Zone de turbulence en vue – L’Amérique peut-elle encore davantage dominer les marchés financiers (suite)

Eclairage du 28 novembre 2025 - N°558

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Début Janvier, je partageais ma réflexion sur ce thème avec vous dans l’éclairage n° 531  » L’Amérique peut-elle encore davantage dominer les marchés financiers ? »

Je mettais en avant la domination capitalistique des entreprises américaines et notamment des 7 magnifiques, le niveau de valorisation du marché par rapport au reste du monde, le niveau élevé de l’endettement américain et enfin le rôle du dollar et l’avantage qu’il procure aux Etats Unis. J’émettais également des doutes sur les effets positifs attendus de l’arrivée de Donald Trump et notamment de sa politique tarifaire puis de l’éventuelle riposte des autres pays, notamment de la Chine.

Crédit Photo Andrej Lišakov

En Mai, dans l’éclairage n°544 « L’Amérique peut-elle encore davantage dominer les marchés financiers (suite) », j’attirais l’attention sur 4 évènements majeurs qui me semblaient structurants à moyen terme et donc importants dans cette réflexion, à savoir la technologie IA chinoise et sa compétitivité, l’impact des droits de douanes et plus généralement de la guerre commerciale mondiale, le réveil de l’Europe face aux défis techniques et militaires et enfin la baisse du dollar.

J’aimerais y ajouter un point qui a fortement émergé suite aux dernières publications de résultats des entreprises technologiques. En effet, les montants d’investissements annoncés dans l’IA sont vertigineux à tel point que certains commencent à se demander si leur rentabilité sera bien au rendez-vous.

Faisons tout d’abord un bilan rapide des différentes annonces et bureaux d’études :

Jensen Huang, fondateur et PDG du leader des puces IA, estime que les investissements mondiaux dans les infrastructures d’intelligence artificielle atteindront entre 3 000 et 4 000 milliards de dollars d’ici à la fin de la décennie. Il décrit l’IA comme « le début d’une nouvelle révolution industrielle ». Lors d’une interview accordée à CNBC, Il met également en avant l’importance que les développements IA soient réalisés sur les composants américains d’une part et le fait que la Chine n’est plus très en retard globalement dans ce domaine « Overall, we are not that far ahead ».

D’autant que la Chine est, entre autres, le leader dans les énergies renouvelables, le pays qui dépose le plus de brevets liés à l’IA et le plus grand marché mondial de voitures électriques et de robots industriels. 

Lisa Su, PDG d’AMD, anticipe de son côté un marché des puces pour centres de données atteignant 1 000 milliards de dollars d’ici 2030.

Hock Tan, directeur général du fabricant de puces sur mesure Broadcom, prévoit une opportunité de revenus comprise entre 60 et 90 milliards de dollars en 2027 pour ses composants IA, soulignant l’ampleur des déploiements envisagés par les géants du cloud.

Le cabinet d’analyse Gartner prévoit que les dépenses mondiales en IA atteindront près de 1 500 milliards de dollars en 2025, et franchiront la barre des 2 000 milliards en 2026.

Ces estimations sont soutenues par les déclarations des plus grandes entreprises américaines qui adoptent et mettent en place cette technologie, à savoir les Apple, Alphabet (Google), Amazon, Méta (Facebook)et Microsoft.

(tableau généré par un assistant IA)

D’après les analystes, ce niveau d’investissement de la part des grandes valeurs technologiques représente environ 70% de leur cash-flow libre ce qui va fortement limiter la croissance des rachats d’actions, voire même l’inverser. Mais en dehors de cet élément, la question majeure relative à ces investissements est leur niveau de rentabilité future. Et là, tous les scénarii sont dans la nature mais étant donné le niveau de valorisation actuel, il n’y a pas de place pour être moins optimiste, le seul doute d’une rentabilité future moindre peut provoquer une correction majeure.

En Août dernier, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) a publié une étude montrant que 95 % des organisations n’obtiennent aucun retour sur leurs investissements dans l’IA générative. L’étude mentionne que le problème n’était pas la qualité des modèles, mais la façon dont ils étaient utilisés. Deux mois avant, McKinsey & Company, le cabinet de conseil, avait déclaré que huit entreprises sur dix déclarent utiliser l’IA générative, mais la même proportion ne signale aucun impact significatif sur leurs résultats.

Tout cela commence à déconcerter les investisseurs car une promesse clé des entreprises d’IA telles que Google, OpenAI et Microsoft est que si vous achetez leurs outils, ils amélioreront la productivité en aidant un seul employé à produire beaucoup plus de travail économiquement valable au cours d’une journée de travail.

Dans la même veine, Adrian Cox, un stratégiste thématique de Deutsche Bank pointe le fait que ces investissements dans des puces pourraient être obsolètes avant même qu’ils ne soient rentables.

Mais le plus dantesque est ce qui se passe chez Open AI, le géniteur de ChatGPT. Lancé ventre à terre dans la course à l’intelligence artificielle (IA), OpenAI passe commande de puces par centaines de milliards de dollars, des montants déconnectés de ses revenus actuels qui inquiètent une partie des investisseurs.

En moins d’un mois, le géniteur de ChatGPT vient de s’engager auprès de Nvidia, AMD et Broadcom à acquérir des processeurs d’une puissance de 26 gigawatts (GW), ce qui représente au moins dix millions d’unités au total, nécessitant la production électrique de plus d’une vingtaine de réacteurs nucléaires… de quoi intriguer certains.

« Il va leur falloir des centaines de milliards de dollars pour tenir leurs engagements », résume Gil Luria, de la société de conseil financier D.A. Davidson.

Mais OpenAI ne prévoit de réaliser qu’environ 13 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2025, perd plusieurs milliards chaque année et ne s’attend pas à être rentable avant 2029.

