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Exonération « Dutreil » et interposition de sociétés : pratique et conseils en sept questions / réponses

Eclairage du 28 novembre 2019 - N°468

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S’il est très utile et ouvre largement le périmètre du régime de faveur « Dutreil », le régime d’interposition de sociétés constitue assurément l’application la plus complexe de ce dispositif intrinsèquement nébuleux.

Les conseils d’un spécialiste de ce régime sont précieux pour cerner les points de vigilance et proposer les solutions permettant de résoudre les difficultés rencontrées.    

Question 1 : Le régime dit des « sociétés interposées » doit-il être appréhendé comme un dispositif subsidiaire ?

  • Réponse : oui

L’exonération partielle « Dutreil » qui offre une exonération de 75 % de droits de mutation à titre gratuit (CGI art. 787 B) ne bénéficie en principe qu’aux seules les sociétés exerçant à titre principal une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. 

Ce n’est pas le cas des sociétés holdings dont l’activité consiste en la gestion d’un portefeuille mobilier. Ces sociétés exercent une activité financière qui n’est pas normalement éligible au régime de faveur. L’administration fiscale rappelle ce principe dans sa doctrine (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 50).

Elle admet cependant par dérogation que les sociétés holdings bénéficient du régime de faveur dans deux cas :

  • – le premier concerne les sociétés holdings qui ont la qualité d’animatrices de leur groupe de sociétés. Sous réserve que toutes les autres conditions requises pour bénéficier du régime de faveur soient par ailleurs remplies, ces sociétés sont assimilées à des sociétés exerçant une activité opérationnelle (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 50).
  • Les transmissions des parts ou actions de ces sociétés bénéficient donc du régime de faveur dans les conditions de droit commun. L’engagement collectif de conservation doit être souscrit sur les titres transmis, comme habituellement, et surtout, l’exonération s’applique à l’intégralité de la valeur des parts ou actions.
  • – le second concerne précisément les sociétés interposées.

L’article 787 B b 3 alinéa trois précise que « L’exonération s’applique également lorsque la société détenue directement par le redevable possède une participation dans une société qui détient les titres de la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement de conservation. ».

Ce régime autorise une application indirecte de l’exonération. Il consiste à ouvrir le régime de faveur aux transmissions de titres de sociétés qui n’exercent pas directement une activité éligible lorsqu’elles détiennent indirectement ou indirectement une participation dans une société exerçant l’activité opérationnelle dont les titres sont couverts par un engagement collectif de conservation respectant des conditions requises. 

Il joue dans la limite de deux degrés d’interposition. Lors des travaux préparatoires à la loi de finances pour 2019 le législateur a confirmé sa volonté de ne pas étendre de régime au-delà de deux niveaux de détention (Doc. AN 2018-2019, n° 1504, p. 182). 

Ce dispositif doit être appréhendé comme un dispositif subsidiaire parce qu’il est à la fois  moins favorable en termes d’assiette et plus contraignant.

Question 2 : des exigences particulières sont-elles requises en ce qui concerne la forme juridique, l’activité et le régime fiscal de la ou des société(s) interposée(s).

  • Réponse : non

Le régime est largement ouvert. 

La forme juridique, l’activité et le régime fiscal des sociétés interposées sont totalement indifférents à cet égard, de même que le niveau de participation détenu dans la société intermédiaire et dans la société cible (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 200).

L’exigence essentielle réside dans la nécessité pour cette société de détenir directement (un niveau) ou indirectement (deux niveaux) une participation dans une société exerçant une activité éligible couverte par un engagement collectif de conservation. 

Question 3 : un engagement collectif de conservation doit-il être conclu à chaque niveau d’interposition ?

  • Réponse : non

La doctrine administrative confirme que l’existence d’une chaine continue d’engagements collectifs de conservation n’est requise, à chaque niveau d’interposition. Cette exigence concerne uniquement la société cible, c’est à dire celle qui exerce l’activité éligible (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°200). 

Lorsque le dispositif s’applique avec deux niveaux d’interposition, il importe peu qu’aucun engagement collectif de conservation n’ait été conclu sur les titres des sociétés directement détenue par le donateur ou le défunt sur la participation de la société intermédiaire, pourvu que cette dernière ait conclu un tel pacte sur la participation qu’elle détient dans la société cible qui exerce l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. 

