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Comment le travail paie en communauté

Eclairage du 07 novembre 2019 - N°

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Communauté légale

La communauté légale, on le sait, peut singulièrement compliquer la tâche aux époux eux-mêmes (et à ceux qui les accompagnent, en gestion de patrimoine notamment) en cas d’exercice d’une activité professionnelle par l’un d’eux. Les choses s’enchevêtrent encore davantage lorsque le conjoint s’en mêle. Une invitation notamment à revenir sur les questions de l’appui qu’offre un époux à l’autre et sur la question particulière de l’enrichissement injustifié (auparavant appelé « enrichissement sans cause »).

Commençons par rappeler que l’enrichissement sans cause, création jurisprudentielle du 19e siècle, a peu à peu trouvé un cadre légal et a récemment été rebaptisée « enrichissement injustifié » de la réforme du droit des contrats (Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, art. 2).

À réparer a minima

L’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale (C. civ., art. 1303-1) et, en principe, celui qui s’en trouve appauvri a droit à une indemnité égale à la moindre des deux valeurs entre l’enrichissement et l’appauvrissement (C. civ., art. 1303), l’indemnité due étant néanmoins égale à la plus forte de ces deux valeurs uniquement en cas de mauvaise foi de l’enrichi (C. civ., art. 1303-4).

On notera, avec profit pour la suite, que l’appauvri n’a pas d’action sur le fondement de l’enrichissement injustifié lorsqu’une autre action lui est ouverte (C. civ., art. 1303-3).

Ce préambule achevé, posons quelques bases relatives à la communauté réduite aux acquêts, pour mieux revenir ensuite à l’enrichissement injustifié.

Substituts dans le même bateau

Alors que des époux mariés en communauté légale divorcent, le mari, agent d’assurances dont le cabinet constituait lui-même un bien propre, avait reçu au cours du mariage des indemnités en réparation du préjudice résultant de la baisse du commissionnement fixé au titre des risques automobile, habitation et santé.

Affirmant le caractère propre desdites indemnités, il refusait toute récompense à la communauté à ce titre.

Pour la Cour de cassation comme pour la cour d’appel avant elle, « ces sommes, qui compensaient une perte de revenus de l’époux, étaient entrées en communauté par application de l’article 1401 du code civil » (Cass. 1e civ., 17 avr. 2019, n° 18-15.486, publié au bulletin).

Cqfd. Pour la nième fois, il est confirmé par les juges que les substituts de la rémunération d’une activité professionnelle suivent le même sort que celle-ci, et donc tombent en communauté durant le mariage (indemnité de licenciement, revenus de chômage, retraite, etc.). Rien d’étonnant à cela, puisque « les gains et salaires, produits de l’industrie personnelle des époux, font partie de la communauté ».

De ce principe, dans la même affaire, la cour de cassation a déduit une autre solution, relative cette fois à l’activité déployée par l’épouse en faveur de son mari.

Vases communicants

Si la réalité de l’effort consenti n’est jamais mise en cause, c’est qu’en amont sa prise en compte est court-circuitée.

Du fait que gains et salaires fassent partie de la communauté, il résulte que « l’époux commun en biens qui a participé sans rémunération à l’activité professionnelle de son conjoint ne subit aucun appauvrissement personnel lui permettant d’agir au titre de l’enrichissement sans cause » (Cass. 1e civ., n° 18-15.486 précitée).

L’idée générale est simple : remplir la poche de l’autre pourrait en effet faire grincer quelques dents… à moins que celle qui a généré l’enrichissement ne profite tout autant de ce qui se trouve dans cette poche.

Plus largement, cela nous conduit à envisager la gestion de l’enrichissement injustifié en régime de communauté.

Respect de l’équilibre général

Le mécanisme des récompenses, consubstantiel à la communauté, permet de corriger in fine la composition des patrimoines propres et commun en tenant compte des flux financiers qui les ont affectés au cours du mariage.

Vecteur d’équilibre – d’équité ? – des régimes concernés, il a été conçu justement pour écarter la question de l’enrichissement sans cause en traitant systématiquement les transferts d’argent dans une logique de prêt. De cette manière, il encourage les époux à œuvrer de concert et les patrimoines à s’apporter une aide mutuelle sans trop d’arrière-pensées, car le temps de la compensation viendra.