Contactés par l’AFP, Nvidia, AMD et Broadcom n’ont pas souhaité communiquer sur les modalités de paiement de ces processeurs essentiels dans le développement de l’IA.

Mais là encore, les récentes annonces de Nvidia et AMD ont mis en lumière le moyen de financement privilégié.

Dans le cas de Nvidia, le mastodonte de Santa Clara (Californie) s’est engagé à acquérir, sur plusieurs années, pour 100 milliards de dollars d’actions OpenAI, un apport d’argent frais qui peut permettre à l’enfant chéri de l’IA d’absorber une partie du coût des puces.

AMD a, lui, accepté de donner des titres à son client, dont la valeur pourrait atteindre des dizaines de milliards de dollars, une opération très atypique car elle n’inclut aucune contrepartie.

Ce mode de financement, où le fournisseur finance le client à travers des prises de participations est très malsain et fait penser à la bulle des années 80 au Japon. Selon Stacy Rasgon, l’analyste de Bernstein, Le patron d’OpenAI Sam Altman « a le pouvoir de faire dérailler l’économie mondiale pour une décennie ou de nous emmener jusqu’à la terre promise ».

A l’heure actuelle, les investisseurs ne voient que la terre promise même si quelques nuages commencent à s’amonceler.  Le risque majeur est qu’il se réveillent un matin en ayant fait un cauchemar et réajustent leurs projections.   

Enfin, la toute récente déclaration de Samsung d’augmenter le prix de ses puces mémoire DDR de 60% en 2 mois, profitant de la pénurie causée par la forte demande liée à l’IA ne fait qu’assombrir l’horizon. 

Si Nvidia est venu rassurer les investisseurs mercredi dernier (19/11) lors de sa publication de résultats trimestriels avec notamment unchiffre d’affaires et un résultat bien supérieur aux attentes, les craintes ne sont pour autant pas totalement dissipées. Malgré les déclarations d’un avenir radieux pour l’IA de la part de Jensen Huang, PDG de Nvidia, certains ont remarqué que des chiffres présentés dans les comptes étaient quelque peu contradictoires avec les déclarations, notamment concernant les commandes.

Au cours du trimestre écoulé, Nvidia a stocké 19,8 milliards de dollars en puces invendues, en hausse de 32 % en trois mois. Mais la direction affirme que la demande est folle et que l’offre est limitée. Etrange !

Nvidia a déclaré 33,4 milliards de dollars de factures impayées, en hausse de 89 % en un an. Les clients qui ont acheté des puces ne les ont pas encore payées.

La trésorerie raconte la véritable histoire. Nvidia a généré 14,5 milliards de dollars de trésorerie réelle mais a déclaré 19,3 milliards de dollars de bénéfices. L’écart est de 4,8 milliards de dollars. Des entreprises de puces en bonne santé comme TSMC et AMD convertissent plus de 95 % des bénéfices en liquidités. Nvidia convertit 75 %. 

Si je m’attarde sur ces points de détail, c’est parce que ce fut l’indicateur avancé de l’effondrement de Lucent technologie, l’entreprise phare de la fin des années 90.

A postériori, les analystes avaient remarqué que certes le chiffre d’affaires progressait mais que les clients n’avaient pas réglé pas leurs commandes.

Conclusions

Début 2025, je mettais en avant le niveau de valorisation trop élevé des entreprises technologiques américaines et l’utra représentation des USA dans les indices mondiaux en recommandant d’investir dans les autres zones géographiques, notamment en Chine.

Au printemps, les entreprises chinoises venaient semer le doute en annonçant des résultats d’IA très encourageants et ce, avec des coûts de développement très modestes.

Enfin, lors des derniers mois, la frénésie d’investissements autour de l’IA et son mode de financement sont à nouveau un fort signe que le danger d’un potentiel déraillement pointe à l’horizon. La grande question est de savoir quand cela se produira et qui en sera la cause. Qui en effet dans cette infrastructure est le maillon faible ? Qui sont les Cisco, Lucent,  Worlcom et consœurs actuelles ? La bulle des dotcom m’a appris qu’il était vain de chercher la date, l’heure ou ne nom de la première victime mais que même ceux que l’on croyait relativement immunisés pouvaient eux aussi fortement souffrir. Lucent a perdu 83% en 2000 pour finalement fusionner avec Alcatel en 2006, lui-même en difficulté. Dans le même temps, Cisco, l’entreprise la plus valorisée au monde en mars 2000 a vu son cours de bourse passer de 77$ à 8.02$ trois ans plus tard. Même Microsoft, qui n’a eu aucun problème financier, a chuté de 62% passant de 35$ à 13$. Nul n’a été épargné, même les entreprises les plus solides. Si vous pensez comme Mark Twain que « L’histoire ne se répète pas mais elle rime », alors vous savez comment orienter vos allocations.

Peter Thiel a vendu 100 millions de dollars chez Nvidia le 9 novembre. SoftBank a vendu 5,8 milliards de dollars le 11 novembre. Michael Burry, le célèbre prédicateur de la crise de 2008, a acheté des options de vente Nvidia. Pour ma part, j’ai retenu de la crise de 99/2000 que la première alerte ne sonnait pas la fin de la partie avec la fameuse phrase « cette fois ci, c’est différent ».  J’ai aussi retenu qu’il n’y avait qu’une seconde chance pour sécuriser ses plus-values. L’avenir nous dira s’il en est ainsi cette fois ci.

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Économie Finance
Charles NOURISSAT

Charles NOURISSAT

Coresponsable pédagogique de la formation "Concevoir une ingénierie d’Allocation Patrimoniale adaptée au profilage du client - CAP "

CGPI

Manager Patrimoine plus