L’interposition se caractérise par une dissociation entre l’engagement individuel de conservation souscrit par le donataire ou le successeur sur les titres transmis et l’engagement collectif de conservation conclu par la société détenant directement la participation dans la société cible.

Question 4 : le recours à ce dispositif implique-t-il de procéder à des calculs spécifiques ?

  • Réponse : oui

Dans le régime de l’interposition de sociétés, l’assiette de l’exonération de 75 % (comme d’ailleurs celle de la réduction de droits de 50 % qui peut également s’appliquer lorsque la transmission est réalisée en pleine propriété par un donateur âgé de moins de 70 ans) est plus restreinte que d’ordinaire. 

Elle ne porte que sur la valeur des titres de la société transmis, dans la limite de la fraction de la valeur vénale de l’actif brut de celle-ci représentative de la valeur de la participation indirecte faisant l’objet de l’engagement de conservation (CGI, art. 787 B b 3 avant dernier alinéa).

Déterminer l’assiette de l’exonération de 75 % nécessite donc de procéder à chaque niveau d’interposition à une ventilation en fonction des actifs détenus par chaque société.  

La valorisation de l’actif brut de chaque société interposée correspondant aux autres actifs (biens immobiliers, matériel, créances etc…) ne pourra pas bénéficier de l’exonération de 75 %.

En pratique, la doctrine administrative préconise d’effectuer le calcul du prorata la valeur des titres transmis rentrant dans l’assiette de l’exonération partielle en partant de la participation indirecte détenue dans la société cible pour remonter la chaine des participations vers la société faitière (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 440) ; c’est à dire en remontant la chaine des participations au sein de l’organigramme du groupe (V. F. Fruleux, Juriscl. Enr Traité, V° successions, fasc. 68, n°190 et s ; Pour une illustration chiffrée, fasc. 68-10, exemple n°2 ; JF Desbuquois, Les pactes Dutreil, EFE 2017, n°458 ; P. Julien Saint-Amand, Pacte d’actionnaires et engagement Dutreil, Dossier pratique EFL 4ème éd. 2016, n°3205).

En présence d’un simple niveau d’interposition, la fraction de la valeur des titres de la société interposée qui est susceptible de bénéficier de l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit s’obtient par la formule suivante (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°430):

    A x (B / C)

  • Avec :
  •     – A = valeur des titres de la société interposée ;
  •     – B = valeur de la participation soumise à l’engagement collectif de conservation ;
  •     – C = valeur de l’actif brut de la société interposée.
  • Avec un double niveau d’interposition, la fraction de la valeur des titres de cette société qui est susceptible de bénéficier de l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit s’obtient de la manière suivante (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°430 ; Pour des illustrations chiffrées, V. F. Fruleux, JC. Enr. Traité, V° Succession, fasc. 68-10, exemple n°2 ; P. Julien Saint-Amand, Pacte d’actionnaires et engagement Dutreil, Dossier pratique EFL 4ème éd. 2016, n°3205).
  • – dans un premier temps, il convient de déterminer la valeur de la participation indirecte qui a fait l’objet d’un engagement de conservation. Cette valeur se calcule ainsi :
  •     D x (E / F)
  • avec :
  •     – D = valeur de la participation que possède la société dont les titres sont détenus directement par le défunt ou le donateur, dans la société signataire de l’engagement,
  •     – E = valeur de la participation soumise à l’engagement,
  •     – F = valeur de l’actif brut de la société signataire de l’engagement ;
  • – dans un second temps, la valeur de la participation indirecte qui a fait l’objet d’un engagement de conservation permet de déterminer la fraction de la valeur des titres à laquelle s’applique l’exonération partielle :
  •     G x (H / I)
  • avec :
  •     – G = valeur des titres détenus directement par le défunt ou le donateur dans la société qui détient une participation dans la société signataire de l’engagement,
  •     – H = valeur de la participation indirecte ayant fait l’objet d’un engagement de conservation,
  •     – I = valeur de l’actif brut de la société qui détient une participation dans la société signataire de l’engagement.

Question 5 : Ces calculs peuvent-ils être effectués en ayant égard aux seuls documents comptables des sociétés concernées ?

  • Réponse : non 

Ces calculs doivent en effet être effectués comme l’énonce clairement l’avant-dernier alinéa du 3. du b de l’article 787 B en fonction des « valeurs réelles », c’est-à-dire des valeurs vénales réelles des différents actifs détenus par chaque structure.