La cohérence de la solution dégagée semble en conséquence pleine et entière. Néanmoins, c’est aller peut-être un peu vite en besogne.

Cause commune ?

Une objection, en effet : la valeur conférée au fonds propre par les efforts de l’autre époux reste acquise à son propriétaire, l’absence de flux financier excluant par principe toute récompense.

La solution retenue dans l’arrêt étudié peut donc apparaître comme une cote mal taillée. Les puristes s’en offusqueront peut-être. Les réalistes assumeront sans broncher que les arrondis profitent à la communauté. C’est sans doute aussi l’esprit du régime…

Il n’empêche qu’un autre axe de contestation avait été développé, celui-là reposant sur la mutité du jugement de divorce.

Partout oublié ?

Dans la même affaire toujours, la cour d’appel considère par ailleurs qu’« il ne ressort pas des énonciations du jugement de divorce que l’appauvrissement résultant de la participation bénévole de l’épouse à l’activité professionnelle de son conjoint durant le mariage ait été pris en considération lors de la fixation de la prestation compensatoire ». Et alors ?, a-t-on envie de dire.

Certes, aux termes de l’article 271 du Code civil, le calcul de la prestation compensatoire doit bien intégrer, entre autres, « les conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune (…) pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ».

Talent compensé ?

Mais c’est une autre histoire, puisque la prestation compensatoire est « destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives » dès lors que « le divorce met fin au devoir de secours entre époux » (C. civ., art. 270). Elle est donc ici hors-jeu.

La liquidation du régime, parfaitement complémentaire, a une toute autre vocation : elle vise, pour sa part, et comme son appellation le laisse entendre, à solder le passé, seul enjeu des débats au cas particulier.

Pas d’enrichissement sans cause

La Cour de cassation, qui rappelle au passage qu’elle est en mesure de mettre fin à un litige par application de la règle de droit appropriée, boucle le contentieux en rejetant la demande au titre de l’enrichissement sans cause.

Si l’enrichissement injustifié ne joue pas en régime de communauté, il peut en revanche parfois sauver la mise de ceux qui regrettent un excès de générosité, en général au moment où ils se séparent de qui en a bénéficié, en présence d’une séparation des patrimoines (concubins, partenaires de pacte civil de solidarité en régime légal et époux séparés de biens).

Petit tour par la séparation des patrimoines

Les juges ont pu donner l’impression de retenir à l’occasion (Cass. 1e civ., 23 févr. 2011, n° 09-70.745, publié au bulletin) qu’un époux séparé de biens dont la collaboration sans rémunération à l’activité professionnelle de l’autre avait servi à acquérir, conserver ou améliorer un bien figurant dans le patrimoine de ce dernier au jour de la liquidation du régime pouvait réclamer une partie de la plus-value réalisée sur le bien, nonobstant l’absence de tout transfert de fonds, via un calcul de récompense selon les règles du profit subsistant (C. civ., art. 1469, al. 3).

Attention néanmoins car la Cour de cassation ne se prononce pas directement en la matière, précisant d’emblée qu’« un arrêt irrévocable du 18 juin 1991 (…) a constaté le principe de la créance » (terme employé in fine par la cour d’appel d’Aix-en-Provence… qui a pourtant rendu sa décision sur le fondement de l’action de in rem verso – enrichissement sans cause à l’époque, donc).

Il est ainsi permis de se demander si elle ne s’est pas limitée alors à vérifier le mode de calcul d’une créance sans pouvoir (re)discuter de son fondement. Et ce même si la conclusion selon laquelle « les dispositions de l’article 1469, alinéa 3, du code civil (…) sont exclusives de la mise en œuvre des règles qui gouvernent l’enrichissement sans cause » est frappée au coin du bon sens (Cass. 1e civ., n° 09-70.745 précité).

Mais revenons au régime légal et voyons comment les récompenses agissent dans le cas particulier d’une dépense considérée comme nécessaire, dans le domaine de l’entraide professionnelle toujours.

