui pour défaut de conseil. Et que croyez-vous qu’il advient alors ? Si le juge fait droit à cette requête, la pénalité est mise à la charge du conseil. Ce dernier se dit alors : « peu importe, je suis bien assuré ».

Quelle erreur ! Aucune assurance professionnelle ne couvre en effet le coupable d’une fraude à la loi. En d’autres temps, dans un autre pays, ce hors la loi aurait été livré aux chasseurs de primes….

Economie
Pierre FERNOUX

Pierre FERNOUX