La jurisprudence confirme ce principe (V. CA de Nîmes, 25 avril 2019, n°16/03875) qui nécessite une attention toute particulière.

Les calculs ne peuvent donc pas être effectués en ayant égard aux seuls documents comptables des sociétés concernées. 

Des écarts significatifs séparent ces deux modes de valorisation qui rendraient le calcul du prorata éligible au régime de calcul erroné. 

Par exemple, les bilans des sociétés pourront faire apparaitre en actif immobilisé des constructions ou autres immobilisations corporelles, installations techniques, matériel détenus et reprises pour leur valeur nette comptable après amortissement, laquelle pourra être bien moindre que la valeur vénale réelle de ces actifs. 

Pareillement, l’actif de ces sociétés pourra mentionner les titres de participation pour des valeurs certainement bien différentes et souvent moindre que la leur valeur vénale réelle (V. sur la valorisation comptable des titres de participation et l’impossibilité par principe de prendre en compte les plus-values latentes en vertu du principe comptable de prudence, PCG 1982, p. II-9 ; DO comptable C-1500, n°55 ; F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, 43ème éd. LexisNexis 2019/2020, n°1018).

Question 6 : Il est fréquent en pratique que certaines sociétés interposées exercent à titre accessoire des activités opérationnelles. Une telle structuration est-elle problématique ? 

  • Réponse : oui. Ce type d’organisation est pénalisant.

Les actifs détenus par la société interposée, bien qu’affectés à des activités opérationnelles et donc potentiellement éligible au régime de faveur, en seront exclus. Ils ne rentreront dans l’assiette de 75 %, cette dernière ne bénéficiant qu’aux seules participations détenues dans des sociétés exerçant une activité éligible et couverte par un engagement collectif de conservation. 

Une solution pour résoudre ces difficultés et accroitre le prorata éligible au régime de faveur consiste lorsque c’est possible à filialiser l’activité opérationnelle exercée directement par la société interposée et à conclure un engagement collectif de conservation sur la participation issue de cette restructuration.

Question 7 : une attention particulière doit-elle être portée à l’analyse des engagements collectifs de conservation lorsqu’il est fait application du régime des sociétés interposées ?

  • Réponse : oui

Il est fréquent en pratique que, sans souvent que cette ait été examinée avec suffisamment de soins, l’engagement collectif conclu sur les parts ou actions de la société cible ne porte que sur la fraction minimale de droits de vote et financiers requis, c’est à dire aujourd’hui 34 % des droits de vote et 17% des droits financiers lorsque la société n’est pas cotée, le pacte d’associés se contentant de paraphraser à cet égard l’article 787 B. 

Les difficultés résultant de ce type de situations peuvent être maitrisées lorsque la transmission s’opère sur les titres de la société exerçant directement l’activité opérationnelle et qu’elle porte sur une partie seulement de la participation détenue par le donateur. 

Il est en effet possible même lorsque les parts ou actions sont fongibles d’identifier l’objet de la transmission et de faire porter cette dernière sur les parts ou actions incluses dans l’engagement. 

Mais, cette faculté d’indentification n’existe pas lorsque la transmission porte sur des titres de société interposée en raison précisément de la dissociation de l’objet de la transmission et de la participation indirectement éligible au régime de faveur. 

Dans ce contexte, le périmètre réduit de l’engagement collectif de conservation conclu sur les titres de la société exerçant l’activité éligible rejaillit mécaniquement sur l’assiette de l’exonération déjà intrinsèquement restreint qu’il diminue encore. Une telle diminution peut s’avérer très pénalisante en termes d’assiette. 

Il est en effet clair et confirmé par l’administration fiscale (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 440) que l’exonération ne peut s’appliquer indirectement qu’à la seule valorisation de la participation dans la société cible couverte par l’engagement collectif de conservation (CGI, art. 787 B b 3 al. 4), ce qui conduirait à minorer souvent de manière très significative le prorata de la fraction des parts ou actions transmises éligible à l’exonération partielle. 

Cet écueil peut être évité en contractant avant la transmission un nouvel engagement collectif de conservation dans les conditions habituelles portant sur l’intégralité de la participation détenue par la société interposée dans la société cible.

Rappelons à cet égard que la doctrine administrative admet explicitement la possibilité pour un associé d’inclure les titres d’une même société dans plusieurs engagements collectifs de conservation (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°130).

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