Nécessaire soutien au conjoint entrepreneur

La Cour de cassation (Cass. 1e civ., 14 nov. 2007, n° 05-18.570, publié au bulletin) a retenu une récompense due à la communauté par le mari et calculée selon la dépense faite car relative à des dépenses nécessaires (C. civ., art. 1469, al. 2) :

  • – d’une part, pour le remboursement du capital des emprunts ayant servi à financer l’acquisition d’instruments de travail, or les juges du fond ont considéré que « les instruments de travail litigieux étaient nécessaires à la profession [du mari] »,
  • – et, d’autre part, au regard de l’apurement des soldes débiteurs de ses comptes professionnels, indispensable « afin d’éviter la disparition du fonds artisanal », en l’occurrence propre au mari.

La solution est appréciable pour l’épouse, car le fonds en question n’a pas beaucoup profité des efforts pourtant sensibles consentis par la communauté, ce qui signifie concrètement qu’une récompense calculée selon la règle du profit subsistant (C. civ., art. 1469, al. 3) aurait été très défavorable.

Passons maintenant à une actualité jurisprudentielle qui nous donne l’occasion de brosser à grands traits les règles concernant la communauté.

Ne nous en privons pas.

Plus-value acquise

Dans le cadre du divorce d’époux mariés en régime de communauté légale, la cour d’appel de Douai a dit que l’actif de communauté devait être augmenté de la plus-value réalisée à l’occasion de la vente d’un immeuble propre à l’ex-mari.

Rappelant tout d’abord que « par l’effet de la subrogation réelle, le prix de vente qui remplace le bien propre cédé est lui-même un propre » (C. civ., art. 1406), la Cour de cassation en déduit que cela « exclut que la plus-value due à l’évolution du marché ou l’érosion monétaire, résultant de cette opération, puisse être assimilée à des fruits et revenus entrant dans la communauté », complétant son analyse par le constat qu’« en l’absence de preuve du financement de travaux par la communauté, aucune récompense ne lui est due à ce titre » (Cass. 1e civ., 5 déc. 2018, n° 18-11.794, publié au bulletin).

Communauté des revenus

Rien de neuf, certes, mais une distinction entre la plus-value naturelle – acquise au propriétaire du bien, qu’il soit conservé ou vendu – et la plus-value résultant des efforts financiers consentis par un autre patrimoine (communauté en faveur d’un bien propre, thèse soutenue ici sans succès), laquelle mérite alors récompense.

Schématiquement, il est donc possible d’opposer plus-values et revenus, seuls les seconds, qu’ils proviennent de l’activité professionnelle des époux ou des patrimoines propres et commun, intégrant la communauté. C’est cet enrichissement qui est réparti à parts égales entre les époux (ou l’époux survivant et les héritiers du prédécédé).

Évidemment, la solution s’étend aux placements réalisés durant le mariage, et ceci quel que soit leur support d’investissement.

Assurance vie non dénouée

Ainsi, à propos d’un contrat d’assurance vie en souscription conjointe avec dénouement au second décès alimenté par des deniers de communauté, la Cour de cassation a écarté la solution retenue en appel (propre pour l’époux, peu important que les primes aient été payées par la communauté) et expliqué que « le contrat s’était poursuivi avec [le mari] en qualité de seul souscripteur, ce dont il résultait qu’il ne s’était pas dénoué au décès de l’épouse, que sa valeur constituait un actif de communauté et que la moitié de celle-ci devait être réintégrée à l’actif de la succession de la défunte » (Cass. 1e civ., 26 juin 2019, n° 18-21.383, publié au bulletin). La solution s’inscrit tout naturellement dans la droite ligne du fameux arrêt Praslicka (Cass. 1e civ., 31 mars 1992, n° 90-16.343), désormais aussi ancien au regard de l’époque qui l’a accueilli – de manière assez contrastée, disons-le – qu’il reste moderne dans la solution qu’il dégage.

Une philosophie

La communauté légale, souvent en délicatesse, en pratique, avec les outils modernes (retraite complémentaire pour ne citer qu’un exemple récent), est un régime dont il faut avant tout comprendre la logique, à savoir le partage égal de l’enrichissement réalisé durant le mariage. Partant de là, il faut tout d’abord s’interroger pour savoir si cet équilibre général convient ou non aux époux.

Droit civil
Communication AUREP

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